«C’est l’apocalypse» – Une employée de Frederick-George-Heriot

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Par Cynthia Martel
«C’est l’apocalypse» – Une employée de Frederick-George-Heriot
Six des huit unités sont présentement en éclosion de la COVID-19, pour un total de 81 cas. (Photo : Ghyslain Bergeron)

COVID-19. Pendant que la population générale jouit d’une vie un peu plus normale, le Centre d’hébergement Frederick-George-Heriot a des allures d’apocalypse.

Des décès qui se succèdent, des employés qui tombent comme des mouches, des résidents recouverts d’excréments et contentionnés : tous vivent l’enfer depuis quelques semaines. Six des huit unités sont présentement en éclosion de la COVID-19, pour un total de 81 cas. Trente-deux employés sont également retirés. Depuis les Fêtes, le variant Omicron n’a pas de pitié pour ce CHSLD.

«On n’a jamais eu autant de cas, on pète tous les records. Depuis mardi (8 mars), c’est le branle-bas de combat», indique une employée qui a requis l’anonymat par crainte de représailles de son employeur. Plus de la moitié de ses usagers sont positifs.

La terreur s’est emparée des résidents.

«Les gens décèdent dans des chambres à deux… Pendant que je traite la personne en fin de vie, je dois traverser l’autre côté du lit pour rassurer l’autre résident. J’essaie de rester forte, mais ce n’est pas évident. Je suis une personne solide, mais ces derniers jours, je pleure souvent», affirme celle qui a dû «soulager et stabiliser» à elle seule quatre personnes en fin de vie durant un quart de travail, ce week-end.

Selon les mesures mises en place, tous les résidents des unités touchées doivent s’isoler dans leur chambre.

«Ils sont emprisonnés, carrément. Ce ne serait même pas acceptable pour les prisonniers; les avocats interviendraient rapidement, c’est certain. Là, on les oblige à rester dans leur chambre, ce qui augmente le risque de chute, parce qu’ils bougent moins. On a donc des détecteurs de mouvement partout et s’ils bougent un peu trop, on leur donne une pilule, on les contentionne chimiquement, car on n’a pas le temps de bien gérer toutes les chutes qui arrivent en temps normal, donc encore moins en ce moment», expose-t-elle, en soufflant qu’il s’agit d’une manière indigne de finir sa vie.

Après deux ans de pandémie et avec le manque constant et criant de main-d’œuvre, le personnel est exténué. Submergé par la gestion des cas de COVID-19, il ne parvient plus à prodiguer dignement les soins de base.

«Combien de patients sont dans le caca des heures de temps? J’ai eu mon électrochoc la semaine dernière quand j’en avais 12 en même temps dans leurs excréments. C’est rendu que c’est la loterie chanceuse, qui sera changé en premier? C’est ça chaque jour, c’est rendu la normalité, mais ce n’est pas ça la normalité. Tout est rendu trop; tout le monde est dépassé par les événements, incluant les gestionnaires. Bref, c’est l’apocalypse. On met les patients en danger et on se met aussi en danger, en étant brûlés.»

Face à ce tel chaos, l’employée se sent impuissante et coupable. Coupable de ne pas pouvoir en faire plus et faire vivre aux usagers de telles conditions.

«Veut veut pas, en essayant de rester fort pour faire notre travail, on devient avec une certaine insensibilité devant tout ce qui arrive et ça ne devrait pas. Mais je crois que c’est un mécanisme normal de défense d’un humain qui ne peut plus en prendre plus, sinon il va disjoncter.»

Elle poursuit : «Je le répète, c’est inhumain ce qu’ils vivent en ce moment, mais on le tolère. Je ne peux pas croire que je participe à cette maltraitance-là… Je me sens coupable. On ne traiterait pas des animaux comme ça, ça ferait un tollé. En tant qu’infirmière, tu veux toujours aider, c’est intrinsèque, mais en ce moment, j’ai constamment l’impression de mal faire mon travail.»

