MAGAZINE. Le guitariste drummondvillois semble avoir reçu tous les honneurs, joué partout à travers le monde et avoir touché à tout. La passion de Michel Cusson est pourtant encore bien vivante et vibrante.
Michel Cusson a été fait membre de l’Ordre du Canada en 2020, pour son rôle dans l’évolution du jazz au Canada et pour sa contribution notable à l’industrie du divertissement. Il a gagné plusieurs Félix, Gémeaux, Jutra, Gemini, entre autres distinctions. Localement, on le connaît surtout pour sa participation aux Légendes fantastiques et à Cavalia. Pourtant, on peine à imaginer l’ampleur de tout ce qu’il a
accompli. Il a signé la musique d’une quantité impressionnante de miniséries, de films, de films Imax et de mégas-spectacles à travers le monde.
Tempête
Dernièrement, il a composé la trame sonore du film français Tempête (au moment d’écrire ces lignes, il était à l’affiche en France et venait de se terminer au Québec). Le réalisateur, Christian Duguay, désirait une sonorité très spécifique et a tout de suite pensé à Michel Cusson. Pour M. Duguay, Québécois vivant en France, le son était aussi important que l’image dans ce film. Les deux hommes ont travaillé de près ensemble pour que la musique puisse bien servir la trame narrative.
Dans ce drame produit en France, on suit l’histoire de Zoé, qui n’a qu’un rêve : devenir jockey. Un soir d’orage, sa pouliche, que la fillette a nommée Tempête, s’affole. Un incident s’ensuit et c’est la tragédie : Zoé ne pourra plus marcher. Elle va pourtant s’accrocher avec détermination et tenter l’impossible pour renouer avec son destin.
Michel Cusson a beaucoup aimé le sujet du film, touchant et délicat. Il estime que la musique demandait également une certaine finesse. Dans Tempête, les
chevaux sont omniprésents, tout comme l’amitié entre l’humain et l’animal. «Il y a vraiment quelque chose qui se passe entre les animaux et les hommes. Il y a quelque chose de bénéfique qui en ressort. Alors dans la musique, ça se transmet. Je l’ai vécu dans Cavalia. Tu ne fais pas n’importe quel genre sur des chevaux, même si ce sont des performeurs, ils sont sensibles à l’ambiance. Tu ne mets pas du heavy metal !», s’exclame-t-il.
Il y a aussi le thème de l’amitié. «Ce sentiment est plus difficile à illustrer, musicalement parlant que, par exemple, le bonheur. Le récit oscille entre le drame et l’espoir.» L’artiste ajoute que ça fait du bien, de temps en temps, d’arriver avec des émotions positives dans une œuvre cinématographique.
Il explique aussi que de composer pour un film, c’est se mettre au service de l’histoire : «On dit que la bonne musique de film, on ne l’entend pas. Il faut être discret, parfois. Ce n’est pas le temps de souligner au gros crayon gras!», s’exclame-t-il.
On ne s’improvise pas musicien
Pendant la pandémie, le musicien a fait des sessions d’improvisation en direct. Lors de l’une d’entre elles, il s’est basé sur la photo qu’un auditeur lui avait fait parvenir pour composer une pièce.
«Pour faire ce genre de travail, il faut savoir se lancer, avec son intuition. On doit aussi être connecté émotivement avec ce qui résonne intérieurement. Le rôle du savoir-faire dans cela aide à de choisir les bons instruments, la tonalité, etc. L’expérience, combinée avec l’instinct et l’émotion, c’est ça qui permet de faire ce que je fais.»
D’ailleurs, une cinquantaine de morceaux ont été extraits de ces séances et feront l’objet d’albums. «J’ai toujours rêvé de faire quelque chose comme ces sessions en direct. J’ai adoré ça! C’était une sorte d’hybride entre la salle de spectacle et mon laboratoire, mon studio.»
Un travail varié
Avec tant de possibilités, Michel Cusson choisit ses projets en fonction des personnes impliquées, des gens qui sont conscients de l’importance de la musique à l’image. En ce moment, il compose pour la série télévisée À cœur battant, de Fabienne Larouche, diffusée sur les ondes de Radio-Canada. Il prépare aussi la trame sonore de son dixième film Imax, et écrit des chansons. Parmi celles-ci, on retrouve Depuis le premier jour, interprétée par Isabelle Boulay dans Séraphin, un homme et son péché. Il s’agit d’une oeuvre signée Michel Cusson et Luc Plamondon.
