Vivre avec l’innommable… un jour à la fois

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Par Cynthia Martel
Vivre avec l’innommable… un jour à la fois
La famille Alie-Lacharité est composée de la mère, Geneviève Alie, du père, Steve Lacharité, de Jade (avec le masque), Félix, Maélie et Joé (ici photographié avec leur compagnon poilu). (Photo : Ghyslain Bergeron)

TÉMOIGNAGE. Aucun parent sur terre ne souhaite composer avec un enfant atteint d’une maladie, encore moins avec trois. C’est pourtant ce que doivent affronter Geneviève Alie et Steve Lacharité qui tentent chaque jour d’apprivoiser cette réalité.   

Geneviève Alie et Steve Lacharité sont les heureux parents de quatre enfants : Jade 18 ans, Félix 16 ans, Marilie 13 ans et Joé 11 ans. Nombreuses sont les nouvelles au cours des six dernières années qui sont tombées comme une tonne de briques. Les trois plus vieux ont le même diagnostic de cardiomyopathie restrictive spongiforme, une maladie dégénérative extrêmement rare au point tel que plusieurs médecins s’intéressent à leur cas.

«Certaines recherches ont déjà été réalisées. En ce moment, un généticien se penche sur mes enfants pour savoir si c’est génétique, mais il y a de fortes chances étant donné qu’ils sont trois à être atteints alors que cette maladie est très rare. Il y a quelques problèmes de santé dans la famille élargie, mais rien qui pourrait expliquer ça», indique Mme Alie.

Jusqu’à maintenant, aucun diagnostic n’est tombé pour le benjamin de la famille, Joé.

«Par contre, il commence à présenter des symptômes, certaines anomalies. Pour les trois autres, ç’a été vers 11 ou 12 ans avant d’avoir le diagnostic. Peut-être que ce sera notre petit rescapé?», souhaite la maman.

Pour sa part, Félix a déjà subi une intervention chirurgicale pour le syndrome de Wolff-Parkinson-White (palpitations), atténuant ses symptômes. Contrairement à sa cadette Marélie, il n’a pas à prendre de médication.

Le cœur de Jade

L’aînée, Jade, est celle qui, jusqu’à présent, subit le plus les contrecoups de la maladie.

«Le premier coup de brique a été lorsque le diagnostic est tombé pour Jade à l’âge de 12 ans. Depuis sa naissance, on avait des examens de routine préventifs, car on entendait un souffle et son cœur avait quelques malformations, mais rien ne laissait présager que c’était majeur», souligne Mme Alie.

À partir de ce moment, l’adolescente a dû cesser de pratiquer son sport préféré, le patinage artistique.

S’en est suivi une série de rendez-vous et d’examens médicaux à Sainte-Justine, parfois même à l’Institut de cardiologie de Montréal.

En octobre dernier, Jade a dû être transportée d’urgence à l’hôpital à la suite d’un malaise cardiaque. Une autre nouvelle déstabilisante attendait la jeune adulte et ses parents.

«Elle devait subir un traitement chirurgical pour une communication interauriculaire. On devait lui mettre une patch sur le trou entre les deux oreillettes du cœur, mais quand les médecins ont voulu le fermer, après cinq heures en salle d’opération, ils nous ont annoncé qu’ils ne pouvaient rien faire et qu’elle devait être transférée à un cardiologue pré/post greffés. Oui, Jade avait certaines limitations et il y avait quelques ambiguïtés sur son état, mais jamais on ne se serait douté que son cœur était autant malade, encore moins qu’elle en ait besoin d’un nouveau. Elle a donc été immédiatement placée sur la liste prioritaire. Tout s’est bousculé, c’était un moment difficile», raconte la maman qui a mis en veille sa carrière depuis ce temps.

Jade a été traitée aux soins intensifs durant un mois. La veille de son retour à la maison, un défibrillateur ainsi qu’un stimulateur cardiaque lui ont été installés. Mais des complications lors de l’intervention ont fait craindre le pire à sa famille.

«Le lendemain, elle allait bien, mais au fil de la journée, son état a dégringolé. Elle a été intubée d’urgence. On a failli la perdre. Un fil a transpercé le cœur et affecté les poumons», souffle Geneviève Alie.

Trois mois plus tard, le 26 janvier 2021, l’appel tant attendu est survenu : Jade recevra son nouveau cœur deux jours plus tard.

«On a été vraiment chanceux! En moyenne, il y a une à deux greffes de coeur par année à Sainte-Justine, mais étant donné que des greffes ont été suspendues dans d’autres provinces à cause de la COVID, ils ont pu en faire plus», affirme-t-elle, indiquant que très peu de détails sont donnés quant à l’identité du donneur, sinon qu’il était Canadien et était âgé de moins de 20 ans.

Si c’est avec la boule au ventre et la crainte de ne plus revoir leur fille que les parents de Jade l’ont laissée partir vers la salle d’opération, la jeune adulte, quant elle, se sentait très zen et prête.

«J’étais vraiment prête. Je ne suis pas quelqu’un de stressé de nature et j’anticipais tout désagrément. J’avais vraiment hâte de reprendre enfin une vie normale!» exprime Jade.

Jade à la suite de la transplantation de son nouveau cœur. (Photo gracieuseté)

«Les médecins n’avaient jamais vu quelqu’un de ne pas stresser comme ça avant une telle opération!» rit la maman.

