Un an de turbulences

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Par Cynthia Martel
Un an de turbulences
(Photo Ghyslain Bergeron) (Photo : Ghyslain Bergeron)

COVID-19. Insécurité, peur, colère, optimisme, détresse et détermination. Depuis un an, les travailleurs de la santé et leurs gestionnaires sont envahis par un cocktail d’émotions combiné à la fatigue. Des leçons seront certes à tirer de cette crise du coronavirus, mais ce qui ressort, ce sont le dévouement, l’entraide et la proactivité des gens sur le terrain pour vaincre l’ennemi invisible. L’Express a invité des intervenants à partager la façon qu’ils ont vécu cette première année pandémique.  

9 mars 2020. Les équipes de l’urgence de l’hôpital Sainte-Croix et des soins critiques anticipent déjà l’arrivée des premiers cas.

«Je revenais de vacances. Je suis arrivée le matin en constatant que mes équipes étaient sens dessus dessous à vouloir tout organiser pour faire face à la crise. On voyait ce qui se passait en Australie. Cette même journée, on nous annonçait qu’il fallait dépister les gens dans les urgences. On n’était pas prêt ni organisé. On avait 48 heures pour le faire», se rappelle Nathalie Boisvert, présidente-directrice générale adjointe responsable du Centre-du-Québec au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. À ce moment, elle occupait le poste de directrice de l’urgence et des soins critiques à Drummondville. Dix jours auparavant, elle avait postulé pour le siège qu’elle occupe présentement.

À partir de cette journée du 9 mars, le temps s’est écoulé à la vitesse grand V. Les journées se commençaient à l’aube pour se finir tard, très tard, aux petites heures du matin.

Nathalie Boisvert, présidente-directrice générale adjointe responsable du Centre-du-Québec au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. (Photo gracieuseté)

«Au départ, j’étais presque sur un pied de guerre, si on peut dire, à préparer les urgences et les soins intensifs. Excusez l’expression, mais on a viré boute pour boute l’hôpital. Jusqu’à la fin juin, mes journées n’avaient pas de début ni de fin. Elles étaient très chargées émotivement et très longues», explique-t-elle.

Au-delà de l’organisation médicale, il y avait la gestion de la charge émotive.

«J’ai dû faire face à la grande inquiétude des médecins. Ils me disaient qu’on n’y arriverait pas, qu’on n’avait pas les équipements nécessaires, que tout le monde allait mourir, qu’il allait falloir faire des choix… À travers ça et l’espèce d’effervescence qui montait, je devais rapidement prendre des décisions tout en motivant les troupes et les mobiliser. Les gens avaient besoin de sentir que j’étais en pleine possession de mes moyens. Ils comptaient tellement sur moi, que je n’avais pas le temps de mettre un genou à terre», partage la gestionnaire.

Le 25 mars, Mme Boisvert recevait un appel du secrétariat des emplois supérieurs pour lui annoncer qu’elle était promue au poste de PDG adjoint.

«À ce moment-là, je ne pouvais pas croire qu’on me demandait de quitter mes fonctions en plein cœur d’une crise. Mes équipes avaient l’impression que je les abandonnais, car elles comptaient sur mon expérience».

Deux semaines plus tard, le 8 avril précisément, alors que le virus sévissait dans de nombreux CHSLD, Nathalie Boisvert s’est vue confier la responsabilité de tous ces établissements sur le territoire du CIUSSS MCQ.

«Mes tâches telles que décrites initialement ont été modifiées et bonifiées (…) J’ai été confrontée à mes valeurs dans le sens où je suis à la base une infirmière et de voir des gens mourir seuls, des familles aux fenêtres pour parler à leurs proches, c’était inconcevable. J’étais aussi confrontée aux décisions prises dans le passé qui pouvaient influencer la situation qu’on vivait», témoigne-t-elle.

«On ne savait pas trop à quoi on faisait face et le foutu virus n’arrivait pas par la place qu’on pensait. On était très désemparé. Encore aujourd’hui, c’est difficile d’en parler, car je n’ai pas vécu pleinement mes émotions».

Lors de la première vague, aucun des trois CHSLD de la MRC de Drummond n’a été frappé par une éclosion. Le Centre d’hébergement Frederick-George-Heriot (FGH) n’a toutefois pas été épargné ces derniers mois.

8 décembre 2020. La Santé publique déclare le début d’une éclosion à l’unité deuxième ouest.

Vanessa Turcotte, infirmière et assistante supérieure immédiate à Frederick-George-Heriot. (Photo gracieuseté)

«Il y a eu une vague de découragement, car le personnel avait tellement travaillé fort depuis le début de la crise pour ne pas que le virus rentre et malgré tout, on ne s’en est pas sauvé, affirme Vanessa Turcotte, infirmière et assistante supérieure immédiate à FGH.

«La zone rouge était déjà aménagée en prévention, heureusement.  Ç’a demandé beaucoup d’adaptation et il a fallu être versatiles. Par exemple, certains ont dû apprendre à faire des soins plus actifs, dont donner de l’oxygène, ce qu’on ne fait pas habituellement. Je sentais les gens stressés, certains refusaient d’aller dans la zone rouge et même quelques-uns ont menacé de démissionner. Il y avait beaucoup de tensions», détaille-t-elle.

Au plus fort, cinq unités étaient en situation d’éclosion.

