IMMIGRATION. En décembre dernier, l’entreprise Matritech, située dans le parc industriel régional de Drummondville, a lancé un appel aux gouvernements fédéraux et provinciaux concernant les nouvelles règles sur les travailleurs étrangers temporaires (TET). Elle demande de rétablir plusieurs d’entre elles pour ne pas nuire à ses opérations.
L’entreprise de la région se spécialise dans la fabrication de composantes et d’assemblages métalliques complexes de moyennes et grandes séries. L’équipe est composée de 116 employés, dont 21 TET en provenance des Philippines, possédant une formation technique et plusieurs années d’expérience dans leurs domaines.
Donna Nobel est contrôleuse financière et directrice des ressources humaines chez Matritech. Cette dernière est à l’origine de la lettre publiée il y a plus de deux mois sur tous les réseaux sociaux de l’entreprise. Elle déplore que l’embauche de TET soit devenue une nécessité pour eux.
«C’est difficile de recruter des gens dans des métiers spécialisés comme soudeurs, plieurs de pression ou électromécaniciens. On a essayé de former beaucoup de Québécois, mais ils partaient dès qu’ils rentraient parce qu’ils ne sont pas intéressés à ce genre de métier et l’horaire de travail atypique», explique Donna Nobel.
C’est ainsi qu’en 2018, Matritech a décidé de recruter sa main-d’œuvre manquante à l’international, selon la directrice des ressources humaines. «En janvier 2023, on est allé chercher 15 travailleurs étrangers philippins. Certains sont même venus avec leur famille au Canada», précise-t-elle.
Nouvelles règles
Le 26 septembre dernier, le gouvernement Trudeau a resserré les règles et durcit les critères d’admissibilité pour réduire le nombre de TET occupant des emplois à bas salaire. Dans sa lettre, l’entreprise estime que ces changements menacent la stabilité de ses opérations.

Parmi ses nouvelles règles, les employeurs ne peuvent pas embaucher plus de 10 %, au lieu du 20 % initial, de leur main-d’œuvre dans le cadre du volet bas salaires du programme pour les postes à bas salaire. Cette baisse importante entrainera la mise à pied de huit TET, selon Donna Nobel. «Si on perd huit employés, on est dans le trouble. On a des clients qui attendent la reprise économique et on ne serait pas en mesure de les remplacer immédiatement», craint-elle.
En autres changements aux règles fédérales, la durée de validité des permis de travail a été réduite. Toujours pour les postes à bas salaires, elle passe d’une période de deux à trois ans, à seulement un an. «Ça veut dire qu’on va toujours être en train de refaire leurs permis chaque année. Il y a des coûts liés à ça», prévient Mme Nobel.
Du côté du Québec, outre les changements apportés au cours de francisation, il y a quelques mois, et qui affectent aussi les TET de Matritech, le gouvernement Legault a mis sur pause l’envoi de certificat de sélection du Québec (CSQ). Il s’agit d’un document indispensable pour obtenir le statut de résident permanent au Canada. Cet arrêt rend ainsi plus difficile l’obtention de la résidence permanente pour les travailleurs étrangers de Matritech et leurs familles, selon Donna Nobel.
Tous ces changements apportent non seulement une crainte de décroissance au sein de l’entreprise drummondvilloise, mais aussi une inquiétude auprès des travailleurs philippins. «Ils sont très nerveux. Il y en a qui ont des familles ici et qui se demandent ce qu’ils vont faire», confie la directrice des ressources humaines.
«Ils font partie de notre famille chez Matritech. Ils se sont bien intégrés, ils veulent apprendre le français. Les familles qui sont ici, souvent, ont tout vendu là-bas pour s’installer au Canada. J’en ai un présentement qui fait beaucoup d’heures supplémentaires et il se ramasse de l’argent parce qu’il ne sait pas ce qui va [lui] arriver», insiste-t-elle.
Donna Nobel ainsi que le propriétaire de Matritech, Stéphane Bourgeois, soutient que ces changements soient survenus trop brusquement et sans consultation au préalable. Ils demandent notamment aux gouvernements de garder les immigrants déjà en place et d’appliquer les nouvelles règles seulement aux prochains TET que l’entreprise compterait embaucher.

Appel à tous
À la fin de la lettre de Matritech, l’entreprise a lancé un appel à toutes les entreprises ayant les mêmes enjeux qu’eux à communiquer ouvertement leurs inquiétudes face aux nouvelles règles imposées par les gouvernements fédéraux et provinciaux. Deux mois plus tard, Donna Nobel confie n’avoir reçu aucun message, mais a recensé des cas similaires un peu partout dans la province.
Même s’il se peut que beaucoup d’entreprises respectent déjà cette nouvelle limite de 10 %, la directrice des ressources humaines souhaite leur adresser une simple question : «Si jamais on vous enlevait vos immigrants, quel serait l’impact pour vous? Il faut qu’elles disent pourquoi elles ont besoin des immigrants et en quoi ceux-ci sont essentiels à notre économie locale», martèle Mme Nobel.
Entre temps, Matritech souhaite que les gouvernements fédéraux et provinciaux rétablissent les anciennes règles tous en mettant à jour certaines d’entre elles comme la réduction progressive des quotas maximaux de TET et une révision des seuils salariaux pour tenir compte des réalités régionales.
D’ailleurs, avec l’imposition imminente des tarifs douaniers américains de 25 % sur tous les produits canadiens, la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et la Chambre de commerce et d’industrie de Drummond (CCID) ont demandé un moratoire sur les restrictions imposées au Programme des travailleurs étrangers temporaires.