Des travaux effectués dans un marais de 1,25 kilomètre soulèvent la grogne

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Par Lise Tremblay
Des travaux effectués dans un marais de 1,25 kilomètre soulèvent la grogne
Les travaux ont été réalisés le 23 juin dernier. (Photo : Ghyslain Bergeron)

ENVIRONNEMENT. Colère. Indignation. Incompréhension. Ce sont les termes utilisés par des citoyens et des organismes après qu’ils aient constaté que des travaux non annoncés ont été réalisés à l’étang Canards Illimités Canada – aussi baptisé marais Drummond – du côté de Saint-Joachim-de-Courval.

Pierre Laforce, un ancien frigoriste dans l’armée canadienne, et son épouse Marie-Hélène Bouchard parcourent chaque année plus de 2500 kilomètres à pied ou à vélo dans la Forêt Drummond. Chaque midi, ils dînent au petit belvédère situé à proximité du marais Drummond, un endroit unique où vit notamment une sauvagine abondante.

«Le 25 mars dernier, j’ai remarqué qu’il y avait une brèche à côté du petit barrage, a indiqué M. Laforce. J’ai appelé à la Ville de Drummondville, mais ça n’a rien donné. Deux jours après, j’ai appelé à la MRC de Drummond et ils m’ont dit qu’ils ne s’occupaient pas de ça, point barre. J’ai donc rappelé à la Ville et j’ai fait une demande de travaux urgents. La brèche devait être colmatée, car l’étang allait se vider.»

Pierre Laforce et Marie-Hélène Bouchard ont été les premiers à constater que le marais Drummond avait fait l’objet de travaux non annoncés. (Photo Lise Tremblay)

Finalement, aucune action n’a été nécessaire, car les castors ont pris en charge la brèche et l’ont colmatée à leur façon. «Ils ont fait leur job. J’étais content», a lancé le citoyen, qui croyait que l’histoire était close.

Mais le 23 juin dernier, le couple est retourné dans la forêt, a emprunté la piste cyclable qui se rend jusqu’au marais et a été estomaqué de constater qu’il n’y avait plus d’eau.

«Il y avait du courant. On voyait l’eau partir et s’écouler. Je ne sais pas qui a fait ça, mais j’ai l’impression qu’on a fait comme Trump en disant «drain the swamp». Il ne reste que de la boue maintenant. Quelles espèces vont vivre là-dedans?», s’est-il questionné lorsque rencontré sur les lieux. «On a vu un ibis il n’y a pas longtemps. Il doit être reparti. Il ne reviendra plus.»

Membre de la Société ornithologique du Centre-du-Québec et du Club Photo de Drummond, Michel Auger a lui aussi été consterné de retrouver le marais asséché à son passage, le 26 juin dernier.

«J’ai été en colère toute la fin de semaine. Je fréquente cet environnement depuis 50 ans et c’est la première fois que je vois ça. C’est le plus beau joyau qu’on a dans la Forêt Drummond. Le marais mesure 1,25 kilomètre de long et le bassin fait 125 mètres sur 40 mètres. En l’asséchant comme ils l’ont fait, il n’y a plus d’eau sur à peu près 900 mètres», a-t-il fait observer.

C’est l’organisme Canards Illimités qui a orchestré les travaux le 23 juin dernier, à l’aide d’une pelle hydraulique. Un technicien de l’organisme était accompagné d’un entrepreneur local.

André Michaud, gestionnaire de l’équipe de restauration de cet organisme voué à la conservation des milieux humides et aux habitats qui s’y rattachent, a donné le feu vert à ces «travaux de réhabilitation» après que la Direction de la sécurité des barrages, qui est sous l’égide du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, eût constaté le niveau d’eau trop élevé du marais pour la capacité du petit barrage qui s’y trouve.

«Le marais Drummond – c’est le nom qu’on lui donne dans notre système administratif – fait partie du registre des barrages que nous avons en exploitation. Canards Illimités est le gestionnaire des lieux», a mis en contexte M. Michaud.

Il explique : «Le printemps dernier, des castors sont arrivés et ils ont colmaté l’infrastructure. Il y avait une brèche. Ils ont mis de la boue et des branches et ça a fait rehausser le niveau d’eau du marais. Un autre élément est arrivé : il y a un mois environ, des gens de la direction de la sécurité des barrages nous ont demandé de faire des travaux parce que la structure avait été colmatée. Donc, mercredi dernier (23 juin), on est allé la nettoyer pour qu’elle puisse continuer à opérer selon le bon niveau d’eau. Ça n’a pas asséché le marais cependant. On a abaissé le niveau d’eau qui était anormalement haut par rapport à son niveau d’exploitation. Bref, on a remis le marais au niveau qu’il doit être».

Une pelle hydraulique a été utilisée pour les travaux réalisés le 23 juin dernier. (Photo Lise Tremblay)

S’il convient que c’est la première fois en plusieurs années que de tels travaux d’entretien sont réalisés à cet endroit et qu’un «constat tardif a été fait», M. Michaud indique cependant qu’il comprend la réaction des gens qui ont été renversés de retrouver le marais ainsi.