«Ce fut un temps où on ne pouvait même plus admettre de résidents dans la zone rouge. Il a fallu faire des zones rouges à l’intérieur des étages, ça demandait donc chaque fois une infirmière de plus, car on augmentait veut veut pas le nombre d’unités (zones chaudes et zones froides). S’ajoutait à cela le personnel malade. Les gestionnaires ont dû faire des quarts de travail en tant qu’infirmière», poursuit-elle.

Cet épisode pénible à vouloir sauver tout le monde, à se protéger soi-même du virus et à voir partir des résidents a entraîné quelques départs.

«Les gens avaient l’impression qu’ils vivaient pour travailler. On ne travaillait plus pour vivre. C’était le monde inversé. Beaucoup ont quitté le navire. Tu as beau aimer ton métier, mais quand les conditions n’y sont plus, pour certains, c’était trop», se désole-t-elle.

Unité COVID

Si la pandémie a mis en lumière davantage d’éléments négatifs, des bons coups ont néanmoins été réalisés, dont la création de l’unité COVID à Sainte-Croix en mai 2020, une initiative de l’équipe médicale.

«Mon travail a été de convaincre le ministère de la capacité des équipes médicales de prendre en charge cette clientèle-là ainsi que de la capacité de l’établissement à les soutenir. Ce fut une belle victoire, très porteuse, car ç’a d’abord permis à la clientèle de recevoir des soins à proximité de leur résidence, aussi de reconnaître les compétences de l’équipe médicale en plus de permettre à Trois-Rivières de diminuer la pression pour avoir moins de délestage. Tout le monde était gagnant», indique Mme Boisvert, fière.

La Dre Marie-Claude Lord, interniste, a été dédiée une semaine complète à cette unité au retour des Fêtes, au moment où plusieurs milieux de vie étaient en éclosion dans la MRC de Drummond.

Dre Marie-Claude Lord, interniste à l’hôpital Sainte-Croix. (Photo gracieuseté)

«L’unité COVID, c’est comme un microclimat, car on est isolé du reste de l’hôpital. C’était très exigeant physiquement et difficile mentalement de voir des patients seuls et isolés en détresse. Il a fallu apprendre beaucoup sur le terrain aussi et ajuster les soins au fur et à mesure des connaissances. On n’est jamais assez préparé, même si on est à jour et on a lu toute l’actualité médicale, car il y a une différence entre la théorie et la pratique», rapporte-t-elle, soulignant le dévouement du personnel et l’entraide.

Leçons

Si certaines des décisions prises par Mme Boisvert au fil de la dernière année n’ont pas fait l’unanimité ou n’ont pas engendré les résultats escomptés, la gestionnaire affirme néanmoins qu’elle les assume pleinement.

«Quand tu es dans une crise, tu dois prendre des décisions rapides, appuyées sur des experts sachant que chacune d’elles va avoir des conséquences favorables ou défavorables, mais qui vont nous permettre de sortir de cette crise. Il y a des décisions qu’on a prises pour lesquelles ç’a avait un non-sens pour la population. Mais entre le moment que tu donnes la consigne et ce qui atterrit sur le terrain, parfois ce n’est pas ce que tu voulais», fait-elle valoir.

«Je suis quelqu’un qui a très confiance en ses moyens et je sais ce dont je suis capable et ce que je peux faire et j’assume pleinement mes décisions, donc je n’ai pas de regret. Je les ai toujours prises de bonne foi».

Au fur et à mesure que les connaissances sur la COVID-19 s’élargissaient, meilleurs étaient les résultats.

«On a vu d’une éclosion à l’autre une amélioration. Les apprentissages étaient mieux intégrés également. En prévision de la deuxième vague, on s’est très bien préparé. On a réussi à mieux contrôler le virus», observe-t-elle.

À ses dires, beaucoup de leçons sont à tirer de cette pandémie planétaire.

«On va avoir tiré beaucoup de leçons. Par exemple, la façon dont on avait réfléchi les choses sur la mobilité du personnel permettait l’utilisation maximale de chacun des intervenants. Mais si on avait eu la connaissance que les gens asymptomatiques pouvaient le transmettre et que la mobilité était un vecteur principal lors de la première vague, c’est clair qu’on aurait stabilisé les équipes à la place. De plus, le mot d’ordre au départ c’était de transférer toutes les personnes âgées dans les hôpitaux vers les CHSLD. Il y a eu un vacuum rapide pour libérer des lits, ce qui a généré plusieurs éclosions. Il y a également tout le volet de prévention et contrôle des infections qui n’était pas acquis en CHSLD», énumère-t-elle.

«Il faut apprendre de ça, mais il ne faut pas se torturer. L’important, ce de ne pas répéter les erreurs. Bref, je sors quand même la tête haute. J’ai fait tout ce que je pouvais», conclut avec conviction Nathalie Boisvert.

Quelques faits marquants – MRC de Drummond

14 mars 2020 : mise sur pied de la clinique de dépistage à Drummondville.

– 22 mars : premier cas dans la MRC de Drummond.

– 19 mai : ouverture de l’unité COVID à l’hôpital Sainte-Croix (143 personnes hospitalisées; 43 travailleurs de la santé mobilisés).

– 15 mi : première clinique de dépistage mobile déployée en Mauricie-Centre-du-Québec

– 11 octobre : passage en zone rouge.

– 13 octobre : mise en place du centre de dépistage massif

– Décembre : éclosions à l’hôpital Sainte-Croix (37 patients visés).

-8 décembre : éclosions au CHSLD Frederick-George-Heriot (115 résidents visés).

– 22 décembre : début de la vaccination à Drummondville.

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