Municipalité, démocratie et transparence (Tribune libre)

Municipalité, démocratie et transparence (Tribune libre)
(Photo : L'Express)

TRIBUNE LIBRE. Le 7 novembre prochain, les résidents de Drummondville éliront les personnes chargées de les représenter au sein du conseil municipal.

Cette élection aura des répercussions importantes sur l’ensemble de la région. Ne serait-ce que par le poids démographique de la ville, les élu.e.s drummondvillois sont en mesure de peser lourdement sur l’évolution de la MRC. La santé de la rivière Saint-François, menacée par le site d’enfouissement de Saint-Nicéphore, constitue aussi un enjeu crucial pour les citoyens et riverains de plusieurs autres municipalités de la région. Depuis plus de 10 ans maintenant, je travaille avec des mairesses, maires et préfets réunis dans un collectif visant à préserver nos sources d’eau potable. En tant que juriste et sociologue, j’ai aussi mené de nombreuses recherches sur plusieurs pans de la réalité municipale. Partant de ces études, expériences et acquis, je voudrais ici présenter quelques réflexions en regard des élections municipales à venir.

La municipalité au cœur de notre expérience collective

Disons-le d’emblée, la mondialisation néolibérale échevelée, qui domine aujourd’hui l’ordre du monde, a entraîné un dessaisissement des États nationaux qui ont vu leurs compétences être érodées et déléguées soit à des organismes internationaux, soit aux communautés locales. Au Québec, ce qui fut appelé la « réforme Ryan », du nom de l’ancien chef du Parti libéral du Québec qui l’a mise en oeuvre, amena un transfert massif de responsabilités aux municipalités locales et régionales, sans le transfert des ressources appropriées. Ce déséquilibre entre les compétences et les ressources atteint aujourd’hui un seuil critique. Comme le disent souvent les élu.e.s locaux : « les finances sont à Ottawa, les compétences à Québec et les problèmes dans les municipalités… ». Ce manque flagrant de ressources est lié au fait que la taxe foncière constitue la quasi-unique source de revenu des municipalités. Or, cette taxe, si elle est proportionnelle à la valeur de la propriété, n’est pas une taxe progressive sur la richesse réelle des résidents, richesse qui devrait être la mesure de la contribution à la vie municipale, comme l’est l’impôt progressif sur le revenu pour les gouvernements fédéral et provincial. Autrement dit, une personne peut avoir une maison qui vaut 100 000 dollars, alors que ses revenus réels liés aux gains de capitaux, aux placements et autres s’élèvent à 10 fois la valeur de la propriété. Si les municipalités sont des « gouvernements de proximité », comme le veulent les slogans des divers gouvernements qui se sont succédés à Québec depuis 20 ans, pourquoi n’y a-t-il pas un partage équitable des impôts sur le revenu entre les divers ordres de gouvernement? C’est un premier pan de la réalité dont il faut tenir compte au moment où s’enclenche la campagne électorale municipale.

Une institution au statut juridique incertain

Un autre point dont, comme électeur municipal, nous devons tenir compte est celui du statut juridique des municipalités. Selon la formule consacrée, les municipalités sont une création (on disait jadis une « créature ») du gouvernement québécois. Contrairement à la France et à d’autres pays les municipalités canadiennes n’ont pas de statut constitutionnel. Cela veut dire que si un gouvernement provincial le souhaitait, il pourrait abolir toutes les municipalités et gérer lui-même le territoire. Et les tribunaux ne pourraient qu’avaliser cette décision, comme l’ont montré les arrêts des tribunaux supérieurs au moment des fusions-défusions forcées des municipalités il y a quelques années.

Une fois encore, comme électeur municipal, nous devons tenir compte de cette réalité, car les municipalités ne peuvent faire ce qu’elles veulent : elles n’ont de compétences que celles que les lois provinciales leur accordent. Alors, il faut être conscient qu’on ne peut demander aux municipalités de se transformer en ce qu’elles ne sont pas. Le rêve démocratique se heurte ici à des contraintes structurelles et juridiques importantes.

Les limites de la démocratie représentative

Les élu.e.s. municipaux ne représentent pas, à eux-seuls, toute la légitimité démocratique dans une communauté locale. Tant s’en faut. Contrairement à ce pensent ou affirment certains élu.e.s. locaux, la démocratie est bien plus large que la seule démocratie représentative ou le fait de voter pour des personnes à tous les quatre ans. Dans un milieu jouissant d’un tissu associatif dense et complexe comme l’est Drummondville, la démocratie pour être digne de ce nom, doit être absolument participative, voire directe le plus souvent possible. Un conseil municipal peut être le catalyseur d’un milieu social pas son seul géniteur et encore moins le seul prescripteur de normes ou le seul interprète des intérêts des citoyens et citoyennes. Une ville n’est pas non plus une chambre de commerce ou un service de développement des entreprises. La fonction économique des municipalités sera toujours secondaire et dérivée. Le contrôle souhaité de l’institution municipale par certains milieux d’affaires est une perversion de l’idéal démocratique, pas une nécessité de la modernité. La pandémie a d’ailleurs remis à l’ordre du jour des communautés le rôle régalien de l’État municipal, c’est-à-dire sa fonction essentielle en matière sociale pour lutter contre les inégalités, en matière environnementale pour protéger le territoire et lutter contre les changements climatiques qui vont nous frapper de plus en plus durement si nous demeurons inactifs. La ville doit aussi jouer un rôle culturel majeur, dans son sens le plus large.

La transparence démocratique : la valeur cardinale

Cela m’amène aux exigences démocratiques imposées aux personnes qui recherchent le suffrage de leurs concitoyennes et concitoyens en se portant candidat à une élection municipale et aux obligations de transparence de l’institution municipale elle-même. À cet égard, il faut malheureusement constater des lacunes majeures. Les candidates et candidats donnent peu de précisions sur le mandat recherché, se contentant de lieux communs, de déclaration d’intentions lénifiantes et stéréotypées élaborées le plus souvent par des agences de communication ou de belles plumes locales.

Dans le fonctionnement de nos conseils municipaux, le débat démocratique se réduit comme une peau de chagrin, se fait dans l’ombre des « caucus » ou des « ateliers », tenus à huis clos sans aucune nécessité, et non dans la lumière des réunions publiques des conseils. Ces réunions où, de fait, aucun dialogue démocratique réel et constructif n’est possible puisque les questions du public se voient octroyer une période de temps dérisoire et après que les décisions furent déjà prises. Un formalisme extrême et caricatural caractérise aujourd’hui les réunions des conseils municipaux.

C’est à l’aulne de ces principes et de ces réalités que devraient être évaluées les personnes souhaitant se présenter aux élections du 7 novembre prochain.

Richard E. Langelier, Juriste et sociologue

 

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