L’invisibilité des aînés LGBTQ+

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Par Cynthia Martel
L’invisibilité des aînés LGBTQ+
Être un aîné LGBTQ+ demeure encore très tabou aujourd'hui au Québec. (Photo : Depositphotos)

TÉMOIGNAGES. Ils ont vécu durant des dizaines d’années sans être eux-mêmes parce qu’à l’époque, ils se faisaient interner ou étaient passibles d’une peine d’emprisonnement. Contrairement à bien des gens de leur génération, ils ont osé sortir du placard, parce qu’ils en avaient assez. Depuis, leur vie n’est plus la même : elle est plus douce, mais des obstacles demeurent. Témoignage de deux aînés LGBTQ+.

Carole Normandin a 74 ans. Elle est née avec un genre qui n’est pas le sien : masculin. Trop longtemps, elle a dû faire semblant et se cacher, par peur de se faire renier, punir par l’Église, jusqu’au jour où sa vie a basculé, à l’âge de 68 ans.

«Après un AVC, en 2015, j’ai décidé que je ne pouvais plus vivre dans l’hypocrisie et le mensonge. Je n’étais plus capable de vivre cette vie-là, j’ai été cachée trop longtemps. Il fallait finalement que j’accepte d’être moi-même. Je voulais aussi éviter à mes proches des surprises et questionnements lors de ma mort, car j’avais beaucoup de vêtements et d’accessoires pour femme. Il fallait donc que je règle ça», explique la femme originaire de la région.

Prenant son courage à deux mains, Mme Normandin a informé sa conjointe des 41 dernières années, puis, quelques mois plus tard, ses enfants. À l’occasion de son 70e anniversaire, soit le 18 février 2017, elle a fait sa sortie en présence de toute sa famille et ses amis. Si cette nouvelle a causé tout un choc, surtout auprès de la femme de sa vie, ce fut une grande libération pour Mme Normandin qui a été acceptée d’emblée telle qu’elle est.

Depuis l’âge de 68 ans, Carole Normandin vit en tant que femme. (Photo gracieuseté)

«Les premiers réflexes de ma conjointe ont été de penser à la séparation, mais heureusement les choses se sont replacées. Aujourd’hui, on est très heureuses ensemble. La vie ne pourrait être plus merveilleuse. Enfin, je suis moi-même! Je vis très bien avec la situation et ma famille également», confie-t-elle, comblée.

«Mais ma vie n’est pas un exemple de celle des personnes trans en général. Souvent, celles-ci sont reniées et rejetées par leur famille, ce qui n’a pas été mon cas. Je me considère chanceuse et choyée», tient-elle à spécifier.

Depuis, elle a franchi toutes les étapes du processus de transition de genre. Les regrets, elle n’en a pas, mais avoue que les premiers temps ont été difficiles en raison du regard des autres.

«Dans les premiers temps, j’étais toujours sur mes gardes. Honnêtement, la première année, je me disais constamment «Est-ce que c’est le prix à payer pour être moi-même?». Par contre, je n’ai jamais été victime de sarcasme, jamais les gens n’ont eu un comportement inacceptable envers moi. Je ne dis pas que les gens ne placotent pas dans mon dos, mais de toute façon, qui a déjà réussi à faire l’unanimité sur la terre? Alors je m’accepte comme je suis et je suis bien ainsi. Les autres, je m’en fous totalement! Par contre, comme tout le monde, j’aimerais que la société soit beaucoup plus ouverte, qu’elle accepte les gens comme ils sont», affirme-t-elle.

Richard-Alain Senneville n’a pas connu le même accueil. Après avoir affirmé son homosexualité en 1994, à l’aube de ses 40 ans, plusieurs membres de sa famille se sont montrés distants. Après quelques années, il a pris la décision de couper les ponts avec ses parents ainsi que ses frères et sœurs.

«J’ai voulu faire mon coming out en 1990, mais ma fille est décédée, donc j’ai reporté ça en 1994. Ç’a été une annonce assez difficile pour mon ex-femme, mais elle a fini par accepter et nous sommes encore amis aujourd’hui, raconte-t-il. Pour moi, c’est comme si on m’avait enlevé une tonne de briques sur mes épaules à ce moment-là. Ç’a été un soulagement».

