Le moral des troupes médicales, comme un ciel gris et pluvieux

Le moral des troupes médicales, comme un ciel gris et pluvieux
(Photo : L'Express de Drummondville)

TRIBUNE LIBRE. Un ciel gris et pluvieux. Cela représenterait probablement bien le moral de nos troupes médicales actuellement. De héros COVID rétrogradés à des zéros… c’est bien plus qu’une baisse de 25 % ça… C’est un affront et un manque de respect.

Je commence bientôt ma 30e année dans le réseau. Je fais de l’urgence à temps plein, depuis mes débuts. Au front, la première des lignes, face aux tragédies, aux drames humains, aux accidents, à la misère, à la mort. Mais également, aux réussites, aux plaies réparées, aux cœurs brisés écoutés.

Ce qu’on veut de moi, que j’aille plus vite? Que je bâcle? Excusez moi madame, votre père est mort, asseyez-vous là, je reviens tantôt, entre deux indicateurs de performance à compléter. Brutal…

En fait, on nous jette dans la fosse aux lions, seuls, et on nous rend responsables d’un système défaillant depuis des années. Mauvaise décision, sur mauvaise décision…

Infrastructures désuètes, manque de personnel de tout acabit, clientèle âgée et vulnérable grandissante, qui demande de plus en plus de soins en amont et en aval de l’hôpital. Enfants dépourvus, tristes et anxieux, l’itinérance, les problèmes nombreux des nouveaux arrivants, et j’en passe.

Aussi, la variété des traitements a explosé et ils sont de plus en plus complexes et onéreux, nécessitant beaucoup de préparation. Nos pharmacies hospitalières sont petites, inadéquates, pour toutes les tâches à faire.

Tout le monde travaille à bout de bras, on tient tout ça, de notre mieux. Notre gouvernement, lui, choisit de nous frapper sur la tête, en bon père de famille, comme il s’est proclamé.

Les gens sont exigeants, ils manquent d’informations sur l’autosoin, les alternatives. Tous veulent une solution, au bout de leur doigt, sur le piton, instantanément… J’imagine qu’il s’agit du reflet de notre société qui va trop vite.

Ça ne fonctionne pas comme ça. Nos urgences débordent. Ça nous fait plaisir de soigner les gens 24/7, car souvent, nous sommes les seuls à être disponibles, nous sommes là pour ça. Des cibles en minutes à respecter, c’est impossible. On ne traite pas des robots, il faut prendre le temps. Nous sommes les premiers à sentir la pression et l’insatisfaction dans nos salles d’attente, ça ne nous plaît pas, on cherche toujours des améliorations pour encourager la fluidité, avec de moins en moins de moyens. Comme si, à chaque match, on enlevait une pièce d’équipement supplémentaire au joueur de hockey. Il ne me reste que mes patins peu aiguisés, et mon bâton, je fonce…

Nous voyons les urgents, les plus malades. Les autres, on les aime aussi, mais ce sera tantôt. Il faut qu’eux aussi, les non urgents, fassent partie des solutions. Chaque petit bobo, ne nécessite pas d’être vu par le médecin.

C’est justement pour eux, en fait, les gens, que nous sommes encore là. Parce qu’honnêtement, quel travailleur accepterait des menaces de la sorte? Si c’est une tactique de négociation, c’est bien vil. Le gouvernement marche activement dans un champ de mines avec des souliers de clown, ça risque de tout sauter d’un moment à l’autre. Ils se sentiront bien seuls et penauds pour ramasser les morceaux, car nous… on sera peut-être partis…

Tout ceci est bien triste, parce que je me considère privilégiée d’avoir eu une carrière vraiment passionnante. J’adore encore mon travail, mes collègues, les équipes, les patients, mes patins usés, et mon bâton fêlé.

Isabelle Godin MD, urgence de Drummondville

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