Des chapeaux pour caracoler en tête

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Par Lise Tremblay
Des chapeaux pour caracoler en tête
Disposant d’une grande collection de chapeaux, Georgette Langelier a eu l’idée de décorer la vitrine du Bistro L’Entracte situé sur la rue Lindsay, à Drummondville. (Photo : Ghyslain Bergeron)

FEMMES. D’aussi loin qu’elle se souvienne, Georgette Langelier a toujours été passionnée par les chapeaux. Détenant l’une des plus importantes collections privées au Québec, la Drummondvilloise se plaît à raconter ici et là l’histoire des femmes à travers l’évolution de cet accessoire, qui en disait long sur le statut social de celles qui ont façonné le Québec.

Depuis quelques années déjà, Mme Langelier transporte son «musée mobile» un peu partout en province, notamment lors des Journées de la culture, pour raconter l’histoire du Québec à travers son impressionnante collection.

«Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je ne m’intéresse pas à la mode, mais bien à l’impact que le chapeau a eu sur notre histoire», explique-t-elle.

La passionnée a acheté son premier chapeau en 1979. Il était fait tout en feutre et décoré de plumes. Il était bleu, avec un bord roulé.

«Ç’a été un coup de foudre. Il était magnifique et il m’a ouvert à tout un monde. Dès ce moment, j’ai remarqué que chacun avait ses particularités et qu’il avait matière à développer le sujet. Pour moi, les chapeaux sont littéralement des pièces de musée», exprime celle qui organise des conférences et des expositions.

Ce chapeau, tout en fleurs, était porté l’été, en 1964. (Photo Ghyslain Bergeron)

À travers les années, la dame a enrichi sa collection à partir de pièces qu’elle a acquises, mais surtout de dons qu’elle a reçus.

«Je n’ai jamais fait l’acquisition d’un seul chapeau venant de Montréal, de Québec ou de l’Ontario. Ils proviennent tous de notre région, du monde comme vous et moi. Ils ont été portés par des gens qui ont connu la crise économique, la guerre et la Grande Noirceur des années 1950. Ça nous donne un portrait type de notre coin de pays et c’est ce qui est intéressant», informe-t-elle.

Sa collection représentant cette époque est d’ailleurs fort impressionnante. Elle nous plonge dans un Québec qui vivait selon les règles strictes de l’Église et les idées conservatrices de Maurice Duplessis. Il s’agit aussi d’une période durant laquelle les femmes ont commencé à avoir un pouvoir d’achat. «Certaines ont pu se procurer deux ou trois chapeaux.»

Il faut dire qu’à cette époque, il était interdit pour une femme de se présenter à la messe du dimanche la tête nue. Indirectement, c’est ce qui a supporté l’industrie du chapeau jusqu’en décembre 1965. La règle a par la suite été assouplie, ce qui a complètement jeté à terre cette tendance.

«Je suis allée aux sources et j’ai découvert aussi que dans les années 1960, les femmes se coiffaient avec des rouleaux. Elles ont, de ce fait, laissé tomber les chapeaux pour éviter de défaire leurs cheveux», raconte Georgette Langelier.

Ce chapeau, fait de feutre, était porté l’hiver. Il date des années 1950. (Photo Ghyslain Bergeron)

Mais durant la période où les chapeaux s’avéraient un accessoire essentiel, voire obligatoire, les femmes y accordaient une importance capitale puisqu’elles en achetaient généralement deux par année : un pour la belle saison et un deuxième pour la période hivernale.

Les plus habiles les cousaient elles-mêmes, à partir de patrons qui étaient publiés dans les journaux. Souvent, elles récupéraient le tissu de vieux vêtements. Quant aux plus fortunées, elles faisaient appel à des modistes, qui fabriquaient leurs chapeaux selon leurs volontés.

Fait intéressant, les femmes attendaient la messe de Pâques pour présenter leur nouveau chapeau. À cette époque, cet accessoire était plus important que les bijoux.

