Le cri du cœur d’un propriétaire immobilier : «Je suis pris en otage de tous les bords»

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Par Lise Tremblay
Le cri du cœur d’un propriétaire immobilier : «Je suis pris en otage de tous les bords»
Il y a deux ans, 25 chats vivaient dans cet appartement. (Photo : Ghyslain Bergeron)

DRUMMONDVILLE. Personne ne voudrait être dans les souliers de Martin Chamberland.

Propriétaire d’un immeuble à logements rendu totalement insalubre en raison de ses occupants, M. Chamberland se trouve devant l’inévitable : le bâtiment devra être démoli.

Il a l’autorisation de lancer les travaux – et il souhaite aller de l’avant – mais il a les mains liées. Depuis trois ans, il est confronté à des reports du Tribunal administratif du logement (TAL), qui tarde à autoriser l’éviction d’un locataire. En attendant, les milliers de dollars s’envolent et la Ville de Drummondville s’impatiente. Bientôt, elle l’obligera à rénover l’immeuble, pourtant voué à la pelle mécanique.

Ceci n’est qu’un résumé de la situation intenable de M. Chamberland, un entrepreneur en construction qui détient quelques unités de logement à Drummondville. Depuis 2020, il patauge dans la paperasse et gère le stress du mieux qu’il peut.

L’air de cet appartement est irrespirable, selon la Santé publique. (Photo Ghyslain Bergeron)

Le bâtiment en question est situé sur la rue Saint-Alphonse. Son état est lamentable. Plusieurs fenêtres sont cassées, l’escalier est dangereux, la vermine s’est frayé un chemin dans le grenier, les planchers sont croches, les trous sont omniprésents, l’air est irrespirable (selon les analyses de la Santé publique) et les mauvaises herbes ont le champ libre sur le terrain où une vieille berline rouillée est abandonnée.

Martin Chamberland en est devenu propriétaire en 2017. Il désirait aider un ami qui avait des ennuis financiers. À l’époque, l’immeuble n’était pas dans un tel état. Et jamais il n’aurait jamais pensé vivre une telle situation. Dès les premières années de la prise de possession, les locataires cumulaient les retards de paiement et les visites devant le TAL ont commencé.

Le logement à l’étage que L’Express a pu visiter est laissé à l’abandon depuis environ deux ans. Le locataire qui y vivait avait 25 chats. L’odeur de l’urine est encore présente; les marques de négligence extrême aussi. Un mur de briques s’est affaissé. Au beau milieu du plancher du salon, on devine clairement qu’un feu a déjà été allumé.

«En bas, le locataire a cinq chats présentement. C’est encombré. Il a déjà entré sa moto dans son salon et il rinçait le moteur», indique le propriétaire, en se grattant la tête.

L’état de la cour arrière. Une vieille voiture rouillée est laissée à l’abandon. (Photo : Ghyslain Bergeron)

Conséquemment, les employés de la Ville connaissent l’adresse de l’immeuble par cœur. Les voisins font des plaintes de façon sporadique.

«Je reçois des lettres depuis des années de la Ville. On me demande notamment de tailler la haie sur le coin de la rue, car elle cache le panneau d’arrêt. C’est important pour le triangle de visibilité. Je veux bien, mais je suis pris, car sur le bail, c’est écrit que le responsable de l’entretien du terrain est le locataire. Il ne s’en occupe pas. Un jour, à la réception d’une lettre de la Ville, j’ai voulu faire du ménage sur le terrain, mais le locataire m’a dit de partir. Il m’accusait de voler son stock. Je suis pris entre lui et la Ville. En désespoir de cause, j’ai demandé à la Ville de venir entretenir le terrain et de m’envoyer la facture, mais elle ne veut pas. À la place, j’ai reçu deux mises en demeure», raconte M. Chamberland.

Isolé avec du bran de scie

Construit il y a belle lurette, le bâtiment ne respecte pas les exigences du Code du bâtiment du Québec (1995). Entre autres, les poutrelles ne sont pas conformes et du bran de scie sert d’isolation dans les murs.

Au fil des ans, M. Chamberland a sollicité l’expertise de plusieurs ingénieurs en bâtiment. Le constat est sans appel : rénover l’immeuble évalué à 153 600 $ (sans toutefois le remettre au goût du jour) coûterait environ 400 000 $.

Le bâtiment est voué à la démolition. Il est situé sur la rue St-Alphonse. (Photo : Ghyslain Bergeron)

Puisque les coûts estimés excèdent de 50 % la valeur de la propriété, le Drummondvillois a pu obtenir auprès de la Ville un permis de démolition, lequel est valide jusqu’au 1er juillet prochain. Il souhaite ardemment passer à l’action et pouvoir construire un nouveau bâtiment. Encore une fois, il est pris en otage. Parce que son locataire paye maintenant convenablement son 5 ½ au coût de 610 $ par mois, il a de la difficulté à justifier auprès du TAL la nécessité de l’évincer, malgré qu’il ait un permis de démolition en poche.

«Ça fait trois ans que j’attends le jugement. Le locataire, qui bénéficie de l’aide juridique, ne veut pas sortir. Il dit que son appartement est vivable, malgré l’avis de la Santé publique. Il y a toujours des délais. En attendant, les frais n’arrêtent pas de s’accumuler (avocat, ingénieurs en bâtiment, etc.). J’ai perdu des dizaines de milliers de dollars et beaucoup du temps. Le locataire a même essayé de convaincre le juge qu’il s’agit d’un immeuble patrimonial. Ça nous a fait perdre beaucoup de temps et d’argent à cause des expertises qu’il a fallu que je dépose», indique M. Chamberland.

En attendant, le temps presse. Le permis de démolition étant valide jusqu’au 1er juillet, une décision doit être prise rapidement.

Les murs sont isolés avec du bran de scie , ce qui est non-conforme au Code du bâtiment du Québec. (Photo : gracieuseté)

«Si je ne démolis pas avant l’échéance, la Ville va m’envoyer une lettre contenant une liste de tous les travaux que je devrai faire pour rendre conforme le bâtiment à la réglementation municipale. Je vais en avoir pour au moins 100 000 $. Je suis vraiment pris, car le bâtiment, il faudra que je le démolisse un moment donné quand même», dit-il, en faisant écouter à l’auteure de ses lignes le message qu’une inspectrice municipale lui a laissé sur son répondeur l’informant de l’exigence à venir.

«Je suis pris en otage entre le locataire qui paye, mais qui ne veut pas sortir, la Ville qui me demande de rénover et les délais de la Régie. Combien de propriétaires sont pognés comme moi au Québec avec des locataires à qui le gouvernement dit qu’il va les aider?», laisse-t-il tomber en conclusion.

Tribunal administratif du logement

Questionné au sujet des interminables délais auxquels fait face Martin Chamberland, le Tribunal administratif du logement, par la voix de son porte-parole Denis Miron, a précisé qu’il ne commente jamais les cas particuliers. Cependant, il a indiqué que «le dossier est complexe et qu’il y a eu plusieurs décisions et demandes de remises de la part des deux parties, ce qui retarde l’aboutissement du dossier».

La requête de M. Chamberland a été déposée la première fois devant le tribunal en janvier 2021. Le juge Serge Adam est affecté au dossier.

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