SENSIBILISATION. Toutes les semaines, un juge du palais de justice de Drummondville entend des causes qui accusent des conducteurs d’avoir conduit avec les facultés affaiblies. En ce temps de réjouissances, un père endeuillé souhaite sensibiliser les usagers de la route à la conduite en état d’ébriété et aux conséquences d’un tel geste aujourd’hui impardonnable.
Régulièrement, c’est pas moins d’une vingtaine de causes pour alcool au volant qui sont inscrites au rôle de comparution du palais de justice. Un chiffre inquiétant, si l’on considère que plusieurs alternatives ont été mises en place pour contrer le problème et que des campagnes publicitaires inondent les écrans.
Il y a 13 ans, Jean-Maurice Roy a perdu son fils et sa belle-fille dans un violent face à face. Depuis ce jour, il multiplie les interventions pour conscientiser les usagers de la route sur le sujet.
La triste histoire d’un couple
Dimanche soir, 27 mars 2011, Jonathan Roy fait une accolade à son père Jean-Maurice qui ne se doute pas que ce sera malheureusement la dernière. Jonathan monte à bord de son véhicule pour aller chercher sa conjointe Roxanne et ils empruntent l’autoroute 55 pour retourner vers Trois-Rivières où le couple étudie à l’université.

Vers 22 h 40, les Drummondvillois circulent à la hauteur de Saint-Wenceslas quand une voiture venant en sens inverse dévie de sa voie et percute de plein fouet l’automobile du jeune couple. Jonathan Roy et Roxanne Belomo perdent la vie alors que le conducteur de l’autre véhicule survit. Alex Mineau-Simoneau était en état d’ébriété au moment de la collision. La preuve a révélé que le jeune chauffard avait conduit dangereusement et qu’il avait consommé de la bière en dépit d’un permis de conduire probatoire, lui interdisant l’alcool au volant. Son plus bas taux d’alcool dans le sang était de 80 mg/100 ml de sang. Il a écopé de 42 mois de prison en 2013 et a été libéré en 2016.
Le mal qui perdure
Jean-Maurice Roy est retraité. Il s’est impliqué avec le SIUCQ de Drummondville, est passionné de radio amateur, peint des toiles de toutes sortes, fait du vélo et s’amuse à faire de l’impression 3D. Il semble mener une vie normale, mais la douleur au cœur de ce père endeuillé est présente. «Ça fait mal tout le temps… même si ça ne paraît pas», a-t-il laissé tomber.

Après le départ de son fils, M. Roy s’est glissé sous les couvertures comme d’habitude. Cependant, peu avant 3 h du matin, des policiers sont venus sonner à la porte. «J’ai vu au travers de l’œil magique que c’étaient des agents. Ils m’ont demandé si j’étais le père de Jonathan. Dans l’affirmative, ils m’ont annoncé que mon fils avait eu un accident. Quand j’ai demandé si c’était grave, ils m’ont confirmé son décès… j’ai eu les jambes sciées, s’est souvenu l’homme originaire de la Côte-Nord. Ils m’ont aussi expliqué que l’alcool pouvait être en cause et je savais très bien que ce n’était pas Joe (Jonathan).»
Le septuagénaire ne s’est pas senti capable d’aller identifier le corps de son fils à Trois-Rivières. C’est son ex-conjointe, la mère de Jonathan et des proches qui ont eu la lourde tâche de le faire.
Au lendemain de la nouvelle, une vague médiatique a déferlé sur cet accident tragique. «J’ai décidé de dénoncer la conduite avec les facultés affaiblies. Leur décès ne pouvait pas en rester là. Ce n’était pas facile, mais je voulais que le message passe. Il ne fallait plus que ça arrive.»
À peine deux mois plus tard, M. Roy était tellement convaincu de sa démarche auprès des jeunes qu’il est allé témoigner devant 500 élèves lors de la simulation d’accident mortel organisée par les services d’urgence de la région, en marge des bals de finissants des écoles secondaires locales.
«Je trouve les jeunes beaux, intelligents et ils ont le cœur à la bonne place. Je porte en moi cette blessure incurable et je veux que les jeunes se rallient pour enfin pouvoir crier “Assez c’est assez. Non à la conduite en état d’ébriété”. Il faut qu’ils réfléchissent aux conséquences d’un tel geste. C’est criminel.»
Les dommages collatéraux
Des pères. Des mères. Des frères et sœurs. Des grands-parents. Ce ne sont que quelques personnes qui sont touchées par un tel événement. De plus, les parents de l’accusé, qui n’ont rien à voir avec la situation, sont impactés.
«Ça brise des familles. Personne ne peut s’attendre à vivre une telle épreuve dans sa vie. Même les amis sont touchés. Les églises étaient pleines lors des funérailles, alors vous comprendrez que ça touche bien plus que les victimes elles-mêmes», a confié M. Roy qui a été obligé d’arrêter de travailler à la suite des événements.

Le choc initial passé, l’ancien militaire a pu compter sur le support de sa famille. «Même si je n’étais plus avec la mère de Joe, on a vécu ça ensemble. Aussi avec son frère Olivier. On se tient.»
Encore aujourd’hui, Jean-Maurice Roy vit des traumas permanents. Sur la route, il est toujours à surveiller les voitures qui viennent en sens inverse. Quand son fils Olivier prend la route, il lui demande de l’appeler quand il est arrivé à destination pour le rassurer.
Le cheminement
Depuis 2017, le conducteur fautif est libre comme l’air. Quand on questionne M. Roy sur sa pensée envers celui qui lui a enlevé son fils et sa belle-fille, il est serein. «Ça me ferait plus de mal à moi de lui en vouloir. Cependant, je ne lui pardonne pas le geste d’avoir pris le volant. Il doit vivre avec ses actes… mais il est chez lui… Et de savoir que le palais de justice est encore bondé de gens qui conduisent avec les facultés affaiblies, ça me désole», a confié le grand-père de trois petits-enfants.
Pour s’aider à passer au travers, M. Roy assiste à des rencontres de groupe de soutien pour les parents endeuillés. «Ce sont toutes des histoires différentes, mais on peut comprendre la douleur des autres, car on vit tous la perte d’un enfant. J’ai aussi consulté des professionnels. Justement, il ne faut pas avoir peur de demander de l’aide. C’est normal de pleurer et je pleure encore.»
Un message
C’est en regardant les photos qui sont affichées un peu partout dans la maison du paternel que l’on comprend que la mémoire de Jonathan ne sera jamais oubliée. «Il a encore une page Facebook où les gens peuvent laisser des messages. Ça me fait du bien d’aller lire ça. Ça me rappelle aussi de continuer de passer le message. Pensez comment vous allez entrer à la maison. Ne conduisez pas si vous avez pris un verre ou deux. Intervenez si quelqu’un est pour prendre la route en état d’ébriété. Mieux vaut dépenser 30 $, 40 $ pour un taxi que de se faire prendre et pire, tuer un autre usager de la route et devenir un criminel…»