Le volontariat au cœur de la francisation des travailleurs étrangers

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Par William Hamelin
Le volontariat au cœur de la francisation des travailleurs étrangers
Une vingtaine de travailleurs étrangers venant principalement de la Colombie et de Cuba ont été embauchés chez Vaillancourt portes et fenêtres. (Photo : William Hamelin)

FRANCISATION. La francisation de plusieurs travailleurs étrangers temporaires se fait sur la base du volontariat dans certaines entreprises de Drummond. L’Express s’est penché sur ce dossier.

L’entreprise Vaillancourt portes et fenêtres a vécu une expérience particulière en ce qui a trait à la francisation de ses travailleurs étrangers temporaires. En mai 2022, la compagnie située à Saint-Germain-de-Grantham a mis sur pied le département talents, formation et cultures, un département très proche de celui des ressources humaines, et a accueilli sa première vague de travailleurs étrangers à l’automne 2022.

Le directeur du département, Alain Audet, a fait appel aux Services aux entreprises (SAE) Centre-du-Québec pour les cours de francisation. Il raconte que l’expérience a été difficile en termes de logistique puisque c’était compliqué d’avoir un professeur disponible durant les heures durant lesquelles les travailleurs étrangers étaient sur le plancher.

«Le groupe était sur un quart de travail allant de 16 h à 2 h 30 du matin quatre jours semaine. Il fallait faire entrer les travailleurs étrangers sur les heures du dîner de jour. Ainsi, il y avait deux groupes les mercredis, un de 12 h à 14 h, et un autre de 14 h à 16 h. On ajustait leur horaire de travail en conséquence», détaille M. Audet.

Le Colombien Jeyson Zuniga est arrivé cette année chez Vaillancourt portes et fenêtres pour un contrat de trois ans. (Photo : William Hamelin)

«La difficulté pour nous, c’est que ce n’était pas assez intensif. Ils étaient inscrits sur un programme de 60 heures, et n’avaient qu’un cours par semaine de deux heures les mercredis. C’était interminable! Même si toutes les personnes ont passé le cours, ça l’a pris 30 semaines avant de compléter leur formation», laisse-t-il tomber.

Pour M. Audet, il n’était pas possible pour l’entreprise d’allouer une journée entière pour que les travailleurs étrangers suivent un cours de francisation puisqu’ils sont essentiels à la production et qu’il n’y a pas d’autres employés pour prendre la relève entre temps. La formule qu’ils ont choisie était celle qui faisait le moins mal à la production, selon lui.

«On a offert la possibilité de suivre des cours durant une journée de congé avec le SAE, mais les travailleurs étrangers ont refusé, car ils ne voulaient pas gruger dans leurs journées de congé», explique M. Audet.

C’est ainsi que dès l’arrivée de la deuxième vague de travailleurs étrangers temporaires en mars 2024, Vaillancourt portes et fenêtres a décidé de ne pas défrayer des coûts ou des demandes de subventions pour offrir des cours de français. La compagnie les a avisés que l’apprentissage du français «leur appartenait à 100%».

«On leur a dit : «Vous allez vous organiser grâce au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration pour trouver les écoles disponibles dans la région de Drummondville». Je vous dirais qu’ils se sont pris en main et plusieurs d’entre eux se sont inscrits à des cours de francisation», affirme Alain Audet.

Vaillancourt portes et fenêtres est l’une des entreprises qui mise sur le volontariat pour franciser ses travailleurs étrangers. (Photo : William Hamelin)

Depuis quelques mois, M. Audet rapporte que seulement deux employés sur la vingtaine de travailleurs étrangers de cette deuxième vague ne se sont pas inscrits à des cours de francisation. Certains sont, quant à eux, plus motivés et suivent des cours dès 8 h à l’école Sainte-Thérèse et y restent toute la journée avant d’entamer leur quart de travail à 16 h.

Volontariat

Vaillancourt portes et fenêtres n’est pas la seule entreprise dans la région de Drummondville qui propose à ses travailleurs étrangers temporaires de suivre des cours de francisation sur une base volontaire. Chez Métalus, la directrice des ressources humaines, Cindy Virasack, rapporte que cette approche est bien accueillie.

