Leur mission : désamorcer les crises

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Par Marilyne Demers
Leur mission : désamorcer les crises
Émilie Hamel et Marie-Ève Vigneault, de l’équipe de crise de Drummond. (Photo : Ghyslain Bergeron)

SANTÉ. Sur le terrain, l’équipe de crise est appelée à intervenir dans des situations difficiles : décès tragiques, agressions sexuelles, crises conjugales ou familiales, personnes à risque suicidaire. Leur travail, bien qu’encore méconnu, est d’autant plus essentiel, alors que les interventions psychosociales ont connu une hausse significative au cours de la dernière année.

Les pagettes des intervenants de l’équipe de crise de Drummond sonnent souvent. Bien plus qu’à l’habitude. La plupart du temps, les appels proviennent des intervenants du 811 Info-social qui, au bout du fil, discutent avec une personne en situation de crise. D’autres fois, ce sont les policiers, le personnel hospitalier ou encore le Centre d’écoute et de prévention suicide (CEPS) Drummond qui les interpellent.

Aussitôt, un membre de l’équipe de crise se rend sur place pour désamorcer la crise. Les sorties peuvent avoir lieu au domicile de l’usager, à l’urgence, au poste de police ou dans un endroit public, et ce, sur tout le territoire de la MRC de Drummond.

«Quand on se déplace, c’est parce qu’il y a vraiment une situation de crise aiguë, de détresse aiguë. C’est parce qu’on a besoin d’être là, d’humain à humain», indique Marie-Ève Vigneault, responsable de soutien et d’encadrement à l’équipe de crise de Drummond.

Lorsqu’ils se déplacent, les intervenants doivent être prêts à tout. «L’intervenant part avec un topo du 811 ou du partenaire, qui parfois, est un peu bref. C’est bien d’avoir un plan de match, mais il faut avoir une très grande capacité d’adaptation aux changements. On fait du 0-100 ans, toutes problématiques. Des fois, ce qu’on pense qu’il n’arriverait pas, on le vit», mentionne-t-elle.

D’ailleurs, l’aspect sécurité n’est pas à négliger. «On s’en va dans des milieux où on ne connait pas les gens. La personne peut être en consommation, en psychose. Des fois, les policiers sont avec nous; des fois, on est seul. Il faut tout analyser et minimiser les risques de danger», soutient Mme Vigneault.

Si la nature des sorties de crise varie, celles auprès des personnes ayant un état mental perturbé ou à risque suicidaire sont un peu plus fréquentes. L’estimation du risque suicidaire fait d’ailleurs partie du mandat de l’équipe de crise. «Autant on est là quand la personne est en détresse, autant on va estimer si on craint pour sa sécurité, si on est capable de mettre en place un filet de sécurité, si on va l’hospitaliser contre son gré ou si on va être capable de l’amener d’elle-même vers l’hospitalisation. On s’occupe aussi de la famille, des amis, des proches endeuillés par suicide, des gens qui vivent des traumatismes parce qu’ils ont trouvé ces personnes», affirme la responsable de soutien et d’encadrement à l’équipe de crise.

Ce sont également les intervenants qui doivent évaluer si la loi P-38 peut être utilisée pour amener la personne à l’hôpital pour qu’elle y soit soignée. Selon les recommandations, les policiers peuvent l’appliquer. «Des fois, on réussit à dire la petite phrase de plus qui fait que la personne était sur le bord de passer à l’acte, mais qu’elle accepte d’appeler un ami ou d’aller dormir chez quelqu’un. D’autres fois, on n’y arrive pas et on est obligé d’hospitaliser la personne contre son gré. La loi P-38 a des critères très précis pour lesquels le danger doit être immédiat et où il y a un risque très probable pour la sécurité. Je ne peux pas priver une personne de ses droits parce qu’elle ne va pas bien. On a aussi des limites dans nos interventions», explique Émilie Hamel, intervenante au sein de l’équipe de crise de Drummond.

Ces interventions psychosociales amènent l’équipe de crise à être témoin, parfois, de scènes difficiles. «En général, le décès d’un enfant, c’est ce qui vient nous chercher le plus. Les gens sont tellement détachés, leur monde vient de s’écrouler et à ce moment-là, on est leur seul pilier. Ils vivent le moment le plus horrible de leur vie, mais si on peut apporter un peu de douceur et de légèreté, elle est là notre paie. C’est difficile, ça nous fait vivre pleins d’émotions et on a tous déjà eu un motton à l’intérieur à un certain moment, mais c’est là qu’on se rend compte qu’on est utile», souligne Marie-Ève Vigneault.

C’est aussi là où le travail d’équipe fait la force. «Quand tu finis une sortie de crise, quand tu as vécu des choses plus difficiles, il faut que tu aies une équipe vers qui te retourner. C’est ça qui est beau avec la nôtre. Aussitôt que quelqu’un va moins bien, l’équipe en prend plus et ce n’est même pas à discuter. Travailler en équipe, c’est notre seule porte de sortie pour conserver notre santé mentale», fait valoir Émilie Hamel.

