Courir avec un vent de face appelé «cancer»

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Par Lise Tremblay
Courir avec un vent de face appelé «cancer»
Danièle Caron a publié un livre intitulé Courir au temps du cancer. (Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Malgré ses études en création littéraire, Danièle Caron n’avait jamais envisagé d’écrire un livre… surtout sur la course à pied. Se définissant comme une coureuse «bien ordinaire», la femme de 63 ans a senti le besoin de partager son expérience qui n’a rien de banal. Elle a continué d’user ses espadrilles pendant qu’elle luttait contre un cancer. Portrait d’une femme qui a eu l’impression de courir avec un vent de face durant plusieurs mois.

Disponible depuis le mois de février chez la maison d’édition Performance édition, Courir au temps du cancer, se lit comme un charme. Pas besoin d’un expresso brésilien pour garder le fil. D’un chapitre à l’autre, on se questionne et on se grattouille le cuir chevelu en se demandant si l’auteure a réussi à garder son pas de course durant l’ensemble de ses traitements, elle qui a subi une chirurgie, des traitements de chimiothérapie, de radiothérapie et d’hormonothérapie pour soigner un cancer du sein, stade 2.

La mauvaise nouvelle est tombée en 2016. Quelques années auparavant, une de ses sœurs est décédée de la même maladie. Il lui fallait donc prendre sa santé en main et, bien sûr, faire confiance aux équipes médicales puis mettre sur pause son poste de directrice des communications à la Fondation Sainte-Croix/Heriot.

Au tout début de son livre, Danièle Caron raconte l’annonce de son diagnostic, un passage charnière du livre, qui entraîne le lecteur jusqu’à la dernière page.

«L’oncologue parle depuis plusieurs minutes. Ses explications abondent, mais je n’en retiens que des bribes : dose, densité, stade, adjuvant, ganglions, carcinome, infiltrant… Puis il veut savoir si j’ai des questions. J’en ai une. La pratique de la course à pied est-elle contre-indiquée pendant les traitements de chimiothérapie? Pris de court, l’oncologue reste silencieux quelques secondes. Il finit par me confirmer qu’il n’y a aucun inconvénient à courir pendant les traitements. Cependant, il me prévient : j’en serai incapable, car je n’aurai pas assez de souffle pour courir».

C’était bien mal connaître Danièle Caron, qui est tombée en amour avec la course à pied… à l’âge de 55 ans.

«J’ai essayé tous les sports de raquette avant ça, mais je n’avais pas beaucoup d’habiletés. C’est ma sœur Andrée qui a fait en sorte que j’ai accroché dans ce sport. Pour moi, la course à pied est une source de gratification immense. J’ai découvert des capacités que je ne pensais pas avoir!», partage-t-elle à L’Express Magazine.

«La course à pied m’amène d’énormes bienfaits. C’est pour cela que je voulais continuer.»

Mme Caron a couru à tous les deux jours durant ses traitements de chimiothérapie. – Photo Ghyslain Bergeron)

Ayant en tête un cours de méthodologie qu’elle a suivi à l’université, la dame a ainsi décidé de mettre sur papier les détails de toutes ses sorties de course : la distance, la météo, sa condition physique, les douleurs ressenties, les étapes de ses traitements, sa médication, etc.

«Je suis plus « données probantes » qu’ »intuition », lance-t-elle dans un éclat de rire. Au bureau, on m’appelle madame Tournesol. Ce n’est pas pour rien! J’ai tout de même constaté qu’il y a quelque chose de logique dans la course à pied. Il faut bien gérer son bien-être, sa vitesse, sa respiration, etc.»

Au moment où elle luttait contre la maladie, il faut dire que très peu d’informations étaient disponibles à propos de l’activité physique tant du côté des médecins que de la Société canadienne du cancer. Aujourd’hui, l’ouverture est là. D’ailleurs, Danièle Caron devait animer au mois de mars une rencontre virtuelle pour parler de son expérience avec des gens atteints de cancer.

Des hauts et des bas

Si elle a réussi à courir durant ses sept mois de traitement, Danièle Caron a néanmoins connu des hauts et des bas, notamment lors des séances de chimiothérapie. Souventes fois, elle a eu l’impression de manquer de souffle et d’énergie. La prise de médicaments lui donnait aussi d’affreux maux de jambes et altérait son goût. Elle s’alimentait presque exclusivement de crème glacée. Malgré tout, elle a persévéré, un pas après l’autre. Elle a couru près de 300 kilomètres entre le 18 mai et le 7 septembre 2016. Elle s’est entraînée un jour sur deux.

Cet exploit n’est pas passé sous silence, ses collègues de la Fondation Sainte-Croix/Heriot ayant décidé de lui remettre une médaille personnalisée sur laquelle il est inscrit : «59 sorties, 298 km, défi réussi. Cours toujours 2016. Courage, persévérance, ténacité. Tes anges de la Fondation». Encore aujourd’hui, c’est la plus belle médaille qu’a reçue Danièle Caron.

Tout en continuant de documenter son expérience – et de partager quelques textes sur un blogue – la dame a amorcé par la suite une série de traitements de radiothérapie, lors desquels elle a subi une lésion au poumon droit puis d’intenses irritations à la peau. Cette situation lui a causé plusieurs désagréments et de l’essoufflement. Malgré cela, pas question de cesser de courir. Son corps en avait besoin; son moral aussi.

Elle écrit : «Il y a une chose dont je suis absolument certaine, c’est que la pratique d’une activité physique au moment des traitements m’a grandement avantagée. Ma récupération était plus rapide entre les traitements et l’effet cumulatif des traitements a probablement laissé moins de traces que si j’étais demeurée sédentaire pendant les six mois qu’ont duré la chimiothérapie et la radiothérapie. Pour moi, cela a donc valu la peine de me consacrer à la course à pied avant le cancer, pendant les traitements et, bien sûr, depuis le début de ma rémission.»

Danièle Caron. Photo Ghyslain Bergeron

Aujourd’hui, la santé de Danièle Caron va on ne peut mieux. Si les risques de récidive ne sont pas exclus, elle confie qu’elle ne vit pas avec cette crainte. «J’essaie de demeurer dans le moment présent», dit-elle. Et elle s’est tenue occupée. Elle a pris part à plusieurs courses, dont à un marathon. Respect.

Bien que l’ensemble de son expérience s’est avérée positive, au sens où elle a été capable de courir durant l’entièreté de ses traitements, Danièle Caron n’a nullement l’intention de dire aux gens de faire comme elle, de tomber dans la morale.

«C’est sûr que mon histoire ne peut pas s’appliquer à tous les cancers. Chaque cas est unique, affirme-t-elle. Mais je pense néanmoins que le livre amène une autre perspective, celle qui est possible de continuer de s’entraîner malgré la maladie. Peut-être aussi convaincra-t-il des gens sédentaires à devenir un peu plus actifs.»

Plus que tout, Danièle Caron espère que les médecins considéreront et introduiront l’activité physique dans les futurs protocoles de traitement contre le cancer.

«J’espère que d’autres voix s’ajouteront à la mienne avec le temps et, si possible, des voix scientifiques.»

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