Décès de Jasmin Béliveau : ses parents tentent toujours de reconstituer le casse-tête

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Par Cynthia Martel
Décès de Jasmin Béliveau : ses parents tentent toujours de reconstituer le casse-tête
Marc Béliveau et Nancy Duperron posent dans la chambre de Jasmin. (Photo : Ghyslain Bergeron)

DRUMMONDVILLE. Nancy Duperron déplace des montagnes depuis la mort de son fils de 15 ans pour tenter de comprendre ce qui s’est passé le soir du  18 mai 2022. Critiquant le travail de l’enquêteur, elle exige d’avoir les réponses à ses nombreuses questions.   

Un an après le tragique événement, la douleur est aussi vive.

«J’ai cette qualité ou ce défaut de vouloir tout savoir, donc je vais aller jusqu’au fond de l’histoire», prévient la maman.

Le décès de son fils avait durement ébranlé la communauté. Des dizaines d’adolescents s’étaient réunis dès le lendemain matin sur les lieux de l’accident; une vigile avait été organisée quelques jours plus tard.

(Photo : Ghyslain Bergeron)

À bord de son cyclomoteur, Jasmin Béliveau a perdu la vie à la suite d’une collision avec une camionnette. Depuis ce jour fatal, pour tenter de panser les plaies, des proches déposent chaque semaine fleurs et ballons au pied de la croix commémorative installée à l’intersection où s’est produit l’accident.

Retour en arrière

Jasmin Béliveau, venait de quitter son lieu de travail, la Fromagerie Victoria, lorsque son cyclomoteur a été percuté sur le côté arrière droit par une camionnette, à l’intersection de la rue Robert-Bernard et du boulevard René-Lévesque. Sous la force de l’impact, la victime a été projetée au sol 21 mètres plus loin. Il est décédé quelques minutes plus tard d’un traumatisme crânien.

Selon le coroner Yvon Garneau, dont le rapport a été publié récemment, aucune trace de freinage ni de dérapage n’a été observée sur la chaussée.

Aucun élément de preuve analysé n’a aussi permis d’identifier d’infraction au Code de la sécurité routière commise par l’un ou l’autre des impliqués, ce que doutent Mme Duperron et son conjoint Marc Béliveau. Ils ont beau avoir tenté à maintes reprises de reconstituer la scène de cet accident qui leur a arraché leur fils, mais ils ne parviennent toujours pas à assembler tous les morceaux du casse-tête.

«Comment ça que mon p’tit gars, qui était prudent, qui aimait la vie, est parti tout bonnement un soir?», s’interroge la maman écorchée vive.

La vitesse de la camionnette au moment de l’impact, calculée par l’agente-reconstitutionniste, se situait entre 44 km/h et 59 km/h, un premier élément laissant sceptiques les parents.

«À mon avis, à ces vitesses, mon fils aurait probablement eu une couple de fractures. Mais là, il a été projeté et au moment qu’il est arrivé au sol, son casque s’est arraché. C’est ça qui l’a tué. Le siège a même éclaté, car la soudure de fer n’a pas tenu», déplore celle qui est experte en sinistre.

Des analyses toxicologiques ont été pratiquées sur le corps de la victime : aucune drogue, aucun alcool ni médicament n’a été détecté.

Le conducteur n’a pas été soumis à ces mêmes analyses et sa capacité de conduire n’a pas été vérifiée d’une quelconque façon sur les lieux de l’accident.

Il faut savoir que depuis décembre 2018, l’article 320.27 du Code criminel canadien permet de s’en remettre au jugement des policiers de définir si oui ou non, il y a matière à requérir des échantillons de toutes sortes. Dans le présent cas, les rapports des différents policiers ne font état d’aucun indice matériel ou autre qui aurait pu les inciter à appliquer ce nouvel article de la Loi.

«Il me semble que lorsqu’il y a un mort, on devrait l’exiger d’emblée. Devoir se fier au bon jugement des policiers, ça me dérange!» lance Mme Duperron.

Dans son rapport, le coroner Garneau y va dans le même sens : «Ne serait-il pas pertinent, lorsqu’il y a décès d’une personne dans un événement routier, de requérir d’un conducteur impliqué, déjà coopératif, un test reconnu et pouvant permettre de confirmer l’absence de tout soupçon de conduite sous influence interdite et sanctionnable par la Loi?»

D’autre part, la possibilité d’usage d’un cellulaire au volant a été écartée d’emblée et aucune preuve n’a pu en être faite, même plus tard au cours de l’enquête.