«Le regard des gens s’était adapté à voir un marais avec beaucoup d’eau. Ça ressemblait presque à un étang ou à un lac. Je peux les comprendre. Mais c’est comme ça que ça devrait être dans le sens que c’est le niveau d’eau avec lequel on a des autorisations pour opérer. Maintenant qu’on a rétabli le niveau, c’est normal de voir que des gens dire qu’on a asséché le marais. Ce n’est pas la première fois qu’on entend ce genre d’histoire», a exprimé le gestionnaire de Canards Illimités.

Bertrand Moreau, le photographe du Club Photo Drummond qui a obtenu le mandat de la Ville de Drummondville de réaliser un inventaire photographique de 1800 clichés en 2019 et 2020 pour les besoins du futur Plan de conservation des milieux naturels, a lui aussi partagé son indignation.

«Ça n’a juste pas de bon sens. Si ça reste comme ça, ça va devenir une tourbière. Plus personne ne voudra aller là alors que c’est le plus bel endroit naturel de notre région», a-t-il exprimé, en se disant aussi inquiet pour la faune.

De son côté, l’ornithologue Michel Auger se demande pourquoi l’organisme Canards Illimités n’a pas cru bon réaliser une étude d’impacts avant d’utiliser une pelle hydraulique.

L’ornithologue Michel Auger s’est dit en colère et se désole de constater l’impact de la décision de Canards Illimités sur la faune.

«Pourquoi n’ont-ils pas fait d’étude? Pourquoi ça pressait autant alors que le marais a toujours été comme ça? Il y a plein d’espèces d’oiseaux qui se trouvent là : des bernaches, des canards colverts, des cormorans à aigrettes, des sarcelles d’hiver, des hérons verts, des butors d’Amérique, des grands hérons, des martins-pêcheurs et des carouges à épaulettes», a-t-il énuméré dans un seul souffle.

«L’action qu’on a faite ne va pas à l’encontre de la biodiversité. Bien au contraire. Elle va nous permettre de garder ce qui est là», a fait savoir André Michaud.

Dans tous les cas, les explications de Canards Illimités demeurent incompréhensibles aux yeux de Michel Auger, d’autant plus qu’il  constate depuis fort longtemps que cet organisme n’entretient pas adéquatement ses infrastructures.

«Il y a vingt ans, ils ont construit avec l’aide de Proformen plusieurs belvédères au marais et personne ne s’en est occupé depuis. Ils ont été laissés à l’abandon. C’est moi-même qui vais remplacer les planches brisées année après année sur le seul belvédère qui est encore en place. Je prends mes propres outils», lance-t-il, en martelant que la gestion de la Forêt Drummond devrait être confiée entièrement à un comité local. «Trop de gens restent derrière leur bureau.»

Manque de communication

Invité à commenter la situation, le Conseil régional en environnement du Centre-du-Québec a déploré pour sa part qu’aucune communication n’ait été faite aux citoyens pour annoncer les travaux de réhabilitation sur le site.

Un barrage de castor. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Il y a eu un manque important de communication de la part de Canards Illimités. Un panneau aurait dû être installé pour informer les gens», a commenté Andréanne Blais, directrice générale.

Pour ce qui est des espèces aviaires qui font l’objet d’inquiétudes, celle-ci est d’avis que biodiversité va se renouveler avec le temps.

«C’est vrai que les oiseaux qui fréquentent les étangs ne visitent pas nécessairement les marais. Mais en termes de biodiversité, il y en aura autant, car d’autres espèces vont s’y installer. Pour l’instant, c’est certain cependant qu’il y a un impact sur les espèces. Il s’agit d’un dérangement temporaire sur la faune et je ne suis pas certaine de bien comprendre les raisons pour lesquelles ces travaux ont été réalisés. Des fois, il y a des incompréhensions dans les décisions», a-t-elle indiqué, en ajoutant que le marais a occupé ses pensées durant tout le week-end.

Quoi qu’il en soit, la pluie aidant, les castors qui vivent dans le marais ont travaillé d’arrache-pied au cours des derniers jours, si bien que le niveau d’eau a remonté considérablement depuis le 23 juin. L’ornithologue Michel Auger considère que «la nature a repris ses droits».

Aura-t-elle le dernier mot?

«L’eau doit rester au niveau qu’on l’a mise. Si elle remonte, il faudra refaire des travaux ou voir avec la Ville de Drummondville pour établir un plan d’action de trappage de castors. Il faut éviter qu’il y ait une rupture au barrage», a conclu André Michaud, gestionnaire pour Canards Illimités.

Comment y accéder?

Pour accéder au marais Drummond, on peut se garer au stationnement des érables argentés, situé à 7 kilomètres de la sortie 181 de l’autoroute 20, du côté de Saint-Joachim-de-Courval. Une fois rendu au bout du premier sentier, il faut tourner à droite et marcher durant près de deux kilomètres.

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