Résident au 2e Ouest, une des unités touchées, Roland Fleury se désole de la situation, mais voue une grande admiration pour tout le personnel.

«C’est la guerre ici : le personnel tombe, mais se relève toujours, même s’il n’en vient pas à bout. Ça n’a pas d’allure comment les employés travaillent, ils n’arrêtent pas. Ils sont très très dévoués. Présentement, toutes leurs énergies sont sur les personnes malades de la COVID. Il y a des priorités, je comprends bien ça», exprime celui qui a contracté la COVID il y a quelques semaines.

«Il nous faut de l’aide»

Le cœur du problème, estime-t-elle, c’est le manque de bras. À titre d’exemple, un minimum de six préposés aux bénéficiaires est requis sur l’unité où œuvre l’employée pour le quart de soir. L’équipe a peine à en avoir cinq. Et si la chance les sourit une soirée, ils ont un coup de main d’un ou deux aides de service, lesquels ne sont pas autorisés à changer les culottes, par exemple.

«Il manque tous les titres d’emplois de telle sorte qu’on fait parfois des tâches qui ne nous sont pas destinées, par exemple, les infirmières font la job des infirmières auxiliaires», fait-elle savoir.

«Mon but en vous parlant, c’est d’informer les gens de ce qui se passe. Je ne tape pas sur personne, car tout le monde fait ce qui peut, mais là, il nous faut de l’aide!» réclame-t-elle.

Depuis le 4 mars, une équipe de sept à huit employés de la Croix-Rouge prête main-forte sept jours sur sept au personnel de Frederick-George-Heriot.

«C’est le jour et la nuit quand ils sont là. Hier, à 17 h 45, toute la routine du souper était terminée. Je capotais! La journée d’avant, une dame de 102 ans était encore assise à 90 degrés dans ses selles et devant son plateau de repas à 23 h», se désole-t-elle.

«Ça nous permet, entre autres, de manger plus chaud. Ils sont limités dans ce qu’ils peuvent faire, mais ils aident beaucoup», exprime de son côté M. Fleury.

Le CIUSSS se dit en mode action

Par ailleurs, le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec reconnaît que le retrait de plusieurs employés vient poser un défi supplémentaire aux équipes. Ainsi, l’établissement informe que «plusieurs actions sont en cours pour prêter main-forte sur le terrain».

D’abord, du personnel d’autres centres d’hébergement à proximité a été transféré à Frederick-George-Heriot et certains membres du personnel déjà en place ont été réaffectés à d’autres tâches.

«Des titres d’emplois variés donnent un coup de main à l’alimentation, par exemple, des techniciens en loisirs, des intervenants en soins spirituels, des techniciens en réadaptation et des ergothérapeutes. De plus, quelques employés d’autres secteurs, comme le dépistage, ainsi qu’un retraité, sont venus épauler les équipes», indique Kellie Forand, agente d’information au CIUSSS MCQ.

Qui plus est, les gestionnaires et du personnel administratif aident les équipes sur le terrain.

«Les gestionnaires se relaient pour assurer une présence 7 jours sur 7, autant sur les quarts de jour et de soir», précise Mme Forand.

Concernant la Croix-Rouge, cette dernière souligne que ces employés se sont engagés pour une période de trois semaines minimalement. Une demande leur a aussi été adressée pour rehausser à 13 personnes.

«Nous sommes très sensibles à l’impact que les éclosions peuvent avoir sur les résidents. La présence de la Croix-Rouge est un soutien important pour éviter leur déconditionnement», affirme l’agente d’information.

Le CIUSSS soutient pour sa part que «tous les soins de base sont donnés à l’ensemble des résidents.»

«Nous sommes en contact régulier avec les familles des résidents pour nous assurer de leur santé et leur bien-être. Nous sommes extrêmement reconnaissants du travail de notre personnel, de l’ensemble des personnes qui ont prêté main-forte aux équipes, ainsi que de la Croix-Rouge pour leur soutien», conclut-elle.

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