Le risque calculé de Thomas Liccioni

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Par Cynthia Martel
Le risque calculé de Thomas Liccioni
Thomas Liccioni est cascadeur professionnel depuis plus de 20 ans. (Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Se transformer en torche humaine, faire une chute de 70 pieds, se faire frapper par une voiture intentionnellement… Il faut des nerfs d’acier pour pratiquer le périlleux métier de cascadeur. Ces 20 dernières années, Thomas Liccioni a fait face au risque à maintes reprises.

Les sports extrêmes, spécifiquement le patin à roulettes, ont été la porte d’entrée au métier de cascadeur pour Thomas Liccioni. C’est au tournant du millénaire que son aventure a commencé.

«En 2000, je travaillais au Taz (skatepark intérieur situé à Montréal) et un jour, un réalisateur est débarqué pour faire des auditions pour le film Rollerball. Ma gang et moi, on a tenté l’expérience et on a tous été pris! Je n’avais jamais pensé être cascadeur, puisque j’ai étudié à l’UQAM en administration», raconte-t-il.

Celui-ci a su se tailler une place enviable dans ce monde fascinant qui ne compte que très peu de Québécois. On estime à une cinquantaine le nombre de cascadeurs dans la Belle Province qui gagnent sa vie avec ce métier. Mais il aura fallu tout de même cinq ans à Thomas pour en faire un gagne-pain.

«J’ai décroché mon deuxième contrat cinq ans plus tard. Pour percer dans ce domaine, il faut vraiment travailler fort et ne pas cesser de s’entraîner. C’est ce que j’ai fait à l’époque. Et je m’étais également rendu compte qu’il fallait me diversifier pour obtenir d’autres contrats, c’est-à-dire que j’ai commencé à pratiquer les arts martiaux. En fait, un bon cascadeur se doit d’être polyvalent. Tu n’as pas besoin d’être meilleur dans tout, mais avoir une base et être capable de t’adapter», explique celui qui a notamment doublé Leonardo DiCaprio (Le Revenant) et Michael Fassbender (Magnéto dans X-Men).

En plus de devoir être patient, polyvalent et discipliné, un bon cascadeur doit faire preuve de rigueur, être à l’écoute des autres, être audacieux puis aimer le travail d’équipe, sans oublier qu’une santé de fer et une très bonne endurance physique sont requises.

(Photo Ghyslain Bergeron)

Que ce soit au cinéma, à la télévision ou encore pour des spectacles, le cascadeur entre en scène lorsque les tâches à exécuter deviennent trop dangereuses pour un acteur.

«Notre mandat est de tester tous les trucs que l’acteur devra faire – même les choses simples – et ceux qui lui sera impossibles d’exécuter. Ensuite, on doit coacher le ou les acteurs concernés en vue de leurs scènes de combat ou pour une séquence spécifique. De plus, dans notre travail, il y a une bonne partie de recherches et développements. On va aussi filmer toutes les séquences pour montrer au réalisateur notre vision de la scène. Lors du tournage, on donne beaucoup de conseils aux acteurs, on les guide et on s’assure que tout est sécuritaire», détaille-t-il.

Évidemment, tous les gestes d’une cascade sont calculés et prévus, tout comme dans une chorégraphie de danse, image le professionnel. «Ça s’appelle du movie fighting, indique celui qui est originaire de la Rive-Sud, mais qui s’entraîne depuis des années à Drummondville. Il a d’ailleurs été longtemps copropriétaire de l’Institut du guerrier situé dans l’ancienne Denim Swift, aux côtés de François Pellerin. «François est une partie intégrale de mon développement, je lui dois beaucoup, car à mes débuts, il m’a ouvert la porte de son domicile pour que je m’entraîne».

Par ailleurs, le cascadeur est sollicité pour réaliser de la capture de mouvements (motion capture), une technique permettant d’enregistrer les mouvements du corps afin de donner vie à des personnages de jeux vidéo ou de films. D’ailleurs, Thomas Liccioni a décroché plusieurs contrats de ce genre. À l’aube de la quarantaine, le principal intéressé se tourne de plus en plus vers la coordination de cascades sur les plateaux de tournage de jeux vidéo.

