Tabous : interdits ou simples malaises?

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Par Cynthia Martel
Tabous : interdits ou simples malaises?
Alexandre Boisvert est enseignant en sociologie au Cégep Drummond. (Photo : Gracieuseté)

MAGAZINE. Religion, argent, santé mentale, homosexualité, politique… Ce sont autant de sujets souvent perçus comme tabous. Mais représentent-ils encore aujourd’hui de véritables interdits ou simplement des thèmes qui suscitent parfois des malaises?

Pour bien comprendre la signification du mot tabou, il faut d’abord remonter au 18e siècle, plus précisément en 1777. À cette époque, le navigateur et explorateur James Cook revenait d’un de ses nombreux périples dans les îles du Pacifique. Dans certaines tribus qu’il avait rencontrées, il était interdit de s’asseoir ou de manger avec les chefs en public. Ces interdictions étaient appelées « tapu », et les chefs eux-mêmes portaient le titre de « Tabu ». En rentrant en Angleterre, le Britannique a partagé cette découverte, et le terme a pris un nouveau sens en Occident : celui d’un interdit.

«Mais là où ça devient intéressant, c’est que le « tapu » n’était pas une interdiction au sens où on l’entend aujourd’hui. En fait, c’était une obligation. Un peu comme les règles de la route : quand une flèche dans un rond vert nous oblige à aller tout droit, bien dans le fond, ça nous interdit de tourner à droite ou à gauche», image Alexandre Boisvert, enseignant en sociologie au Cégep Drummond.

Autrement dit, le tabou est devenu un élément de contrôle social, définissant ce qu’il est permis ou interdit de faire et de dire.

«On comprend mieux le tabou, s’il est joint à la notion de Mana (une force sacrée polynésienne venant du ciel). On peut faire le parallèle avec la religion; dans notre conception à nous, tout ce qui était sacré par la religion relevait de l’interdit. Et transgresser cet interdit, nous rendait impure. C’est de là que les tabous dans notre société ont émergé. Puis par la suite, les sujets reliés à la sexualité, la politique, l’argent, notamment, sont devenus tabous», explique le sociologue

L’évolution

Au dire de M. Boisvert, avec l’évolution des sociétés, la notion de tabou a également changé. Aujourd’hui, ce terme englobe non seulement des interdictions formelles, mais aussi des sujets qui provoquent un malaise.

Prenons l’exemple de l’argent : pendant des générations, parler de ses finances personnelles était considéré comme inapproprié, voire grossier. Les riches se faisaient pointer du doigt et les pauvres ne voulaient pas être étiquetés. Aujourd’hui, certains influenceurs exposent sans gêne leurs biens, leurs dépenses sur les réseaux sociaux, mais lorsqu’il s’agit de parler d’épargne ou de dettes, le sujet reste sensible, informe M. Boisvert.

Un autre exemple pertinent est l’homosexualité. Si elle était considérée comme tabou il y a encore quelques décennies, on en parle beaucoup plus ouvertement aujourd’hui.

«Si on en parle davantage, on ne peut pas dire que c’est un tabou de société. Ce serait davantage un sujet qui cause des malaises au sein de certaines personnes en raison des préjugés qui persistent. Toutefois, dans certains pays ou certaines religions, c’est tabou de parler de son orientation sexuelle», soulève l’enseignant.

Et la santé mentale? Il s’agit d’un autre domaine où les tabous évoluent. De plus en plus de personnes osent parler de leurs difficultés psychologiques, mais les préjugés demeurent. Certains préfèrent garder leurs problèmes pour eux, ce qui renforce l’idée que la santé mentale est encore, pour beaucoup, un sujet délicat.

«Avec la religion qui se dissipe, qu’est-ce qui est devenu sacré aujourd’hui? Est-ce l’être humain en soi? Donc si tout ce qui touche notre personne, c’est sacré, notre intimité devient-elle tabou? Peut-être», soulève l’enseignant.

Le Drummondvillois remarque toutefois que lorsque vient le temps aux Québécois de défendre des causes de manière sociale, les barrières se brisent.

«C’est moins personnalisant. On parle de statistiques et non d’une personne en particulier.»

Un mot, plusieurs significations

En fin de compte, ce qui est tabou dépend fortement de la société dans laquelle nous vivons de même que du contexte religieux et culturel. Ce qui est un tabou dans un coin du monde peut être une banalité ailleurs.

«Par exemple, il y a des sociétés où il est tabou qu’une bru regarde son beau-père dans les yeux ou qu’un gendre regarde sa belle-mère dans les yeux», illustre-t-il.

Le seul tabou universel que les anthropologues s’accordent à dire, c’est l’inceste, fait savoir Alexandre Boisvert.

Bref, le tabou est un terme qui a été très galvaudé au fil du temps, estime Alexandre Boisvert.

«Quelle définition qu’on lui donne dans une société moderne et post-moderne? Très peu de gens sont capables de le définir, car c’est complexe. Mais à mon sens, un véritable tabou, c’est quelque chose qui perturbe non seulement l’ordre social, mais aussi l’ordre spirituel», conclut le sociologue.

Une chose est certaine : plus on parle d’un sujet, moins il devient tabou.

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