Le point commun de toutes ces collaborations : ce sont toutes des personnes passionnées. «Quand on a des gens intéressants et une bonne histoire, forcément, ça crée des surprises que je n’aurais jamais imaginé écrire!», exprime l’artiste.
Années d’apprentissage
La musique s’est imposée naturellement à l’adolescence. Il était en 9e année, au Collège Saint-Bernard, quand il a été marqué par quelques prestations, dont celle de Diane Dufresne. C’est une révélation pour le jeune Michel. Il avait déjà une guitare, mais il s’y est alors mis sérieusement.
«J’ai formé un groupe avec Gaston Mandeville, on s’appelait les Frères Blues, avec un 3e membre, Alain Morissette. J’ai fait mon premier spectacle à la cafétéria du Collège, et devant moi, il y avait Jean-Marie Benoit, aujourd’hui décédé. Il nous a offert à Gaston et moi de suivre des cours de guitare avec lui. On le payait 2 $ chacun! Il nous a montré L’oiseau de René Simard.» Un artiste avec qui il devait travailler plus tard dans sa carrière!
Quand Michel Cusson a découvert le jazz, c’est Jean Verville qui lui a fait connaître un répertoire et des styles, à une époque où il n’y avait ni YouTube ni Google. «On s’achetait le magazine Guitar Player et, à la fin de chaque numéro, il y avait un cours» qui lui permettait de faire des apprentissages plus pointus. Sans oublier les bons vieux albums!
Le hasard a fait qu’il y avait beaucoup de musiciens talentueux à Drummondville, à un moment où l’on entendait peu de jazz, sinon au Cégep. Il a eu la chance d’être parmi les premiers à bénéficier d’un enseignement en guitare jazz au Cégep de Drummondville. «Mes amis et moi, on en mangeait! C’est là qu’on a fondé UZEB», lance-t-il.
Groupe mythique de jazz, UZEB a tourné partout à travers le monde jusqu’au début des années 1990. La réunion du trio en 2017, le temps d’une série de concerts, avait d’ailleurs créé un grand enthousiasme dans l’univers de la musique.
Après le Cégep, Michel Cusson a continué à offrir des performances à l’Université McGill de Montréal, de même qu’à la prestigieuse institution Berklee College of Music de Boston. N’est pas admis là qui le veut! C’est le rêve de bien des musiciens.
«Depuis, je joue de la guitare – ou d’un autre instrument – de 8 à 10 heures tous les jours. J’ai encore la même passion qu’à mes débuts. Ç’a été un coup de foudre, pour moi, la musique, et mes parents m’ont donné leur bénédiction pour en faire. J’ai été chanceux de ne jamais avoir à me poser des questions sur ce que je voulais faire dans la vie, partage-t-il. Certaines personnes ont beaucoup de talent; moi j’ai un certain talent, mais j’ai surtout beaucoup, beaucoup travaillé. J’aime ça et je ne m’en lasse pas.»
Inspirations
Pour devenir un tel musicien, il faut démontrer une curiosité et une ouverture pour plusieurs genres de musique et être capable d’émerveillement. Questionné sur ses sources d’inspiration, il parle tout de suite de Jeff Beck, décédé en janvier dernier. «C’était mon guitariste préféré, un des rares à avoir gardé son émotion intacte des années 1960 à aujourd’hui, tout en continuant à évoluer dans cet univers rock», dit-il.
Les goûts de Michel Cusson sont très éclectiques, de la chanteuse pop Lady Gaga au compositeur de musiques de films John Williams, en passant par le guitariste de jazz Bill Frisell… Il souligne au passage à quel point les plateformes de diffusion en continu permettent de découvrir plusieurs nouveaux artistes.
Un passionné discret
À 66 ans, Michel Cusson semble être à un moment de sa vie où il peut utiliser tout le savoir-faire accumulé, en exerçant son métier avec fougue, tout en se présentant de façon modeste. En somme, c’est un individu discret, qui s’amuse à expérimenter, à varier les projets, et qui ne s’ennuie décidément pas! Au-delà des prix et des récompenses, c’est la passion qui paraît le nourrir et lui permettre de continuer d’oser. Quand on est animé d’une flamme pareille, le plus beau, c’est que ce n’est jamais terminé. «Je ne vois pas le jour où je vais arrêter, c’est trop fascinant», termine-t-il.