Après 12 longues et minutieuses heures, la transplantation a été réussie. Mais la convalescence ne se fait pas sans heurt ni douleur depuis.

«Le lendemain, elle a commencé à faire de l’arythmie. Son corps a fait un rejet, ses globules attaquaient son cœur. Elle a donc reçu un traitement de cortisone pour abaisser son système immunitaire. Elle a également eu des pertes de sang inexpliquées, donc elle a eu une transfusion. Au même moment, ils ont aussi découvert une masse au foie, dont on n’a pas les résultats encore. Après trois semaines aux soins intensifs, elle est revenue à la maison pour six jours avant d’être à nouveau hospitalisée pour son arythmie. Depuis quelques semaines, ça va mieux», détaille la mère de famille qui démontre une force sans pareille.

«Quelques jours après la greffe, je redemandais de remettre mon ancien cœur. Le nouveau était un peu plus gros que le mien et je sentais les battements jusque dans la gorge», spécifie la jeune fille.

«Elle l’avait surnommé le crapaud! Les spécialistes nous avaient conscientisés sur le fait que plusieurs greffés ont de la difficulté à accepter l’organe d’un autre, mais pour Jade, ç’a été de s’adapter au coeur», ajoute la mère.

Malgré tout, Jade fait preuve d’une grande résilience et d’un courage exemplaire, selon sa maman.

«Elle trouve difficile de voir toutes ses cicatrices et d’accepter l’enflure à cause de la cortisone».

«Je n’aime pas prendre tous ces médicaments ni les piqûres. Les changements physiques sont difficiles. Je recommence depuis quelques jours à marcher un peu. J’avoue aussi que c’est un deuil de me dire que je ne pourrai sûrement pas travailler au camp de jour cet été, comme je le fais depuis des années. Je vais essayer de convaincre ma cardiologue!» expose Jade avec une pointe d’optimisme.

La mère et la fille estiment que l’attente est longue avant de voir des résultats significatifs, mais s’encouragent en se disant que chaque jour est un pas de plus dans la bonne direction.

«Le temps va arranger les choses, c’est ce qu’il faut se dire, mais il est long. Quand tu apprends que tu vas recevoir un cœur, tu t’attends on dirait que dès le lendemain, tout va être correct et vivre normalement, mais ce n’est pas la réalité», laisse tomber Mme Alie.

«Je me considère chanceuse, car je sais que je suis sur la bonne voie malgré tous les inconvénients que je vis présentement», estime Jade, consciente qu’elle n’aurait pas pu vivre encore longtemps avec son cœur.

Soulignons que jusqu’au 24 avril, se déroule la Semaine nationale du don d’organes et de tissus.

Unis

À travers cette maladie qui apporte son lot d’inquiétudes et de questionnements tout en impliquant beaucoup de sacrifices, la famille Alie-Lacharité est plus unie que jamais.

La complicité entre ces frères et sœurs est palpable. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Nous sommes effectivement très unis. Je ne vous cacherai pas que nous avons traversé des moments de couple plus difficiles, mais on en est sorti plus fort», assure Mme Alie.

Les enfants ont une belle complicité entre eux. Pour Maélie, de voir sa grande sœur dans un tel état est un choc.

«Elle le prend difficilement, car elle se voit en elle et ça lui fait peur», précise la maman.

Pour réussir à vivre un quotidien doux et serein, la clé, selon la mère de famille, et de contrôler ce qui est possible et de lâcher prise sur le reste.

«Le monde me dit souvent : «Mon Dieu, comment tu fais?» Mais on est tellement là-dedans et ça s’est fait petit à petit que c’est notre quotidien. Quand j’en parle, c’est plus là que je m’en rends compte et que je deviens plus émotive. C’est beaucoup de stress, mais en même temps on laisse les choses aller, car on ne peut pas prédire l’avenir. On essaie de ne pas mettre l’emphase sur la maladie au quotidien. C’est un jour à la fois», soutient Geneviève Alie.

Financement participatif

Par ailleurs, une campagne de financement Go fund me a été mise sur pied par une amie de la famille, également directrice de Jade au camp de jour.

«Le but du Go fund me est de permettre à Jade, qui a dix-huit ans maintenant, d’avoir un petit répit financier et de lui donner la force de continuer. Les coûts reliés à la maladie sont grands et le rétablissement est long», écrit Nathalie Théroux, directrice du centre communautaire Drummondville-Sud.

«Je m’implique personnellement, car Jade est comme ma deuxième fille. C’est une amie de ma fille depuis le primaire et elle travaille au centre communautaire depuis six ans au camp de jour. Je suis très attachée à elle et sa famille», exprime-t-elle à L’Express.

Les sous récoltés jusqu’à maintenant en sont à la mi-chemin de l’objectif visé de 15 000 $.

«Ça me touche de voir que plusieurs personnes – même des gens que je ne connais pas – pensent à moi ainsi», apprécie Jade.

Par cette initiative, Mme Théroux souhaite mettre un baume et «un peu de douceur» sur le nouveau cœur de Jade.

La convalescence ne se fait pas sans heurt ni douleur, mais Jade sait qu’elle est sur la bonne voie. (Photo Ghyslain Bergeron)
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