Un tueur si proche

Michael Deetjens
Un tueur si proche
Bien que certains chats soient de piètres chasseurs, la grande majorité ne peut résister à attaquer toute créature qui oserait circuler dans son champ de vision. (Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Bien adapté au confort de nos chaumières, le chat domestique n’a pourtant rien perdu de son instinct de chasseur, attrapant tout ce qui bouge avec une aisance intimidante. Ses talents de prédateur inquiètent toutefois plusieurs experts, qui estiment que le sympathique félin représente un danger pour les écosystèmes naturels.

En 2017, une étude génétique publiée dans Nature Ecology and Evolution, nous apprenait que l’ancêtre du chat domestique (Felis silvestris catus) serait le chat sauvage d’Afrique (Felis silvestris lybica), un petit félin dont l’aire de répartition s’étend du Nord de l’Afrique jusqu’au Moyen-Orient. Ce dernier aurait eu ses premiers contacts avec l’humain il y a plus de 10 000 ans, lors de la sédentarisation des agriculteurs du Proche-Orient. Le carnivore se régalait des rongeurs qui venaient se nourrir dans les réserves de grains des cultivateurs. Les humains profitaient ainsi de la présence de cette petite bête solitaire et farouche pour contrôler la vermine, ce qui marqua le début d’un long processus de domestication. Or, ces milliers d’années de domestication n’ont, de toute évidence, pas suffit pour éliminer son instinct de chasseur. Contrairement au chien, pour qui la domestication a profondément changé son ADN, le chat est resté génétiquement très proche de ses ancêtres sauvages. Ceci s’explique en partie par le fait qu’il a continué, au fil des siècles, à se reproduire avec des spécimens sauvages et n’éprouvait aucun problème à retourner vivre à l’état sauvage au besoin.

Bien que certains chats soient de piètres chasseurs, la grande majorité ne peut résister à attaquer toute créature qui oserait circuler dans son champ de vision. Tout y passe: petits mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles et invertébrés. Cette vilaine manie a convaincu les spécialistes de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) d’inscrire le chat domestique dans la liste des 100 espèces exotiques envahissantes les plus dommageables pour le maintien de la biodiversité. En effet, à l’échelle mondiale, le chat serait responsable de l’extinction d’une trentaine d’espèces d’oiseaux comme le kakapo (Strigops habroptilus) et le xénique de Stephens (Xenicus lyalli), deux espèces endémiques de Nouvelle-Zélande et de la disparition de certains mammifères endémiques des Caraïbes et des Îles Galapagos. Aux États-Unis, il serait responsable du déclin de plusieurs espèces en danger d’extinction, dont le lapin des marais (Sylvilagus palustris hefneri).

Selon l’Institut canadien de la santé animale, en 2020, il y avait plus de 8,1 millions de chats domestiques au pays, sans compter les chats errants. En 2008, près de 30 % des foyers québécois possédaient un chat comme animal de compagnie.

En 2013, une étude publiée dans le Avian Conservation and Ecology concluait que les chats représentent une des principales causes de mortalité chez les oiseaux au pays. Selon les estimations, entre 105 et 348 millions d’oiseaux périssent chaque année sous les crocs de chats domestiques, un grand nombre étant tués par des chats errants.

Réduire les impacts de minou

SOS Miss Dolittle, un refuge pour animaux sauvages blessés et orphelins situé sur la Rive-Sud de Québec, est aux premières loges pour observer l’impact du chat sur la faune. En 2021, l’établissement a accueilli plus de 1300 animaux dont 900 oiseaux – 15% de ces oiseaux avaient été blessés par un chat.

Pour Jennifer Tremblay, fondatrice du refuge, la meilleure solution pour réduire les dégâts de notre compagnon est simple: “le garder à l’intérieur!” Cette mesure serait salvatrice à la fois pour la faune sauvage, mais aussi pour la santé de nos chats. En effet, l’espérance de vie moyenne des chats qui fréquentent l’extérieur serait de 5 ans contre 15 ans pour ceux qui restent à l’intérieur. Les causes de cet écart sont multiples : blessures causées par d’autres chats ou animaux sauvages, maladies, collisions, maltraitance, etc. Une autre solution à préconiser est de s’assurer de faire stériliser son chat, vu son taux de reproduction élevé et du grand nombre d’attaques perpétrés par les chats errants.

Dans les rares situations où il serait impossible de garder notre chasseur favori à l’intérieur, l’usage de colliers à clochettes serait à considérer afin de réduire ses succès de chasse. Les oiseaux étant très sensibles aux couleurs, une excellente solution à envisager est de munir notre félin d’une collerette colorée, un dispositif qui alerte visuellement les oiseaux de sa présence. En bonus, votre chat aura des allures de carte de mode!

Au sujet des colliers, Jennifer Tremblay précise toutefois qu’ils sont peu efficaces pour protéger les oiseaux ou mammifères juvéniles : «Ils n’ont pas encore appris à craindre le chat et sont trop vulnérables pour se défendre. Un chat peut détruire une nichée complète en quelques instants», précise la spécialiste en réhabilitation animale.

Une tranche d’histoire

Les inquiétudes au sujet de l’impact des chats domestiques sur la faune ne datent pas d’hier. En 1930, le journal Le Clairon, publié à Saint-Hyacinthe, décrivait le chat domestique en ces termes :
Presque tous les animaux carnassiers sont des destructeurs d’oiseaux, mais le pire est le chat domestique. À la nuit tombante, on le voit le long des routes satisfaire ses instincts carnassiers. On ne saurait croire le nombre d’oiseaux et de petites bêtes inoffensives détruits par ce félin hypocrite. Et les oiseaux chanteurs qui font leur nid aux alentours de nos maisons, sont en grande partie détruits par ces maraudeurs.

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