La thérapie virtuelle fait ses preuves pour les personnes atteintes du trouble de la personnalité limite

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Par Cynthia Martel
La thérapie virtuelle fait ses preuves pour les personnes atteintes du trouble de la personnalité limite
L’infirmier clinicien Philippe Samson est l’un des intervenants attitrés aux thérapies destinées aux personnes atteintes du trouble de la personnalité limite. (Photo : Ghyslain Bergeron)

SANTÉ. Il y a à peine deux ans, la téléconsultation en santé mentale n’était pas envisageable. Malgré les doutes et les réticences de ses pairs, le Dr Luc Gilbert a déployé des thérapies de groupe virtuelles pour les personnes atteintes du trouble de la personnalité limite en plein cœur de la pandémie. Aujourd’hui, il est à même de constater que cette nouvelle approche a des retombées positives, notamment en raison du taux de rétention significatif des participants.  

Pour ce médecin psychiatre et adjoint au chef de département de psychiatrie de Drummondville, il était hors de question d’assister à une rupture de services pour ce type de clientèle lorsque tout le Québec a été mis sur pause en 2020.

«On fait affaire avec des patients très vulnérables et instables qui prennent énormément de services, que ce soit à l’urgence, dans les cliniques, avec les policiers. Des gens très souvent en crise. Avec la pandémie, on ne pouvait plus se présenter à l’hôpital comme on veut. Une rupture de services était inconcevable, car c’est comme si on abandonnait ces gens. J’avais vu dans la littérature que la thérapie de groupe virtuelle se faisait déjà aux États-Unis, en Europe et que les résultats étaient somme toute excellents. On avait la technologie à notre disposition, donc je m’étais dit pourquoi ne pas l’utiliser?», raconte-t-il.

Les deux thérapeutes d’alors, dont Philippe Samson, infirmier clinicien, ont embarqué dans le projet sans hésiter.

«Ce sont des gens qui ont de la difficulté à s’adapter et on était dans une période où l’adaptation était très difficile pour tout le monde. Il fallait donc maintenir le service», soutient-il, en précisant que 100 à 125 usagers participent chaque année aux thérapies de groupe sur les 300 références reçues.

Mais ce virage numérique engendrait certains défis médico-légaux.

«Il y a toute la question de confidentialité. Quand on est dans un local, on a un certain contrôle sur qui peut voir les participants autour de la table, car on est dans un local qui respecte l’intimité, mais devant une caméra, la personne peut être chez elle ou au travail, ce qui veut dire qu’un proche ou un collègue peut identifier certains participants», indique l’infirmier qui dirige les thérapies.

«Plusieurs régions ont abandonné l’idée à cause de toutes ces contraintes médico-légales. Plusieurs de mes collègues se questionnaient aussi sur la façon d’intervenir si jamais quelqu’un menaçait de s’enlever la vie devant l’écran, par exemple. Malgré tout, on a réussi à convaincre les décideurs et on a été appuyé par les avocats du CIUSSS rapidement. Par chance, car si on n’était pas aller de l’avant, l’impact aurait été assez terrible», se remémore le Dr Gilbert.

Au grand étonnement de plusieurs, cette décision s’est avérée excellente. La nouvelle formule proposée apporte son lot d’avantages et contribue à augmenter les bénéfices de la thérapie.

«Au fur et à mesure, on s’est aperçu que ça faisait l’affaire de beaucoup de monde. D’abord, parce que ça permet d’avoir accès au service peu importe où tu es et de gagner du temps, car tu évites les déplacements. Les gens perdent également moins d’heures de travail. Et même si tu as la COVID, tu peux te connecter! D’ailleurs, c’est tout aussi pratique pour le personnel», énumère Philippe Samson.

Celui-ci note aussi que les usagers apprécient mieux la formule virtuelle en raison de l’anxiété qu’ils ressentaient à devoir rencontrer d’autres personnes dans les séances de groupe.

Dr Luc Gilbert
Dr Luc Gilbert, médecin psychiatre et adjoint au chef de département de psychiatrie de Drummondville. (Photo Ghyslain Bergeron)

«De plus, ça limite de beaucoup les crises, car avec la distance, les gens ont moins tendance à s’engueuler entre eux. Ils se sentent moins envahis», fait valoir le Dr Gilbert.

Autre avantage, les groupes virtuels permettent d’accueillir plus d’usagers simultanément, soit jusqu’à 25, comparativement aux rencontres en présentiel dont la capacité est d’environ 15 à 20 personnes.

Ces éléments positifs ont contribué à augmenter de façon significative le taux de rétention. En général, les gens poursuivent leur implication jusqu’à trois rencontres supplémentaires qu’auparavant en personne.

