Il faut déplacer le problème de l’enfouissement au Québec (Tribune libre)

Il faut déplacer le problème de l’enfouissement au Québec (Tribune libre)
(Photo : Illustration, L'Express)

TRIBUNE LIBRE. Suite à l’article paru dans L’Express du 12 mai à propos de la fermeture du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore, j’aimerais apporter quelques informations pour ajouter au débat.

Depuis quinze ans, j’œuvre dans le domaine du recyclage et je trouve que le débat sur la fermeture du site de Saint-Nicéphore devrait être élargi à notre relation collective avec les ressources qui ne sont plus utilisées, que nous appelons déchets.

Système économique de la gestion de déchets

D’entrée de jeu, l’article cite un directeur du MELCC “(…) c’est sûr qu’il y aurait un débalancement entre l’offre et la demande. Le besoin d’éliminer est là.(…)”.  Mais qu’est-ce que l’offre et la demande dans l’industrie de la gestion de déchets? Dans le système économique capitaliste “normal”, la loi de l’offre et de la demande est une théorie qui explique l’interaction entre les vendeurs d’une ressource et les acheteurs de cette ressource. Si on transpose ce concept aux déchets, l’offre devrait être les déchets générés (ressources) et la demande devrait être le besoin des sites d’enfouissement ou des recycleurs pour s’assurer de poursuivre leurs activités.

Pour les recycleurs, ce concept fonctionne. Les prix de la ressource varient selon la disponibilité de la matière à recycler et de la matière vierge. C’est d’ailleurs un des principaux défis des recycleurs.

Mais ce concept n’a pas de sens avec l’enfouissement. La preuve par l’absurde voudrait que le coût d’enfouissement diminue pour chaque site d’enfouissement qui ferme puisque la demande serait moindre.

Donc, dans le cas de l’enfouissement, l’offre est plutôt l’offre de service pour traiter des déchets et la demande est relative au besoin d’éliminer ces déchets. Avec ce concept, lorsque l’offre diminue (fermeture d’un site), les prix devraient monter.

Par contre, il y a une lacune à ce concept. Sachant depuis des années que le site de Saint-Nicéphore devait fermer, pourquoi Waste Management (WM) n’a pas augmenté son prix d’enfouissement puisque l’offre (l’espace) diminuait?

Qu’est qu’un coût raisonnable dans le domaine de l’environnement?

Un ingénieur du MELCC mentionne aussi dans l’article que “(…) Les nouvelles exigences ont fait augmenter considérablement les coûts pour l’élimination des matières résiduelles (…)”. Comment détermine-t-on le coût de l’enfouissement? Est-ce que Waste Management, qui est le plus gros émetteur de GES dans la MRC, paie le juste prix pour le gaz carbonique émis? Quel est le coût actuel d’un risque de catastrophe écologique futur? Qui paierait si une fuite de la membrane d’étanchéité du site survient dans 50 ans ou dans 100 ans et que la population ne peut plus utiliser l’eau potable de la rivière?

Afin de régulariser une notion de coût raisonnable, le gouvernement provincial a voté en 2006 le décret sur les redevances à l’élimination des matières résiduelles. Ce règlement “a pour but de réduire les quantités de matières résiduelles qui sont éliminées et, par la même occasion, d’augmenter la durée de vie des lieux d’élimination”. Le coût de la redevance est passé de 20,23 $/tonne en 2010 à 23,75 $/tonne en 2021. Une augmentation moyenne de 1,5%, ce qui suit l’inflation. Il semble que le ministère n’a pas mis beaucoup de pression pour réduire l’enfouissement! À titre de comparaison, le coût de la redevance grimpe jusqu’à 60 $/tonne dans certains pays européens, mais se situe à moins de 10$ dans plusieurs États américains.

Conclusion

Le manque de planification et de volonté du MELCC dans les 15 dernières années a créé une crise dont ils sont responsables. Dû au manque d’imputabilité des fonctionnaires et des élus provinciaux, la solution proposée est simplement la continuité des opérations du site d’enfouissement actuel pour ne pas déplacer le problème! Mais pourquoi ne pas permettre au problème de se déplacer selon la loi de l’offre et de la demande? En effet, la fermeture du site de Saint-Nicéphore ferait augmenter les coûts d’enfouissement, ce qui permettrait de trouver des solutions pour réduire la quantité de déchets générée et permettre de rendre certains projets de recyclage plus attrayants.

Le fait d’avoir favorisé un coût d’enfouissement bas durant les 15 dernières années nous rattrape aujourd’hui. La population et les gouvernements doivent maintenant s’habituer à payer le juste prix pour l’utilisation des ressources. Ce dossier n’est malheureusement qu’un aperçu à petite échelle de ce qui nous attend lorsqu’il sera trop tard pour ralentir le réchauffement climatique.

Daniel Fortin, Drummondville

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