Intervenants débordés

Depuis deux ans, la pandémie a eu un effet sur la santé mentale de la population. L’équipe de crise a été grandement sollicitée. «Il y a eu beaucoup de personnes avec des idées suicidaires et de la détresse, mais aussi des crises familiales, des situations de violence conjugale. La pandémie a également accentué les problèmes de consommation. Ce ne sont pas juste des gens qui consommaient déjà, mais aussi des gens qui ont commencé à consommer», expose Marie-Ève Vigneault.

Les intervenants constatent que le déconfinement et l’allègement des mesures sanitaires ont contribué à augmenter les sorties de crise. «Socialement, les gens ne sont plus habitués de se voir. On se retrouve avec des chicanes. Les gens consomment plus. Ils se voient et se rappellent de vieilles histoires. Il y a la division du vaccin, pas vaccin», observe Émilie Hamel, ajoutant que les agressions sexuelles sont aussi en hausse.

Si la majorité des mesures sanitaires sera levée sous peu, le retour à une vie dite plus normale pourrait s’avérer difficile pour certains.  «Des gens ont développé des troubles anxieux et ne se sentent pas à l’aise de retourner à leurs loisirs. Certains ont pris goût à rester isolé à la maison. Ils développent une anxiété sociale. C’est là où les gens tombent aussi en détresse. Il y a beaucoup d’enjeux, même si ça déconfine», prévient Marie-Ève Vigneault.

En raison du nombre élevé de sorties de crise, l’équipe de Drummond compte maintenant huit intervenants permanents et deux remplaçants. Auparavant, ils étaient cinq membres.

Par passion

En semaine, de 8h à 16h, les interventions psychosociales sont confiées à l’équipe du service d’accueil, d’analyse, d’orientation et de référence  du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (MCQ). L’équipe de crise intervient en dehors de cette plage horaire.

«L’équipe de crise, c’est en plus de notre travail. On a tous un poste dans un secteur du CIUSSS MCQ, fait savoir Émilie Hamel, qui est éducatrice spécialisée pour l’équipe de suivi d’intensité variable en santé mentale adulte au CLSC. On est de garde. En semaine, on fait de 16h à 8h et la fin de semaine, c’est 24h. Quand on a des appels qui sont de soir ou de nuit, c’est en plus de notre journée de travail. Le lendemain, on rentre pour notre journée régulière.»

Durant leur garde, les intervenants ignorent le nombre de fois qu’ils seront appelés à sortir. «On peut avoir zéro ou quatre appels. Il arrive qu’on ait des appels doubles, donc qu’on soit déjà en appel et que la pagette sonne. Présentement, on a toujours un deuxième intervenant qui est de garde parce qu’il y avait trop d’appels. Normalement, on est seul», informe Mme Hamel, qui a joint l’équipe de crise de Drummond il y a environ cinq ans.

Toutes les personnes faisant partie de l’équipe de crise le font sur une base volontaire. «Ce sont tous des gens qui en mangent. Beaucoup de gens ne se voient pas là et effectivement, je ne pense pas que c’est une place faite pour tout le monde. Il faut avoir le profil, être à l’aise dans la gestion du risque et de crise, mais aussi avoir une tête sur les épaules pour ne pas se mettre en danger», indique Marie-Ève Vigneault, spécialiste en activités cliniques, qui, pour sa part, fait partie de l’équipe de crise de Drummond depuis 2014.

Les sorties de crise peuvent être complexes, avoir lieu à toute heure de la journée ou de la nuit et obligent les intervenants à faire des sacrifices. Malgré tout, ils choisissent d’en faire partie.

«Lors de nos interventions, il arrive que des gens nous disent qu’on se fout d’eux, qu’on est payé pour être là. Moi, si je voulais être chez nous dans le confort de mon foyer un samedi soir, je le ferais. Mais j’ai choisi d’être disponible, d’être là. Tu ne peux pas faire ce travail juste pour la paie. On le fait parce que ça nous tient à cœur, c’est une passion», conclut Mme Vigneault.


Sorties de l’équipe de crise

  • 2017-2018 : 188
  • 2018-2019 : 175
  • 2019-2020 : 330
  • 2020-2021: 345
  • 2021-2022 : 547 *

* Ces sorties ont été réalisées entre avril 2021 et janvier 2022. D’autres s’ajouteront donc d’ici avril prochain.

811

La population peut communiquer en tout temps avec le service Info-Santé Info-Social, en composant le 811, pour une réponse immédiate à une problématique de santé non urgente ou de nature psychosociale. Des intervenants sont disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. En cas de problématique de santé majeure et urgente, les citoyens ne doivent pas hésiter à se présenter directement à l’urgence ou appeler le 911.

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