Propriétaire immobilier pris en otage : il peut passer à autre chose

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Par Louis-Philippe Samson
Propriétaire immobilier pris en otage : il peut passer à autre chose
Le 179, rue Saint-Alphonse sera démoli dans un avenir rapproché afin de laisser place à un nouvel immeuble de quatre logements ou plus. (Photo : Ghyslain Bergeron)

LOGEMENTS. En juin dernier, L’Express faisait la rencontre de Martin Chamberland. Propriétaire d’un immeuble à logements en piteux état sur la rue Saint-Alphonse, il se disait pris en otage par le Tribunal administratif du logement (TAL). Aujourd’hui, il éprouve un soulagement alors que le jugement en sa faveur lui permettra d’aller de l’avant avec la démolition du bâtiment.

«Le soulagement, je l’ai ressenti la dernière fois qu’on est passé en cour, décrit Martin Chamberland. À ce moment-là, je me suis dit “c’est la dernière journée, c’est fini. C’est le juge qui tranchera.”»

Effectivement, il aura fallu quatre ans de démarches à M. Chamberland pour enfin obtenir un jugement. L’immeuble de la rue Saint-Alphonse, dont il est propriétaire, nécessite des travaux trop importants pour être conservé. En novembre 2020, il a lancé un processus d’éviction ciblant le locataire de l’appartement du rez-de-chaussée. Le logement de l’étage est inoccupé depuis deux ans.

Le 6 septembre dernier, le juge du TAL Serge Adam a délibéré en faveur du propriétaire et a exigé que le locataire quitte les lieux au plus tard le 30 novembre. Chose qu’il a faite. L’Express est allé à la rencontre de M. Chamberland le 2 décembre en matinée alors qu’il prenait connaissance pour la première fois de l’état des lieux maintenant vacants. L’huissier venait de compléter son constat final lorsque le propriétaire a fait visiter l’endroit à L’Express.

L’appartement, le sous-sol de l’immeuble et les remises extérieures, remplis d’objets divers, ont été vidés, mais quelques vestiges de l’ancien locataire sont demeurés sur place. Martin Chamberland a aussi eu la surprise de constater que le poêle à bois du sous-sol ainsi qu’une grande grille d’aération en fer, juste au-dessus, avaient disparu.

De nombreux détritus ont été laissés dans l’appartement. (Photo : Ghyslain Bergeron)

À l’intérieur, murs troués et endommagés, robinets qui fuient, moisissures, odeurs nauséabondes et amas de poussière ne sont que quelques qualificatifs de l’endroit, décrit comme insalubre par le propriétaire.

La réfection complète de l’immeuble, comprenant l’isolation, le système électrique, les fenêtres, la toiture, les balcons et l’enveloppe extérieure pour ne nommer que ceux-ci, serait accompagnée d’une facture de 800 000 $ selon les estimations obtenues par le propriétaire. «C’est le coût d’un immeuble neuf. L’entrepreneur aurait juste conservé la structure», décrit M. Chamberland.

Le jugement du TAL lui a permis de lancer les travaux de démolition dès le 1er décembre. Toujours selon le document, ceux-ci doivent être finis au plus tard le 30 juin 2025.

Martin Chamberland travaille actuellement sur les plans du futur immeuble qui sera construit sur les deux lots que comprend son terrain. Les démarches sont en cours avec la Ville de Drummondville afin d’obtenir toutes les approbations nécessaires pour lancer la construction d’un minimum de quatre logements, ou plus peut-être. Il espère pouvoir amorcer les travaux au printemps prochain.

Un goût amer

Cette mauvaise expérience laisse un réel goût amer à Martin Chamberland quant au Tribunal administratif du logement. Étant entrepreneur en construction et propriétaire de quelques logements, le Drummondvillois dit avoir remarqué un biais favorable aux locataires s’intensifier depuis la pandémie.

Des meubles endommagés ont été jetés sur le terrain. (Photo : Ghyslain Bergeron)

«Des juges du TAL ont déterminé qu’il fallait plus de visites de l’huissier pour remettre les documents légaux lorsqu’un propriétaire entreprend des démarches contre un locataire. L’huissier avec qui j’ai fait affaire me disait qu’ils se font taper sur les doigts parce qu’ils ne font pas assez de visites encore. Mais chaque fois qu’il se déplace, ce sont des frais supplémentaires pour le propriétaire. Les délais pour avoir une date d’audience sont aussi de plus en plus longs. Et c’est aussi plus long avant d’avoir un jugement», se désole le propriétaire.

Il déplore aussi que le TAL laisse de plus longs délais aux locataires pour quitter le logement d’où ils sont évincés. Selon lui, certains en profitent pour saccager l’endroit, comme il l’a constaté dans son immeuble de la rue Saint-Alphonse.

Dénonçant les nombreux reports de cause qu’il a subis, M. Chamberland souligne que le texte publié par L’Express en juin dernier semble avoir aidé à faire avancer son dossier. «Avant la publication de l’article, je devais avoir une date d’audience à la fin d’octobre 2024. Dès que l’article a paru, il y a une date qui s’est libérée comme par miracle trois semaines plus tard», soutient-il.

Après toutes les péripéties qu’il a vécues, Martin Chamberland retient qu’il ne faut jamais abandonner. «Il ne faut pas se décourager», dit-il, signalant au passage connaître des propriétaires qui ont eu des ennuis de santé en raison de leurs démarches auprès du TAL.

 

 

Un jugement particulier

L’Express a fait appel à l’avocat Manuel St-Aubin du cabinet St-Aubin Avocats, à Montréal, et fondateur du blogue DROITimmobilier.ca pour décortiquer le jugement accessible au public sur le site web de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ). Me St-Aubin a remarqué une particularité qui a rarement été vue dans ce genre de décision. Le besoin de logements dans la région a joué en faveur du propriétaire, qui souhaite construire quatre logements ou plus sur le terrain de l’immeuble actuel. Cela viendrait donc aider à résorber la pénurie en augmentant le nombre d’unités disponibles.

Me Manuel St-Aubin du cabinet St-Aubin Avocats et fondateur du blogue DROITimmobilier.ca. (Photo : gracieuseté)

«On ne traite pas souvent des dossiers de démolition au TAL; il n’y a pas tant de jurisprudence. Ce qui est intéressant ici, c’est que le tribunal reconnaît qu’il y a une pénurie de logements au Canada qui comprend aussi Drummondville. On n’a pas besoin d’en faire la preuve. Le Tribunal dit que c’est de connaissance judiciaire. C’est un élément qui pourrait potentiellement être utilisé dans d’autres décisions du TAL», a expliqué Me St-Aubin lors d’un entretien téléphonique.

Par ailleurs, le locataire du logement avait été propriétaire de l’immeuble entre 2003 et 2017. Il avait vendu l’immeuble à M. Chamberland alors qu’il éprouvait des difficultés financières, selon le jugement. Le locataire bénéficiait aussi d’un droit préférentiel qui lui aurait permis de racheter l’immeuble au même prix dans les deux ans. Un droit qu’il n’a pas exercé.

Cet élément a contribué à la décision du juge. Les experts entendus ont relevé que l’immeuble a été victime d’un «manque total d’entretien» par le locataire durant cette période. «Le Tribunal dans l’analyse du préjudice causé au locataire ne peut omettre que le locataire fut et est le principal artisan de son malheur et non la locatrice», indique le juge Adam dans son jugement.

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