«Je dirais que je suis en fin de carrière de cascadeur, mais en début de carrière de coordonnateur. Je me garde quand même en forme, mais je ne suis plus aussi fou que je l’étais».

Il entraîne également un cascadeur en devenir se spécialisant dans le parkour, Maxime Picotte, un Drummondvillois d’origine.

Le Drummondvillois Maxime Picotte est le meilleur au Québec en parkour, selon Thomas Liccioni. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Je l’ai connu il y a quelques années à l’Institut du guerrier. Il était adolescent, mais il avait déjà la volonté de se démarquer dans ce domaine (…) Le parkour, c’est une discipline qui a commencé il y a une quinzaine d’années dans les films. Max, c’est un des meilleurs au Québec. Donc on s’échange ça : moi je l’entraîne en combat et lui en parkour», souligne Thomas Liccioni, lorsque rencontré à Wickham, où il s’entraîne, au Collège Team Bergeron.

Un peu avant la pandémie, Maxime Picotte avait réussi à décrocher un contrat en motion capture, mais un bête accident de ski l’a privé de ce projet tant rêvé.

«Je n’ai pas arrêté de m’entraîner, donc je suis prêt. J’attends une deuxième opportunité, mais ce n’est pas si évident, car c’est souvent une question de timing», note le jeune Drummondvillois qui passe son temps à Drummond Parkour, voisin de Team Bergeron.

«Ça va arriver, je ne suis pas inquiet! C’est juste une question de temps. Le parkour, c’est ce qui va le démarquer, car personne n’est à son niveau. Ça prend juste un projet», renchérit son ami, confiant.

Risque réel

Les cascadeurs côtoient le risque fréquemment, et ce, même si tout ce qui est en place est sécuritaire. Certains y ont même laissé leur vie. Heureusement, Thomas Liccioni n’a jamais eu à composer avec une blessure majeure.

«Une des pires choses qui pourrait m’arriver, c’est de me blesser, surtout lors d’un entraînement».

Aux dires des deux cascadeurs, le risque est réel, mais est chaque fois calculé.

«C’est très calculé. Par exemple, on pratique les chutes à différentes hauteurs pour préparer le corps à différents types d’impact. Donc on est toujours prêt à l’éventualité de tomber. Le but est de se rattraper 10 fois sur 10», explique Maxime Picotte.

«Quand tu te fais frapper par une auto sur un plateau de tournage, oui la vitesse est moindre, mais c’est quand même, disons à 35 km/h. C’est calculé, on fait attention en prenant les précautions nécessaires et en ayant des protections, mais c’est risqué», ajoute Thomas Liccioni. «La clé c’est tout le temps de bien doser : prendre un certain risque, mais pas trop. Mais veut, veut pas, notre job, c’est de vivre avec le risque».

Le cascadeur professionnel était jadis «très téméraire», pour reprendre ses paroles.

«C’est de même que tu fais ton nom. J’ai fait des affaires que je n’en reviens pas, dont une douzaine de car hit. Il y a un temps où les gens m’appelaient que pour ça! J’ai été frappé entre autres par une Jeep et un Hummer», se rappelle-t-il, en souriant.

Être cascadeur, c’est aussi être en mesure de bien gérer son stress.

«Souvent, tu arrives sur un plateau et tu ne sais pas ce qu’ils vont te demander, à moins d’une cascade majeure, comme une chute de 70 pieds ou le feu, car évidemment, ça prend un entraînement spécifique. On me demande souvent si ça arrive d’avoir peur. Ma réponse est oui, tout le temps. Et la veille de grosses cascades, je dors mal. Je me demande tout le temps pourquoi je fais ça dans la vie! Mais une fois que c’est fait, quand tout le monde se lève et t’applaudit, c’est le plus beau métier du monde!», conclut Thomas Liccioni, les yeux étincelants de passion.

(Photo Ghyslain Bergeron)
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