«Notre père n’est pas mort pour rien»

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Par Marilyne Demers
«Notre père n’est pas mort pour rien»
Dominique Gaudet, dans son appartement aux Terrasses de la Fonderie. (Photo : Gracieuseté)

AÎNÉS. Dominique Gaudet est décédé à l’âge de 92 ans des suites de complications multifactorielles liées à une chute de sa hauteur. Ce décès d’origine accidentelle a tout de même mené la Villa du Boisé, où il vivait, à apporter des correctifs afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

Été 2020, Dominique Gaudet est atteint d’un zona à l’oreille. La moitié de son visage est paralysé. Il ne peut rien avaler ni manger. À ce moment-là, le nonagénaire réside aux Terrasses de la Fonderie. Il y habite depuis une dizaine d’années.

À l’ère prépandémie, M. Gaudet côtoie les autres résidents dans les aires communes. Il joue aux cartes, de l’accordéon et de la musique à bouche, aussi. Lors d’occasions spéciales, il se rassemble dans la grande salle avec enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. «On a été chanceux d’avoir un père comme lui. On a pigé un bon numéro», soutient Mario Gaudet, qui a agi comme proche aidant auprès de son père, ce dernier se déplaçant en fauteuil électrique ayant dû subir de nombreuses opérations aux jambes par le passé et portant des prothèses aux genoux.

Retour à l’été 2020. Zona oblige, Dominique Gaudet passe quelques semaines à l’hôpital. Il séjourne deux semaines en gériatrie. «Il a repris des forces, mais il était rendu trop lourd pour retourner aux Terrasses de la Fonderie. De là, la résidence intermédiaire», indique sa fille, Anny Gaudet.

Le 18 septembre, Dominique Gaudet emménage à la Villa du Boisé, une résidence privée pour aînés, qui compte des places en ressource intermédiaire. Une chute fatale survient sept jours après son arrivée. Le coroner Yvon Garneau est mandaté pour faire la lumière sur les circonstances du décès. Son rapport d’investigation a été rendu public ce mois-ci.

Investigation
26 septembre 2020, vers 21h. Dominique Gaudet fait une chute de sa hauteur dans l’appartement qu’il occupe. Juste avant, il demande de l’aide pour aller au lit. Deux préposées aux bénéficiaires (PAB) se présentent. L’une d’elles, nouvellement embauchée et encore en formation, se retrouve momentanément seule avec M. Gaudet.

C’est à ce moment qu’il se lève de son fauteuil une première fois, mais perd l’équilibre et retombe assis. Il demande une fois de plus l’assistance de la PAB, en tentant de lui expliquer la manière sécuritaire de s’y prendre. Une difficulté majeure de compréhension survient. Après seulement quelques pas, avec son déambulateur, le résident tombe à nouveau, non sans avoir prévenu la PAB en disant «je vais tomber». Cette dernière aurait essayé de le retenir, mais en vain.

21h02. Les secours sont appelés. À leur arrivée, M. Gaudet est au sol sur le dos, très souffrant. Il est capable de nommer ce qu’il vient de se produire.

21h13. Les ambulanciers sont sur place et prennent en charge le patient, toujours conscient, alerte, mais très souffrant.

21h54. Dominique Gaudet arrive aux urgences de l’Hôpital Sainte-Croix. L’équipe médicale l’évalue. En orthopédie, le soir même, après lecture et interprétation des imageries médicales, le diagnostic tombe : fractures bilatérales de hanche et du péroné gauche.

«Mon père s’est souvent battu contre de graves problèmes de santé et on aurait pu le perdre. C’était un combattant. Il souhaitait être opéré ce jour-là, mais ça ne pouvait pas se faire rapidement parce qu’il prenait des médicaments pour éclaircir son sang. Il avait aussi des problèmes de santé. En raison de sa chute, il faisait de plus en plus d’anémie. Ses reins étaient en train de lâcher. Le docteur lui a finalement dit qu’il ne pouvait être opéré, qu’il ne passerait pas à travers. La direction a changé», relate sa fille, Anny Gaudet.

Le pronostic est sombre. Pour cesser les souffrances, le patient reçoit des soins palliatifs. Cinq jours s’écoulent, durant lesquels son état général se détériore graduellement.

30 septembre, à 8h15. Dominique Gaudet rend son dernier souffle, entouré de ses enfants.

«Il avait demandé pour vivre ses derniers jours à la Maison René-Verrier, comme notre mère. En raison de ses jambes, ça aurait été trop souffrant de le déplacer. Il a quand même reçu de bons soins. Et au moins, on a eu la chance de l’accompagner jusqu’à la fin. On est conscient qu’il y a beaucoup de personnes de cet âge qui sont parties seules», rapporte Anny Gaudet.

Accidentel
Le rapport d’investigation du coroner Yvon Garneau conclut qu’il s’agit d’un décès d’origine accidentelle. Des réflexions résultent tout de même de cet événement.

«Des déclarations recueillies, il en ressort clairement qu’une cloche d’un autre résident a été activée et a obligé la PAB formatrice à laisser seule la PAB en entraînement (elle avait été embauchée quelques jours seulement avant l’accident) avec M. Gaudet qui, à l’instant même, s’est levé de son fauteuil une première fois, sans succès. Ce qui vient compliquer davantage les causes et circonstances de ce malheureux accident est que la PAB en solo ne maitrisait pas suffisamment la langue française ni pour se faire comprendre ni pour bien comprendre ce qu’on lui demande», écrit le coroner Garneau.

