L’entrée en vigueur de Santé Québec suscite doutes et inquiétudes

Photo de Cynthia Martel
Par Cynthia Martel
L’entrée en vigueur de Santé Québec suscite doutes et inquiétudes
(Photo : Deposit)

SANTÉ. Le Québec a franchi une étape majeure, hier, dans son système de santé avec l’entrée en vigueur de Santé Québec. Cette nouvelle société d’État, née de la réforme entamée par le projet de loi 15, devient désormais l’employeur unique de quelque 330 000 travailleurs du réseau, une transformation qui suscite doutes et inquiétudes.

La mission de Santé Québec est ambitieuse : centraliser et simplifier les opérations, attirer et retenir du personnel tout en rendant les services plus efficaces pour la population.

Si certains saluent l’objectif de rationalisation, plusieurs voix s’élèvent.

Dans la région, la Table régionale des organismes communautaires en santé et services sociaux du Centre-du-Québec et de la Mauricie (TROC CQM) qualifie l’entrée en vigueur de Santé Québec comme un «jour sombre pour le système public».

La Table joint sa voix à celle de la Coalition des Tables Régionales d’Organismes Communautaires (CTROC) afin de partager ses vives inquiétudes face à cette nouvelle société d’État.

«Il va de soi que plus les structures sont imposantes et centralisées, plus la gestion est hiérarchisée et entraîne un risque de déshumanisation éloignée de la réalité du terrain», écrit-on dans un communiqué.

Les organismes pointe du doigt cette réforme en affirmant qu’elle ouvre grand la porte à la privatisation et à la marchandisation de la santé et des services sociaux. «Le ministre de la Santé affirme que l’ouverture au privé est la solution aux problèmes d’accessibilité alors que l’on sait qu’il est en bonne partie à l’origine de ces difficultés. Le gouvernement Legault choisit consciemment d’orchestrer un système où l’État subventionne des compagnies privées pour qu’elles dispensent des soins alors que celles-ci coûtent plus cher, privent le réseau public de main-d’œuvre, contribuent à l’effritement des services publics et entravent l’accès gratuit et universel aux soins.»

Dans le cadre de cette réforme, les organismes communautaires autonomes sont aussi vus comme une partie prenante du réseau de la santé et des services sociaux alors qu’ils sont des entités autonomes, estime la TROC CQM. «Leur sous-financement chronique et l’accroissement notoire des demandes d’aide auxquelles ils font face fragilisent déjà le mouvement communautaire depuis plusieurs années. Dans le contexte d’une société d’État, l’instrumentalisation des organismes communautaires risque de s’accroître et de se cristalliser, les rendant ainsi plus vulnérables aux velléités du gouvernement.»

Alors que le salaire des gestionnaires de Santé Québec a récemment été augmenté de 10 % dans un contexte d’équilibre budgétaire imposé, où le déficit à résorber en santé pourrait atteindre 1,5 milliard de dollars, la CTROC appréhende l’impact sur les services publics, les programmes sociaux et les organismes communautaires.

Rappelons que les besoins exprimés par plus de 3000 organismes communautaires intervenant en santé et services sociaux s’élèvent à 830 M$ en financement à la mission globale en 2024-2025.

La FSQ-CSQ lance une campagne publicitaire

Du côté syndical, des associations comme la Fédération de la Santé du Québec (FSQ-CSQ) et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ)CSQ dénoncent des compressions budgétaires qui, selon elles, pourraient fragiliser les services directs à la population. Le gel des embauches et la pression exercée sur les équipes existantes sont pointés du doigt comme des facteurs aggravants pour un réseau déjà sous tension.

«Ce qui a de l’impact présentement, ce sont les compressions annoncées dans les services publics. Rien qu’en santé, ce sont 1,5 milliard d’économies qui sont attendues. On assiste aussi à un gel d’embauche à grande échelle qui vise des emplois en services directs à la population. Cela touche notamment les infirmières, les inhalothérapeutes et les infirmières auxiliaires. Personne n’est épargné! Pour économiser de l’argent, on va couper dans les services à la population et on va augmenter les départs parce qu’il n’y a plus de mutations jusqu’à nouvel ordre. Pour un gouvernement qui nous parle de flexibilité et de mobilité depuis des mois, c’est le comble!» ironise par voie de communiqué Luc Beauregard, secrétaire-trésorier au conseil exécutif de la CSQ.

«Aujourd’hui, on assiste à un autre brassage de structures comme seul le gouvernement en a le secret! On va donner la chance au coureur, mais on va se permettre de ne pas placer nos attentes trop hautes non plus. Ce n’est ni la première ni la dernière réforme en santé. On sait tous que la véritable mesure structurante qui fonctionne pour donner des soins à la population, c’est d’investir pour améliorer les conditions d’exercice des professions en santé et favoriser autant leur attraction que la rétention», Isabelle Dumaine, présidente de la FSQ-CSQ.

Ainsi, pour décrier les enjeux, les syndicats lancent une campagne publicitaire qui sera diffusée sur le Web et à la radio.

La campagne vise à sensibiliser la population au fait que le regroupement des établissements aura peu d’impacts sur les soins, tandis que d’autres décisions se feront rapidement sentir.

Par ailleurs, les membres de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) de Montréal manifestent ce matin contre l’implantation de l’agence Santé Québec.

La création de Santé Québec a été officiellement amorcée le 9 décembre 2023, lors de l’adoption du projet de loi 15 sur la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace.

En avril dernier, le ministre de la Santé Christian Dubé a annoncé la nomination de Geneviève Biron à la tête de Santé Québec pour un mandat de trois ans.

Mme Biron est l’ancienne présidente et directrice générale de Biron Groupe Santé, fondé par son père, Denis Biron. Son entrée en poste a été vivement critiquée, notamment en raison de ses liens étroits avec l’industrie privée de la santé, de sa méconnaissance du réseau public et les enjeux qui en découlent, ainsi que de son manque d’expérience en matière de gestion d’une telle mégastructure.

Partager cet article