TÉMOIGNAGE. Les dernières années n’ont pas été de tout repos pour les petites entreprises. Surcharge de commandes en pleine pandémie, hausse considérable des coûts, diminution de ventes dans les marchés, compétition féroce en ligne : les défis se multiplient, ce qui a pour effet d’éteindre la flamme entrepreneuriale.
L’atelier-boutique Efferv’essence est sur son dernier mille au centre-ville. Au début du mois de décembre, le petit local de la rue Heriot était méconnaissable. Le mur autrefois composé d’une panoplie de bombes de bain était dégarni. La plupart des présentoirs étaient vides. L’ensemble du mobilier était à vendre ou à donner. Quelques boîtes étaient empilées. L’endroit doit être libéré avant la fin du bail, soit le 31 décembre.

La fermeture de la boutique ne représente pas le dénouement espéré. La propriétaire d’Efferv’essence, Véronique Henri, ainsi que son conjoint Keven Boulanger se sont investis dans ce projet avec cœur et passion lors des dernières années.
La Drummondvilloise a amorcé la production artisanale à son domicile en 2017. «Au début, j’étais maman à la maison. Je faisais du savon pour moi et ma famille. De fil en aiguille, il y en avait trop. J’en ai vendu à quelques amies qui voulaient des bombes de bain et d’autres produits. Ça a grossi comme ça. L’entreprise s’est bâtie d’elle-même», raconte la mère de quatre enfants.
L’entrepreneure a créé une variété de produits, ouvrant éventuellement sa propre boutique en ligne. Et puis la pandémie est arrivée. Les artisans québécois ont fait face à une hausse fulgurante de commandes.
D’un côté, les petites entreprises étaient reconnaissantes envers cet élan de solidarité; de l’autre, elles croulaient sous la demande. Ce fut le cas d’Efferv’essence.
«On n’a pas été capable d’envoyer toutes les commandes avant Noël. On a reçu des mauvais commentaires sur notre page Facebook. Des gens n’étaient pas contents parce qu’ils n’ont pas eu leur colis à temps. En même temps, toutes les compagnies québécoises ont été submergées de commandes. On ne pouvait pas embaucher à cause de la crise sanitaire.»

En 2021, Véronique Henri a fait le grand saut en inaugurant un atelier-boutique au centre-ville. Son rêve a vu le jour. Or, la réalité économique a rattrapé l’entreprise. «La boutique a été nécessaire. C’est ça qui a sauvé Efferv’essence. Après la pandémie, les ventes ont drastiquement baissé en ligne. Nos détaillants ont commencé à commander moins. La boutique continuait à croître un petit peu chaque année, alors que le site Web et les détaillants diminuaient», soutient-elle.
En parallèle, Efferv’essence subissait une augmentation générale des coûts, notamment au niveau des livraisons. «On vendait nos produits avec le Panier bleu. Avec eux, les clients payaient 10 $ de livraison, peu importe la commande, jusqu’à ce qu’ils atteignent la livraison gratuite. Par exemple, une cliente a payé 16 $ pour un paquet de quatre menthols. Avec la livraison, sa facture s’élevait à 26,50 $. J’ai reçu la commande. J’ai monté la boîte. Je suis arrivée pour l’expédier. La dame habitait à Chibougamau. Ça me coûtait 26 $ expédier le colis. On a fait un profit de 50 sous», illustre-t-elle.
La compétition en ligne s’est révélée de plus en plus forte, alors que les géants du Web grugent une partie importante du marché. «La facilité est notre plus grand ennemi», affirme Véronique Henri. Sur Amazon, les consommateurs achètent des produits divers au même endroit, tout en se les faisant livrer gratuitement, explique-t-elle.
Le déclin des ventes dans les marchés a été le coup de grâce. «En 2023, j’ai dû faire trois marchés pour avoir l’équivalent des ventes que j’ai fait à Central pop en 2022. C’est trois fois plus de travail et trois fois plus de temps pour arriver à faire le même montant d’argent pour faire vivre la boutique.»

Les habitudes de consommation des clients ont changé, observe l’entrepreneure. «On a souvent des produits qui ne sont pas si chers. Habituellement en marché, les papas et les mamans sont très ouverts à en acheter. En 2023, c’était beaucoup moins un réflexe. Les gens faisaient plus attention à leurs sous.»
Un point de non-retour a été franchi en décembre 2023. «J’étais à un marché à Québec, je n’avais presque pas de vente. J’ai appelé Keven. Je lui ai dit que c’était la dernière année. J’avais atteint ma limite», exprime-t-elle.
Les charges mentales, physiques et financières liées à l’entreprise étaient rendues trop lourdes à porter.
Décision crève-cœur
Basée à Drummondville, l’entreprise Crème et vous a été frappée par le même raz-de-marée. La propriétaire, Lisa Bax, s’est lancée en affaires en 2018, offrant des produits cosmétiques naturels.
Il faut dire qu’elle assume tous les rôles au sein de son entreprise, allant de la recherche au développement, de la production, de la préparation des commandes, au marketing et des réseaux sociaux ainsi que du service à la clientèle. Elle a également participé à plusieurs marchés.

Après un certain temps, les ventes diminuaient. Les dettes s’accumulaient. Les heures de travail redoublaient. L’entrepreneure se sentait découragée et épuisée. Tout s’écroulait.
À l’été, Lisa Bax a tenu un kiosque au Festivoix. Contrairement aux années précédentes, les ventes n’étaient pas au rendez-vous. «J’ai à peine payé mes frais. À la fin de la dernière journée, j’ai paqueté mon stock et j’ai fait la route de Trois-Rivières à Drummond. J’ai pleuré tout le long. Je me suis dit que c’était fini», raconte-t-elle.
«Ça n’a pas été une décision facile, c’est même encore très difficile. J’ai mis toute mon âme dans cette entreprise et demain ce sera derrière moi», ajoute-t-elle.
Nouvelle année, nouveau départ
Dans les deux cas, Véronique Henri et Lisa Bax ont fait le choix de retourner sur le marché du travail, tout en étant à la tête de leur entreprise. À partir du mois de janvier, elles poursuivront dans leurs voies professionnelles respectives, marquant le début d’un nouveau chapitre.
Ces dernières partagent le même souhait, celui qu’une personne reprenne les rênes de leur entreprise.
Trois acheteurs potentiels se sont manifestés pour Efferv’essence. Les démarches suivent leurs cours. «Je laisse la porte ouverte. J’aimerais que ça continue pour la clientèle qui adore nos produits, même si je n’ai plus cette flamme-là», conclut Véronique Henri.