«Le matin de Pâques, les femmes sortaient leur chapeau fleuri avec des rubans. C’était festif. Dans ce temps-là, la coquetterie coûtait cher. C’était disproportionné, explique-t-elle. Oui le chapeau était obligatoire à l’église, mais c’était également la place pour le montrer. Les gens qui avaient leur banc à l’église, dans les premières rangées, étaient ceux qui portaient les chapeaux les plus chers. Beaucoup de gens arrivaient tôt à la messe pour voir défiler les notables et leurs chapeaux. C’était un show.»

Les chapeaux sont exposés dans la vitrine du bistro L’Entracte de la rue Lindsay, à Drummondville.

«On aurait pu faire une étude sociale sur le chapeau, car en l’observant, on pouvait détecter le pouvoir d’achat de la famille et son rang social. Plus la femme portait de beaux chapeaux, plus son mari avait de l’argent… à moins qu’elle eût le talent pour en fabriquer», met en relief Mme Langelier.

Pionnière

Georgette Langelier compte dans sa collection quelques chapeaux uniques d’Yvette Brillon, l’une des grandes modistes des années 1950 au pays. Ces chapeaux ont, à ses yeux, une valeur inestimable.

«Elle avait à Montréal le plus beau salon de modistes du Canada. Cette femme-là a commencé à fabriquer des chapeaux à l’âge de 16 ans. Dans les années 1950, elle avait 60 employés. C’était une vraie pionnière. Bien souvent, le travail de modiste était la seule voie pour celles qui ne souhaitaient pas devenir enseignantes ou infirmières. Pour ces femmes, il restait le monde des affaires, mais elles devaient être célibataires pour prendre cette voie».

Un petit chapeau des années 1940-1950 de la collection de Georgette Langelier. (Photo Ghyslain Bergeron)

Aujourd’hui, comptant des centaines de chapeaux tous plus beaux les uns que les autres, Georgette Langelier espère être en mesure de partager ce qu’elle a appris à travers les années.

«Des musées ont beaucoup de chapeaux, mais ils attendent des subventions pour être en mesure d’organiser des expositions. Moi, mon truc, c’est un musée éphémère, un musée mobile. Si la montagne ne vient pas à toi, va à elle! C’est comme ça que je vois les choses», exprime-t-elle.

C’est dans cette optique que Georgette Langelier a récemment offert à la restauratrice Suzanne Rajotte (Bistro L’Entracte) la possibilité d’enjoliver sa vitrine avec quelques pièces de sa collection datant des années 1940 à 1960. Les passants circulant sur la rue Lindsay y découvriront une vitrine colorée de mannequins portant des chapeaux qui ont autrefois fait tourner… bien des têtes.

«C’est pour mettre de la vie dans cette période difficile. Nous ne voulons pas subir la pandémie, mais être dans l’action», souligne Mme Langelier.

«La proposition qu’elle m’a faite est arrivée dans un moment tristounet, ajoute Mme Rajotte. Le simple fait que ça attire le regard des gens, que ça provoque une réaction est très positif. Il y a un engouement. Les gens passent et cognent dans la vitrine pour nous féliciter. Ce serait bien que d’autres marchands du centre-ville soient créatifs et agrémentent leur vitrine pour créer un divertissement.»

Modiste ou chapelière?

La différence est grande entre une modiste et une chapelière. «Quand on entend le mot chapelier ou chapelière, on pense aux grandes entreprises en France. Au Québec, dans plusieurs villages, vivaient celles qu’on appelait modistes. C’était des couturières qui avaient un talent marqué pour l’innovation. Elles vendaient leurs chapeaux comme des pièces uniques. Pendant la guerre, alors qu’il y avait beaucoup de restrictions, les chapeaux n’étaient pas rationnés, mais les matières premières l’étaient. Ainsi, pour aider les femmes – et les modistes –, les journaux publiaient à cette époque des patrons pour qu’elles puissent fabriquer de leur maison des chapeaux à partir de matières recyclées. «Les modistes vivaient très bien de leur art», précise Mme Langelier, qui a tenu durant plusieurs années la librairie Bonheur d’occasion au centre-ville de Drummondville.

Autre modèle estival. (Photo Ghyslain Bergeron)
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