Vignes et climat au Québec : une prévisible explosion des ravageurs

Isabelle Burgun — Agence Science-Presse (www.sciencepresse.qc.ca)
Vignes et climat au Québec : une prévisible explosion des ravageurs
(Photo : Depositphoto)

SCIENCE. Le réchauffement climatique s’avère positif pour les vignes, mais aussi pour la prolifération des insectes dans les vignes. Le manque de vigueur des hivers pourrait en effet faire venir en abondance de nouveaux ravageurs, comme le scarabée japonais, sans parler d’une explosion des populations d’insectes déjà présents. 

«Nous connaissons les arthropodes établis ici qui étendent leur aire de distribution avec la chaleur. Il faudra compter avec ceux de l’extérieur, susceptibles de survivre avec le réchauffement des températures hivernales et qui n’ont pas de prédateurs ici», résume l’entomologiste Charles Vincent, du Centre de recherche et de développement d’Agriculture et agroalimentaire Canada, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Le réchauffement climatique a un impact direct sur le développement des arthropodes « poïkilothermes » — ceux à sang froid, dont la température extérieure varie avec celle de leur milieu. Certains organismes nuisibles présents dans le sud de l’Ontario, comme la mineuse de la tache (Antispila viticordifoliella), la cochenille du raisin (Pseudococcus maritimus), la cochenille de l’Europe (Parthenolecanium corni) et bien d’autres, pourraient étendre leur distribution géographique actuelle en raison du réchauffement.

Présente dans les vignes depuis 2012, la Drosophila suzukii, originaire de l’Asie du Sud-Est, qui pond ses œufs dans les fruits sains, constitue un bon exemple, bien qu’elle préfère les framboises, les mûres ou les bleuets à la fine peau. « Le grain de raisin n’est pas son préféré, mais elle est capable d’y pondre », explique l’entomologiste spécialiste des vignes. Il se méfie toutefois plus de la « punaise diabolique » ou punaise marbrée (Halyomorpha halys) repérée depuis 2008 dans la région montréalaise, mais pas encore présente dans les vignes : « Les nymphes et les adultes piquent les fruits et cette punaise s’attaque à tout », relève-t-il.

Le réseau de surveillance va bon train. Le gribouri de la vigne ou chrysomèle du raisin (Fidia viticida), présent en Ontario, a été repéré en 2016 à Laval. Il est pour l’instant absent des vignes cultivées.

Ce que redoute plutôt Charles Vincent, c’est la mouche lanterne tachetée ou fulgore tacheté (Lycorma delicatula) découverte pour la première fois en 2014 en Pennsylvanie. En 2019, cet insecte coloré, impossible à confondre avec un autre, était présent dans plusieurs États de la Nouvelle-Angleterre et proche de Niagara.

Or, la vigne cultivée (Vitis vinifera) s’avère l’un des hôtes préférés du fulgore. « Il est en train d’avaler la Nouvelle-Angleterre. Ce bel insecte fait des dommages économiques épouvantables », résume l’entomologiste. Ce ravageur a été ajouté à la liste des espèces règlementées par l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

Un souci pour les vignerons

Et les maladies des vignes transmises par les insectes pourraient aussi devenir une source de préoccupation. Le « Bois noir », une maladie due à un phytoplasme — un parasite de la sève — détecté en 2006 pour la première fois dans les vignes canadiennes et rapidement éradiqué, a stimulé la recherche sur les phytoplasmes, des bactéries associés aux vignes et qui se transmettent par l’intermédiaire d’insectes suceurs de sève, les cicadelles.

Une autre maladie nommée flavescence dorée a elle aussi comme origine une petite bactérie (Candidatus phytoplasma vitis) transporté par un de ces hemiptères (Scaphoideus titanus). Tout comme le Bois noir, elle n’a pas été observée au Canada en 2020.

« Nous remarquons que les scarabées japonais se multiplient à grande vitesse depuis dix ans. Mon souci, c’est la Drosophila suzukii qui s’attaque aux fruits sains et pas altérés. Je m’attends aussi à voir plus de maladies dans les vignes », relève Charles-Henri de Coussergues, cofondateur et copropriétaire du Vignoble de L’Orpailleur.

Pourtant, l’entomologiste reste, lui, optimiste et trouve que le réchauffement climatique, « c’est encore une bonne chose pour la viticulture québécoise. On ne connaît pas encore les différents scénarios. Est-ce qu’on va avoir une génération de plus ou de nouvelles maladies ? Les réponses dépendront des espèces et des plants de vigne. C’est pour l’instant impossible de se projeter dans l’avenir », tempère Charles Vincent.

Reste en attendant à miser sur le réseau de surveillance entomologique et à tenir à jour les informations sur ce qui se produit ailleurs, particulièrement chez nos voisins du Sud. Puisque les insectes ne s’arrêtent pas aux frontières…

À lire aussi, l’autre texte de cette série :

Vins du Québec : les notes incertaines du bouquet climatique

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