Ayant fait le choix de vivre ouvertement son homosexualité, M. Senneville a réussi à refaire sa vie et tomber en amour, un rêve qu’il espérant tant.

Richard-Alain Senneville a affirmé son homosexualité en 1994, à l’aube de ses 40 ans. (Photo gracieuseté)

«J’ai été marié pendant 18 ans et eu deux enfants (aujourd’hui décédés), mais j’ai toujours continué à regarder l’autre bord de la clôture, comme on dit. Je me suis tout le temps dit que je n’étais pas avec la bonne personne, mais à l’époque, on nous disait que si on se mariait, on «gairissait». Comme je me cherchais à ce moment-là, que je me posais tout plein de questions, j’ai donc adopté cette façon de penser, tout en me sentant différent», déplore le cofondateur de GRIS Mauricie-Centre-du-Québec, qui est malheureusement veuf.

Carole Normandin s’est également questionnée toute sa vie. «Quand on réalise qu’on n’est pas comme les autres, on se demande pourquoi. À l’adolescence, quand j’ai commencé à être attirée par les femmes, je me demandais pourquoi je veux être une femme quand j’aime les femmes. À cette époque, si tu étais un homme, tu aimais les femmes et vice versa. Il n’y avait pas d’alternative».

«Vers 1976, j’ai consulté, parce que c’était vu comme une maladie mentale. Après plusieurs rencontres, j’ai été considérée comme guérie, autant par le psy que l’Église», se souvient-elle.

L’homosexualité a été considérée comme une maladie mentale jusqu’en 1973 (1990 pour l’Organisation mondiale de la Santé). Ce n’est qu’en 1977 qu’ont été interdites au Québec les discriminations basées sur l’orientation sexuelle, une personne pouvait jusqu’alors perdre son emploi, son logement ou se faire refuser des services parce qu’elle était lesbienne, gaie ou bisexuelle. Pour ce qui est des personnes trans, la loi canadienne ne les protège contre les discriminations basées sur l’identité ou l’expression de genre que depuis 2017.

Vieillir en tant que LGBTQ+

M. Senneville et Mme Normandin s’estiment chanceux de pouvoir s’afficher ouvertement et être eux-mêmes, ce qui n’est pas le cas d’autres personnes de leur génération. Depuis un certain temps, ils témoignent de leurs parcours de vie via des formations offertes par la Fondation Émergence, organisme de défense des droits des personnes LGBTQ+ (voir autre texte ici). Ils le font afin de sensibiliser la population et surtout, les intervenants de milieu, car nombreux encore sont les obstacles que rencontrent les aînés de cette communauté.

«J’ai souvent entendu des gens dire que le jour où ils devront aller en résidence, ils allaient retourner dans le placard. En tant que trans, je ne peux pas retourner dans le placard et de toute façon, je n’ai aucun intérêt à le faire, alors je me suis dit que je profiterais du temps qui m’est alloué pour sensibiliser le plus possible la population pour que nous soyons mieux acceptés», indique la femme de 74 ans.

Celle-ci juge que les aînés LGBTQ+ sont «grandement tolérés» mais pas tous acceptés.

«Je vais être tolérée dans un endroit public, par exemple, ou par plusieurs de mes proches et amis, par contre, certains d’entre eux n’acceptent pas de faire une sortie avec moi, d’où la différence entre tolérance et acceptation», nuance-t-elle.

Être aîné LGBTQ+ est très tabou, au dire de M. Senneville.

«Lorsque je travaillais encore au GRIS, il y a à peine quelques années, nous avions reçu un appel d’un homme qui s’était fait dire par les responsables de la résidence privée où il demeurait, de taire son identité. On était allé rencontrer les propriétaires en leur expliquant qu’ils brimaient ces personnes».

«Parce que j’ai osé sortir du placard, je suis fière du chemin parcouru, je suis bien et je voudrais que toutes les personnes dans la société puissent avoir la même fierté, peu importe leur genre, leur orientation sexuelle. S’accepter, être bien dans sa peau, c’est primordial, les autres, c’est secondaire. Ne tolérez pas la toxicité des autres!», voilà un des messages que transmet Mme Normandin en conférence.

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