«À 21 h 04 et des secondes non précises (corroboré par les données cellulaires du parent), le conducteur a envoyé un texto puis a quitté la résidence familiale qui est située tout près de l’intersection. Une dizaine de secondes plus tard, selon le rapport, l’impact survient. Le conducteur a appelé ses parents vers 21 h 05 et 46 secondes après s’être enquis de l’état de Jasmin. Il me semble que le délai est court entre le texto et l’appel. Ça me dérange aussi de ne pas connaître les secondes de l’heure du texto», laisse-t-elle entendre.

Qui plus est, les parents sont choqués qu’aucun reconstitutionniste n’ait été déplacé sur la scène de la collision. C’est un agent du poste de la MRC de l’Érable qui a agi à titre de patrouilleur en enquête collision sur la scène.

«Pourquoi les expertises n’ont-elles été réalisées que le 26 mai, soit huit jours plus tard? On ne me le dit pas. Et comment se fait-il que plusieurs heures après l’accident, le voisinage n’avait pas été interrogé par les policiers? Ce n’est pas un accrochage qui s’est produit», s’indigne la mère.

Intersection problématique

Ladite intersection fait depuis longtemps l’objet de plaintes, notamment au sujet d’une possible confusion à ces feux. Le soir du 18 mai 2022, les deux témoins n’ont pas été en mesure de déterminer avec certitude de quelle couleur étaient les lumières de part et d’autre de ce carrefour.

Un ingénieur de la Ville de Drummondville a d’ailleurs confirmé au coroner qu’il est impossible de connaître quelle était la couleur des feux au moment de l’accident.

«(…) un ajout de phase dite «tout rouge» a été réalisé à la fiche de programmation en juillet 2022. Ainsi, un facteur environnemental associé à la configuration des feux pourrait [entre autres] avoir été en cause dans cet accident», écrit le coroner.

Il ajoute : «Malgré tous les tests et simulations faits (tant par la SQ, le soussigné et les proches) pour pallier le fait qu’il n’y avait pas de caméra filmant les lieux, force est de constater que l’opération des feux dépend de l’occupation du carrefour à un moment précis. Seule une minutieuse inspection des configurations physiques et des logiciels de l’équipement faite sur les lieux immédiatement après l’événement aurait permis de déterminer si oui ou non, la détection était fonctionnelle à ce moment.»

Par ailleurs, à la suite d’inspections réalisées sur les véhicules, le mécanicien-expert a décelé une importante défectuosité au système de freinage avant du cyclomoteur pouvant avoir contribué à la collision. L’enquête a révélé que le système d’embrayage était aussi défectueux, ce qui aurait eu pour conséquence de diminuer significativement la vitesse maximale que le scooter pouvait atteindre pour se rendre à l’intersection.

Le rapport mentionne aussi que le pilier de pare-brise de la camionnette peut avoir nui à la visibilité latérale gauche et contribué à la collision.

«Comment peut-il ne pas avoir vu Jasmin si la collision est arrivée à la fin du scooter? En plus, l’intersection est bien éclairée», se demande Mme Duperron.

À tout cela, s’ajoute le facteur fatigue qui a pu jouer un rôle dans ce tragique accident.

«L’analyse de ce triste événement s’est avérée plutôt difficile en raison des différentes variations d’explications sur les causes possibles de la collision (…) aucun élément n’a été relevé sur les lieux pour me permettre de comprendre à fond l’événement», précise le coroner.

Aucune recommandation n’a été formulée.

Plaintes

C’est devant toute cette incompréhension et parce qu’elle exprime du mécontentement à l’égard du travail de l’enquêteur, que Mme Duperron a déposé une plainte en déontologie policière le 6 février dernier, laquelle a été retenue et fera l’objet d’une médiation.

«On m’avait averti qu’il y avait peu de chance qu’on la retienne. Je suis contente. Je pousse fort, mais je veux les réponses, car il y a quelqu’un qui est mort, mon fils, mais on ne sait pas dans quelles circonstances. Je suis consciente que ça ne le ramènera pas, mais ça me permettra d’avoir un portrait clair et, ultimement, de faire mon deuil», insiste la maman, en arrêt de travail depuis ce jour fatal.

Quant à lui, Marc Béliveau s’efforce de vivre un jour à la fois avec cette épée dans le cœur. Il appuie sans réserve les démarches de sa tendre moitié qui a également interpellé la Ville de Drummondville afin de sensibiliser davantage les automobilistes à la présence des cyclomoteurs.

De son côté, la Sureté du Québec ne formulera aucun commentaire.

 

Main dans la main

Dans toute cette adversité, le couple a choisi de traverser cette tempête main dans la main, mais encore plus uni, alors qu’ils se diront «Oui, je le veux!» ce 20 mai, un souhait que Jasmin et leurs deux autres enfants formulaient depuis longtemps.

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