Le double défi de la cabane à sucre Chez Ti-Père

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Par Lise Tremblay
Le double défi de la cabane à sucre Chez Ti-Père
Les enfants des propriétaires de la cabane à sucre Chez Ti-Père sont atteints d’une maladie rare. On aperçoit sur la photo Keaven Audet, Julie Grégoire ainsi que Léo et Louka. (Photo : Ghyslain Bergeron)

DRUMMONDVILLE. La réouverture imminente de la cabane à sucre Chez Ti-Père ne sera pas de tout repos pour les propriétaires Keaven Audet et Julie Grégoire. Non seulement ils font face au dur constat de la pénurie de main-d’oeuvre, ils doivent parallèlement prendre soin de leurs enfants récemment diagnostiqués d’une maladie rare appelée le syndrome de l’X fragile.

Ce couple d’entrepreneurs savait déjà que leurs petits protégés, Léo et Louka, âgés respectivement de 5 et 3 ans, étaient atteints du trouble du spectre de l’autisme, niveau sévère. Des analyses plus poussées leur ont appris, quelques mois plus tard, qu’ils avaient aussi une maladie génétique rarissime.

«On a appris la nouvelle en pleine pandémie, en décembre 2020. J’étais seule à l’hôpital, car on ne pouvait pas être accompagné. Mes jambes ont lâché. Je me suis effondrée au sol. Encore aujourd’hui, mon deuil n’est pas terminé. Je vis encore des moments tristes, mais je m’accroche à leur sourire et on essaie de leur donner le meilleur de nous-mêmes», exprime Julie Grégoire, la maman des jeunes garçons.

Ceux-ci présentent tous deux une déficience intellectuelle. Ils ne parlent pas, ont des retards de développement et portent toujours des couches. Même s’ils ont la même maladie, celle-ci s’exprime différemment. L’un est très introverti; l’autre extraverti.

Keaven Audet et son fils Louka. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Ils sont vraiment à l’opposé. On ne peut pas se baser sur l’un pour l’éducation de l’autre, car ils sont très différents», indique Keaven Audet.

Ayant une pensée basée au jour le jour, ce dernier indique faire son chemin en cherchant constamment des solutions pour améliorer l’existence de ses fils.

«Le temps que je prendrais pour m’apitoyer sur notre sort, c’est du temps que je perdrais pour trouver des outils, exprime-t-il. Malgré tout, on a la chance d’avoir deux enfants. La différence entre nous et des parents dits normaux réside dans le fait qu’un parent va normalement apprendre des choses à ses enfants. Nous, ce sont nos enfants qui nous en apprennent. Ils nous montrent la vie et ils nous mettent des freins. Nous sommes propriétaires d’une entreprise (cabane à sucre) et copropriétaires d’une autre (Doyon Construction Plus). On s’y investit à 200 %. Chaque jour, on n’a pas le choix de se déconnecter entre 16 h 30 et 19 h 30 puis d’être à 100 % avec eux. C’est bizarre, mais il s’agit d’un bel équilibre pour des entrepreneurs comme nous. Ce temps nous permet de prendre un recul face à notre vie professionnelle. Combien d’entrepreneurs n’ont pas vu grandir leurs enfants? La vie fait en sorte qu’on n’a pas le choix de passer du temps ensemble. Ces deux petits êtres demandent qu’on se surpasse constamment.»

Des centaines de livres de cornichons et de betteraves

À travers sa vie familiale on ne peut plus chargée, le couple se donne corps et âme à ses entreprises. En pleine pandémie, alors que le centre de la petite enfance était fermé, Julie Grégoire a cuisiné elle-même, dans sa maison et entourée des garçons, les condiments qui seront servis ces jours-ci à la cabane à sucre. Au total, elle a apprêté 672 livres de cornichons, 512 livres de betteraves en plus d’avoir préparé la tire d’érable et 900 petits cornets au sucre d’érable. «Je n’ai pas fini! Je dois faire 7 000 autres cornets», lance-t-elle, l’oeil pétillant.

Pendant ce temps, son conjoint travaillait à l’entreprise de construction et se chargeait de transporter les grands contenants de légumes.

Et ce n’est pas tout. La mère de 34 ans veille aussi à tout ce qui touche la gestion des entreprises, à savoir les comptes, les commandes, les paies et le service à la clientèle. Elle prepare aussi les boîtes repas à apporter, qui demeurent très populaires au sein de la population locale. Le couple travaille plus de 60 heures par semaine, sept jours par semaine, hormis ces précieuses périodes réservées aux enfants.

En semaine, les garçons fréquentent le CPE la Bécassine de Drummondville. «C’est un endroit extraordinaire. On a pris ça comme un cadeau de la vie. Les enfants sont bien et nous sommes en confiance. Ça n’a pas de prix à nos yeux», souligne le père, qui craint cependant que les petits subissent de l’intimidation à l’école. «Ma montagne en tant que père, c’est vraiment la rentrée scolaire», partage-t-il.

Léo, 5 ans, a le syndrôme de l’X fragile. (Photo Ghyslain Bergeron)

Pénurie de main-d’oeuvre

La saison des sucres étant officiellement lancée, Keaven et Julie se disent fébriles à l’idée de rouvrir la salle à manger et d’y accueillir les convives dans une atmosphère basée sur le plaisir.

«On commence la saison avec enthousiasme, mais aussi avec une crainte liée à la main-d’oeuvre. On ne peut pas se permettre de mettre la pédale au plancher. Nous cherchons du personnel de cuisine. À ce jour, je n’ai aucun employé dans les cuisines de soir. Le personnel que nous avions avant la pandémie n’est pas revenu», informe M. Audet, en précisant que les différents postes vacants sont affichés sur plusieurs sites.

«La semaine dernière, j’avais cinq entrevues à l’agenda et personne ne s’y est présenté finalement. Cette situation m’inquiète. On est jeunes. On est capable d’en faire beaucoup, mais on a quand même des enfants.»

Considérant cette situation, Chez Ti-Père offre à nouveau cette année la possibilité d’acheter des boîtes-repas à apporter à la maison. Les gestionnaires ont aussi décidé de penser davantage en fonction de la qualité au lieu de la quantité. «On aime mieux offrir une expérience exemplaire à moins de monde que d’ouvrir plus largement et devoir faire attendre notre clientèle», explique M. Audet.

La pandémie a été dure pour les affaires. Si les boîtes-repas ont permis à l’entreprise de tirer son épingle du jeu en 2021, il n’en demeure pas moins qu’elle a mis les finances à rude épreuve. «Les deux ans de pause nous ont fait reculer six ans en arrière. C’est la claque que nous avons reçue. Personnellement, on a réussi à survivre à cause de la compagnie de construction», confie en terminant l’entrepreneur, qui a acheté la cabane à sucre en 2013.

Soulignons que la cabane à sucre Chez Ti-Père est située dans le secteur Saint-Nicéphore, à Drummondville.

Le couple est propriétaire de la cabane à sucre Chez Ti-Père depuis 9 ans. (Photo Ghyslain Bergeron)
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