La DPJ appelée à corriger ses pratiques cliniques

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Par Cynthia Martel
La DPJ appelée à corriger ses pratiques cliniques
Les services de la protection de la jeunesse de Drummondville sont situés au pavillon Edgar-Laforest, sur le boulevard Lemire. (Photo : Ghyslain Bergeron)

JEUNESSE. Les droits de nombreux enfants ont été lésés par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, révèle l’enquête menée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Le rapport s’accompagne de plusieurs recommandations, alors que la DPJ affirme avoir déjà amorcé des changements.

Une culture organisationnelle bien ancrée au sein de l’organisme aurait compromis les droits de 140 enfants placés. Certaines pratiques ont nui aux liens familiaux, tout en accélérant les démarches d’adoption en dépit des principes de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Parmi les constats ayant conduit la Commission à ses conclusions, on lit notamment que dans 57 % des dossiers analysés, aucune ressource ou référence n’a été offerte afin d’aider le parent dans les difficultés soulevées par la DPJ.

L’enquête a également révélé des problématiques en lien avec la considération des personnes significatives dans 63 % des dossiers, et qu’à de nombreuses reprises, des personnes proches de l’enfant se sont manifestées pour l’accueillir, mais ont été écartées sans qu’une évaluation soit effectuée.

Un interdit de contact a été demandé dans 63 % des dossiers, souvent sans justification liée à la sécurité de l’enfant. Dans 43 % des cas, aucun motif valable n’a été identifié, malgré le bon déroulement des visites supervisées.

D’ailleurs, ces visites ont souvent servi de prétexte pour enquêter sur les capacités parentales des parents, plutôt que de favoriser les contacts parent-enfant, en négligeant des facteurs comme la proximité géographique et les difficultés financières de la famille.

On y écrit aussi que dans plusieurs cas, des informations sont omises, manipulées ou inventées pour discréditer les parents. Le manque de transparence est aussi observé : des décisions importantes ne sont ni expliquées ni communiquées aux familles.

La DPJ déjà en mode action

Invitée à réagir aux conclusions de l’enquête, la directrice par intérim de la DPJ de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, Sonia Mailloux, reconnaît que certaines pratiques ont pu être défaillantes.

«Je vous avoue que je suis sensible à ce que les parents ont pu vivre. Ce n’est jamais facile de recevoir un rapport qui met en évidence des enjeux qui perdurent dans le temps», admet-elle.

Selon ses dires, l’organisation a changé de cap depuis l’exposé des faits présenté en août dernier.

«On a mis en place une série de mesures pour justement améliorer nos pratiques cliniques.»

Une trajectoire de projet de vie pour les enfants a été mise en place rapidement, avec un accompagnement renforcé aux parents.

«On comprend dans le rapport que les parents n’ont pas toujours été accompagnés. Pour moi, c’est extrêmement précieux de travailler avec eux, donc la trajectoire va venir corriger ça. On va leur dire dès le départ ce qui peut survenir et ce qu’on attend d’eux pour garder leur enfant à la maison. L’objectif, c’est que le premier projet de vie de l’enfant soit avec ses parents», insiste-t-elle.

Mme Mailloux signale aussi l’importance de clarifier les délais prévus par la Loi. «On doit accompagner les parents en leur disant qu’il y a un temps défini. Si la situation devient irréversible, on pourra alors déterminer quelle est la meilleure solution pour l’enfant.»

De nouvelles consignes obligent désormais le personnel à explorer le réseau familial élargi pour éviter les ruptures inutiles. «Pour moi, maintenir un enfant dans son milieu, c’est un incontournable. Et s’il faut le retirer, on veut l’accompagner du mieux qu’on peut», soutient Mme Mailloux.

La directrice intérimaire informe qu’elle a rencontré toutes les équipes au cours des dernières semaines pour leur exposer ses orientations.

«Bien sûr, je viens bousculer des pratiques, mais malgré tout, les gens me suivent. Malgré ces rapports qui sont difficiles à lire et à vivre, ils ont quand même à cÅ“ur de trouver les meilleures façons d’agir dans le meilleur intérêt des enfants et des familles», soutient-elle avec optimiste.

La Commission a pris acte des admissions de la DPJ sur plusieurs des constats ainsi que des mesures et des correctifs mis en place depuis l’ouverture de son enquête, notamment la mise sous tutelle de l’organisme.

«À partir du moment où la Commission fait enquête dans un milieu, il est fréquent que les choses bougent et que des mesures soient prises. Il était cependant important pour nous, compte tenu de la nature organisationnelle du problème, de mener l’enquête jusqu’au bout afin notamment que des recommandations officielles soient émises et que l’on puisse faire un suivi de celles-ci», indique le président de la Commission, Philippe-André Tessier.

Recommandations

En raison de l’étendue des constats, la Commission recommande notamment à la DPJ de réviser non seulement les 140 dossiers ciblés par son enquête, mais également l’ensemble des décisions de placement ou de mise en adoption prises depuis janvier 2023.

«Les manquements que l’enquête a relevés ont eu des conséquences graves, parfois irréparables, pour certaines familles, exprime Stéphanie Gareau, vice-présidente responsable du mandat jeunesse de la Commission des droits. C’est pourquoi nous insistons aussi dans nos recommandations sur l’importance d’offrir du soutien aux enfants et aux familles qui pourraient être touchés par les révisions qui seront faites.»

De son côté, Sonia Mailloux exprime la nécessité de clarifier cette recommandation.

«Je vais devoir rencontrer la Commission à ce propos parce que j’ai besoin de comprendre plus en profondeur cette recommandation, parce qu’il y a deux éléments importants à prendre en compte. D’une part, le rapport met en évidence des pratiques cliniques et professionnelles qui doivent être améliorées, et nous y travaillons déjà. D’autre part, les décisions judiciaires de placement ou d’adoption ne sont pas basées sur une décision banale dans le bureau de l’intervenant, mais suivent un processus légal rigoureux.»

Elle insiste sur le fait que des audits externes ont été demandés et qu’aucune preuve de falsification de documents n’a été signalée. «Les intervenants sont sous serment lorsqu’ils se présentent devant la Cour. Il serait grave de sous-entendre qu’un intervenant ait pu mentir à un juge.»

Elle souligne également que tous les intervenants bénéficient du soutien de cabinets d’avocats spécialisés en protection de la jeunesse pour garantir que chaque recommandation à la Cour repose sur des éléments juridiques solides.

«Le juge prend une décision éclairée en fonction des preuves présentées et des témoignages. Dans le rapport, on est en train de remettre en cause tout le processus légal», laisse-t-elle entendre.

En parallèle à l’envoi de la décision à la DPJ du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du Québec, la Commission a également émis des recommandations au ministre responsable des Services sociaux et au ministre de la Justice. La Commission demande notamment de mettre en place un plan de formation continue pour l’ensemble des DPJ du Québec. «La Commission ne peut s’empêcher de faire un constat alarmant : toutes les recommandations des comités d’enquêtes entre 2022 et 2024 visaient la mise à niveau des connaissances du personnel», souligne Mme Gareau.

«De plus, seulement en 2024-2025, près de 30 % des interventions correctrices mises en place à la suite de nos enquêtes avaient également pour objectif une mise à niveau des connaissances. Il s’agit d’un enjeu majeur qui préoccupe grandement la Commission», a-t-elle conclu.

Sept recommandations ont été émises.

Le rapport Enquête systémique en protection des droits de la jeunesse-Mauricie−et-Centre-du-Québec est disponible sur le site web de la Commission : www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/enquete-dpj-mauricie-2025

 

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