Les infirmières forcées de travailler un week-end sur trois

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Par Cynthia Martel
Les infirmières forcées de travailler un week-end sur trois
La mesure touche environ 20 % des infirmières de la Mauricie et du Centre-du-Québec. (Photo : Deposit)

SANTÉ. À compter du 26 février, les infirmières de Drummondville seront obligées de travailler au moins un week-end sur trois. Cette nouvelle mesure, suscitant la grogne et l’inquiétude, vise à pallier la pénurie de main-d’œuvre au sein de l’hôpital et des CHSLD.

Les infirmières du CLSC Drummond et attitrées aux soins à domicile sont principalement touchées par cette imposition.

«La pression vécue par les équipes des secteurs ouverts 24 heures par jour, 7 jours sur 7 a atteint un point de bascule nous amenant à adapter les horaires du personnel infirmier. Nous faisons face à une augmentation du nombre de quarts de travail non comblés dans ces secteurs, notamment les fins de semaine. Pour Drummondville seulement, 310 quarts étaient non remplacés les fins de semaine de février au moment où nous avons établi les horaires. Cet écart occasionne par le fait même une augmentation du temps supplémentaire et du temps supplémentaire obligatoire pour le personnel», fait savoir Laurence Chartrand, agente d’information au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.

Cette réalité fait en sorte que les postes dans ces secteurs deviennent de moins en moins attractifs et donc difficiles à combler. Rappelons qu’à l’urgence uniquement, 16 postes d’infirmières sont affichés.

«Le personnel est épuisé et demande des solutions immédiates. On constate aussi une augmentation du nombre de bris de services, qui compromettent les services essentiels et critiques pour la population», souligne Mme Chartrand.

Le CIUSSS soutient que plusieurs actions ont été déployées au cours des derniers mois pour tenter de «redresser» la situation, mais en vain.

«Nous sommes bien conscients que cette mesure affectera l’horaire de plusieurs membres du personnel infirmier, mais ça nous permettra d’être davantage solidaires et équitables envers les secteurs 24/7 et d’offrir plus de stabilité et prévisibilité dans les horaires de travail en limitant le temps supplémentaire obligatoire», fait valoir l’agente d’information.

Angoisse et sécurité

Bien qu’elles soient conscientes du problème et se disent sensibles à ce que peuvent vivre leurs collègues à l’hôpital et en CHSLD, les infirmières réagissent vivement face à cette nouvelle mesure.

«Ils sont où les préposés formés par le gouvernement Legault qui devaient sauver le monde?» lance Marie-Claude*, infirmière clinicienne au scolaire.

«De juillet à novembre derniers, mes collègues et moi avons été envoyées à Frederick-George-Heriot. On nous avait dit que c’était temporaire et exceptionnel, mais il faut croire que nous avons servi de projet-pilote», laisse-t-elle tomber.

Celle-ci déplore le fait que les employés demeurent constamment dans l’ignorance lorsqu’il est question de telles mesures. Les informations ne sortent qu’au compte-gouttes, laissant beaucoup d’interrogations. Selon Marie-Claude, les infirmières vivent énormément de stress et se disent extrêmement angoissées depuis qu’elles savent que leur situation changera.

«Certaines, si ce n’est pas plusieurs infirmières du CLSC, tous départements confondus, n’ont jamais mis les pieds dans un centre hospitalier et/ou un CHSLD. Elles sont démunies face à ce changement imposé et hyper angoissées. Ce n’est pas parce qu’on est infirmière qu’on est en mesure de tout faire. Et certaines ne sont plus nécessairement en âge d’apprendre autant de choses que tout ça demande. Pour ma part, j’ai travaillé 15 ans à l’urgence, mais même moi je ne serais pas à l’aise d’y retourner pour un paquet de raisons», expose celle qui cumule 25 années d’expérience dans le réseau.

«J’ai choisi un poste au CLSC à l’automne dernier pour avoir plus de stabilité et travailler du lundi au vendredi dans l’objectif de bâtir une vie de famille. Voilà qu’on vient m’imposer cet horaire et de nouvelles tâches. Tous mes plans s’écroulent, c’est fâchant!» exprime de son côté Julie*, infirmière clinicienne à la vaccination.

Les deux professionnelles se questionnent sur l’efficacité de cette nouvelle mesure et sur l’aspect sécurité.

«Le CIUSSS ne peut pas s’attendre à ce qu’on soit performantes et sécuritaires en nous envoyant dans différents secteurs dont la majorité d’entre nous n’a pas l’expertise nécessaire. Est-ce que je parviendrai à faire une transfusion assistée d’un médecin quand je n’en ai pas faite depuis trois ans, par exemple? Mon permis d’infirmière sera constamment en jeu. Et en travaillant une fin de semaine sur trois, comment pourrons-nous bien apprendre, être efficaces et créer des liens avec les usagers?» s’interroge Julie, infirmière depuis cinq ans.

«Est-il normal d’envoyer des infirmières cliniciennes pour donner des pilules, faire manger les patients et faire des pansements dans les établissements? On veut bien aider, mais sans vouloir dénigrer les infirmières auxiliaires et les préposés, je ne crois pas que ce soit notre place», estime Marie-Claude.

Selon elle, en essayant de régler un problème, le CIUSSS est en train d’en créer un autre ailleurs.

«Des coupures sont projetées dans les services de la santé mentale, la santé sexuelle et scolaire au CLSC, entre autres. En exemple, pour le secteur scolaire, ça engendrera une diminution voire un arrêt de la formation, du soutien et du dépistage dans les écoles. Est-ce une bonne nouvelle pour nos jeunes qui démontrent déjà une grande détresse?» déplore Marie-Claude, qui a tenté de se faire entendre auprès des députés et du ministre de la Santé, lesquels n’ont jamais donné suite à sa demande.

Le syndicat réagit

Pour Patricia Mailhot, présidente du syndicat des professionnelles en soins de la Mauricie et du Centre-du-Québec – FIQ, d’exiger à ces infirmières d’aller travailler dans ces secteurs souvent spécialisés est tout simplement irréaliste.

«Ça m’a pris des mois d’orientation avant d’être habile à l’urgence. Ce que j’essaie de faire comprendre à la direction du CIUSSS, ce n’est pas possible d’avoir uniquement des infirmières spécialisées dans tous les champs. C’est comme si on demandait à un psychiatre de faire le travail d’un urgentologue. Ce n’est pas réaliste», image-t-elle.

Elle se désole que ses membres doivent composer avec un choix qui n’est pas le leur.

«Ce n’est pas tout le monde qui est fait pour travailler dans tel ou tel secteur. Ce n’est pas la solution à la rétention des employés. Et qui va prendre leur job en GMF, au CLSC, dans les écoles? Si le CIUSSS continue comme ça, ce n’est plus 30 % de la main-d’œuvre qui manquera, mais 35 %», laisse-t-elle entendre, précisant que la mesure touche environ 20 % des infirmières de la région.

Mme Mailhot affirme que cette nouvelle est «la goutte qui fait déborder le vase».

«Jusqu’où va-t-on s’arrêter?», s’inquiète-t-elle, en terminant.

Soulignons que cette mesure s’étendra à tout le personnel infirmier de Drummondville d’ici la période estivale et touchera l’ensemble des infirmières du CIUSSS MCQ d’ici l’automne 2023

*Prénoms fictifs pour préserver leur anonymat

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