«Les gens comprennent que s’ils veulent demeurer au Québec ils doivent parler français et ils doivent avoir [un niveau 7] pour passer les prochaines étapes en termes d’immigration», souligne Mme Virasack.

Pour faire une demande de résidence permanente, les personnes doivent compléter le niveau 7 sur les 8 au total pour que leur demande soit acceptée. Dans le cas d’un renouvellement de permis de travail, depuis novembre 2023, une nouvelle mesure du gouvernement du Québec exige que les travailleurs étrangers temporaires, excepté les travailleurs agricoles, doivent prouver qu’ils ont une connaissance du français de niveau 4 à l’oral au minimum.

Mme Virasack ajoute que contrairement au poste de travail à la chaîne, les postes spécialisés d’usine, où il y a le plus de recrutement chez eux, demandent un français impeccable dès le processus d’embauche. «Là où parfois c’est plus compliqué pour eux, c’est le français québécois qui est vraiment loin du français de France; ils doivent s’acclimater aux accents, aux mots qu’on utilise ici», explique-t-elle.

De son côté, la Ferme des Voltigeurs offre le premier cours de francisation à ses travailleurs étrangers temporaires durant les heures de travail, soit un 60 à 80 heures. «Ceci permet aux travailleurs de débuter adéquatement leur apprentissage du français et de se débrouiller pour les choses simples de la vie quotidienne. Cependant, le français étant une langue complexe, leur niveau reste débutant à la fin des cours en entreprise», fait valoir la conseillère aux ressources humaines, Kim Bédard-Croteau.

Elle ajoute que la Ferme des Voltigeurs incite ses travailleurs étrangers à poursuivre leurs apprentissages en les référant aux cours de francisation à temps partiel.

« Nous les encourageons également à se pratiquer régulièrement : en écoutant des séries en français, en écoutant la radio, en lisant des journaux et des livres, etc. Cette portion se fait toujours sur une base volontaire, mais les travailleurs sont conscients de l’importance du français dans leur processus d’immigration au Québec », indique Mme Bédard-Croteau.

Elen Écrement remarque que la dynamique du cours peut varier dans un groupe si les élèves parlent une langue commune ou non. (Photo : William Hamelin)

Mieux apprendre

Le défi numéro un que la formatrice en francisation dans les entreprises pour le SAE Centre-du-Québec, Elen Écrement, remarque dans l’apprentissage du français pour certains travailleurs étrangers est la pratique en dehors des salles de cours. Elle pense que lorsqu’ils vivent ensemble dans un logement commun, comme c’est le cas notamment chez Vaillancourt portes et fenêtres, ils sont moins tentés de parler en français entre eux.

«Il faudrait qu’ils puissent pratiquer le plus possible au travail, mais ce n’est pas facile non plus parce que ce qu’on cherche souvent c’est de faire notre travail le mieux que l’on peut et que la direction soit satisfaite. Incorporer l’apprentissage d’une langue là-dedans c’est un défi qui, à mon avis, appartient à tout le monde, autant les employés que les employeurs», croit-elle.

Mme Écrement souligne que les travailleurs étrangers préfèrent davantage les formations sur les lieux de travail puisqu’ils sont payés durant ces heures de formation. Elle pense qu’il faut instaurer, pour les niveaux de français débutants à intermédiaire, des cours de formation sur place en entreprise, ce qui permet aux travailleurs étrangers de commencer avec une bonne base de la langue de Molière.

La formatrice en francisation conseille autant aux employés qu’aux employeurs d’éviter de former des clans au sein des lieux de travail. «Plusieurs fois dans des entreprises où j’ai travaillé, j’ai vu des clans francophones et non francophones se former. Les employés francophones ne sont pas toujours ouverts à aller échanger avec les travailleurs étrangers parce qu’ils n’ont pas d’avantage ou d’intérêt à le faire», déduit-elle.

«Il faut favoriser un esprit de collaboration pour que les échanges en français puissent avoir lieu. Par exemple, en organisant un café-muffin une fois par semaine pour favoriser les échanges», conclut Mme Écrement.

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