«Pour ces motifs, et aussi à cause du poids de M. Gaudet (100 kg), de sa vulnérabilité physique (qui plus est en temps de pandémie), la chute survenue alors qu’il tentait de se rendre au lit avec le déambulateur était devenue inévitable. A contrario, la chute était évitable n’eut été de l’absence d’une préposée formatrice aux côtés de la novice.»

Des rencontres formelles entre la direction et le personnel ont eu lieu afin de réviser les actions posées pendant cet événement. Des mesures correctrices ont été mises en place immédiatement à la Villa du Boisé afin que plus jamais une telle situation ne survienne à nouveau. Pour cette raison, le coroner n’a pas émis de recommandations.

«Néanmoins, pour que la RPA (R.I.) puisse bien remplir son rôle (et même ses obligations légales) il faut que le personnel soit en nombre suffisant pour être en mesure de réagir promptement quand une situation d’urgence comme a connu M. Gaudet (deuxième perte d’équilibre et chute fatale) se produit. Autrement, il ne s’agit que d’une fausse réassurance. Ce n’est pas mon rôle de valider si le personnel est, en temps normal, en nombre suffisant à la résidence intermédiaire ou encore s’il y avait, ce soir-là du 26 septembre 2020, une pénurie d’effectifs. Je crois cependant qu’il serait opportun pour l’établissement de mesurer, encore aujourd’hui et régulièrement, quelle est sa capacité à réagir face au déclenchement de toute urgence pour un usager, notamment dans un contexte de chute évitable», peut-on lire dans le rapport d’investigation.

«Certes, le logement de M. Gaudet avait un système d’appel conforme aux normes. Or, ce système sera efficace si et seulement si une personne qualifiée (et parfois même deux) se rend près de l’appelant ou du demandeur en sachant exactement quoi faire pour lui venir en aide le plus sécuritairement possible. Les mesures prises et les correctifs apportés après l’événement, permettront, je le souhaite, d’éviter la répétition des erreurs relevées. Notamment, on m’a confirmé avoir fait un ajout de personnel effectif en soirée. Quoi qu’il en soit, aucun élément de l’investigation ne permet de remettre en question le caractère accidentel de l’événement», conclut le coroner.

De son côté, la Villa du Boisé, qui a pris connaissance du rapport d’investigation, confirme que des ajustements ont été apportés au sein de ses installations. «En amélioration continue, nous avons déjà bonifié d’avoir un jumelage lorsqu’une personne est en orientation, toujours les deux personnes ensemble et non pas un détachement quand il y a une cloche autre qui sonne. L’autre changement qu’on a fait, c’est de ne plus faire d’embauche sans une connaissance du français parlé et écrit ainsi qu’une compréhension verbale attentive à notre langue maternelle», indique la propriétaire et directrice générale, Michelle Hébert.

«Ça n’arrivera plus»
À la suite de l’événement, la famille de Dominique Gaudet a déposé une requête au Bureau de la commissaire aux plaintes et à la qualité des services du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ) concernant les services de la Villa du Boisé.

Après investigation, cinq recommandations sont formulées, dont trois à la résidence privée pour aînés. Celles-ci devront être réalisées d’ici le 1er juin prochain. La RPA devra élaborer un plan d’action formel afin de s’assurer que le personnel a une bonne compréhension verbale de la langue française, s’assurer du respect des mécanismes d’encadrement et d’accompagnement des nouveaux employés et s’assurer que les incidents soient signalés et communiqués rapidement et directement à l’intervenant pivot du CIUSSS MCQ et ce, même la fin de semaine.

«Mon père était policier à Drummondville pendant 36 ans. Dans les 15 dernières années de sa carrière, il était agent de prévention, il allait dans les écoles. Il s’est impliqué au Centre communautaire Saint-Pierre, au Bingo Drummond et à Centraide. Il a passé une partie de sa vie à donner. Ce n’est pas la fin qu’on pensait pour lui. Par contre, notre père n’est pas mort pour rien. La résidence devra changer sa façon de faire pour assurer la sécurité des résidents. Ça n’arrivera plus», commente Mario Gaudet, ajoutant qu’il s’agissait de la deuxième fois qu’une situation impliquant des difficultés de communication et le manque d’expérience de la PAB se produisait depuis l’arrivée de son père.

Par ailleurs, ce dernier tient à dire que la famille n’en veut pas à la préposée aux bénéficiaires qui était en poste, auprès de leur père, le soir du 26 septembre. «On n’a jamais eu de nouvelles d’elle. On ne connaît même pas son nom. Nous n’avons pas d’esprit de vengeance envers elle. Ça ne doit pas être facile non plus ce qu’elle a vécu. Elle faisait son possible pour gagner sa vie.»

Les enfants de Dominique Gaudet espèrent néanmoins que l’histoire de leur père puisse apporter des changements significatifs à la sécurité et au bien-être des aînés. «Il faut que les propriétaires de ces résidences prennent les actions nécessaires pour veiller à la sécurité de leurs résidents. Ils ont des obligations. Il faut aussi que les familles soient attentives», avise M. Gaudet.

Les funérailles étant prévues en mai, la famille souhaite maintenant tourner la page pour pouvoir faire leur deuil.

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