«Maintenant, ils ont moins de raisons de ne pas assister à leur thérapie, car tout peut se faire dans le confort de leur foyer. Notre but, en fait, c’est qu’on veut vraiment être accessible pour cette clientèle-là, donc on s’adapte constamment. C’est même arrivé qu’on fournisse des tablettes électroniques», soutient l’infirmier clinicien.

«Il y a deux choses sur lesquelles la thérapie agit très rapidement : les tentatives de suicide et les présences à l’urgence. Ce qu’on voit, c’est que les patients reviennent très peu dans le giron de la salle d’urgence lorsqu’ils poursuivent leur thérapie comme il se doit», souligne le médecin psychiatre.

Adaptation technologique

En plus des défis médico-légaux rencontrés, l’équipe du Dr Gilbert a dû s’adapter sur certains points pour offrir un service complet et tout aussi de qualité.

«Un des défis concernait l’aspect observation. En fait, ce qui a été le plus difficile, c’est de passer d’un contact global (en présence) à un contact individualisé. Car sur un écran, on peut manquer plusieurs informations et réactions. Par chance, on est toujours deux intervenants par séance, ça aide aussi lorsqu’on doit ramener certains participants au cadre», détaille M. Samson.

«Du côté des usagers, ils nous ont mentionné en cours de route que le contact humain leur manquait. Donc, ce qu’on fait maintenant, c’est qu’on forme de temps à autre, toujours sur la plateforme virtuelle, des sous-groupes. De cette façon, ils peuvent discuter entre eux et faire des ateliers. On peut même faire notre volet relaxation en partageant à l’écran une vidéo YouTube ou même, mettre des gens dans la salle d’attente de la plateforme si on a besoin de faire une intervention personnalisée. Notre but, c’est vraiment de recréer le plus proche possible ce qui se fait en vrai», ajoute-t-il.

Un modèle à conserver et à reproduire

Le Dr Luc Gilbert est catégorique : la thérapie en ligne constitue une voie d’avenir que le réseau doit conserver.

«Il ne faut pas abandonner ça. Ce serait de revenir à des pratiques épouvantables. On le voulait depuis des années, mais personne ne voulait le déployer. Ç’a donc pris la pandémie pour l’avoir!»

Dans un avenir rapproché, les usagers auront le choix de leur thérapie en personne ou à distance. Plusieurs suivis individuels de psychiatrie sont également réalisés en téléconsultation.

«Facilement 30 % de toute notre consultation pourrait se faire par téléphone ou visioconférence. Pour les groupes, la formule hybride sera probablement proposée», conclut l’adjoint au chef de département de psychiatrie de Drummondville, qui est prêt à collaborer avec d’autre collègues de la Mauricie et du Centre-du-Québec pour implanter cette nouvelle formule.

 

Trouble de la personnalité limite

D’après la description du site du gouvernement du Québec, les personnes atteintes d’un trouble de la personnalité limite ont une peur extrême ou exagérée de perdre leurs liens avec les membres de leur entourage. Elles se sentent facilement rejetées ou abandonnées par les autres, ce qui crée des conflits dans leurs relations sociales.

«Des éléments biologiques et une part génétique contribuent au TPL. Ça part surtout d’un sentiment d’attachement très insécure qui s’est bâti sur des bases très pathologiques : parents négligents, violence physique, verbale, et parfois sexuelle. En d’autres mots, ce sont des gens qui n’ont pas bâti une relation interpersonnelle sécurisante», explique le Dr Luc Gilbert, médecin psychiatre.

Le trouble de la personnalité limite affecte la manière de penser et d’agir des personnes atteintes.

«Ce sont des personnes chaotiques dans toutes les sphères de leur vie et qui vivent tout de manière intense.»

Les symptômes apparaissent généralement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte.

Des études cliniques ont démontré que l’état d’une personne s’améliore de façon importante lorsque le trouble est détecté rapidement et qu’un traitement adéquat est entrepris.

«Je dirais même qu’on peut en guérir. J’en enlève des diagnostics, parce que rendu à une certaine étape de leur vie, ces gens ne répondent plus aux critères du diagnostic, car ils ont appris des choses et les outils reçus les ont aidés à être plus stables dans leur vie et sur le plan émotionnel, être moins dans la toxicomanie et dans les comportements dommageables. Il y a 25 ans, les gens disaient que les boderline, il n’y avait rien à faire avec eux. Depuis ce temps, les chercheurs ont bâti des thérapies. C’est un des meilleurs résultats qu’on a en psychiatrie», soutient le Dr Gilbert.

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