Drummondville a son artisan de la ceinture fléchée

Drummondville a son artisan de la ceinture fléchée
Au fil des ans, Yves Beaubien a fabriqué plus d’une trentaine de ceintures fléchées. (Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Les ceintures fléchées n’ont plus de secrets pour Yves Beaubien. L’Express magazine est allé à la rencontre de cet artisan drummondvillois, l’un des rares experts de cette technique de tressage au Québec.

Ayant grandi dans une famille où l’artisanat était roi, Yves Beaubien a commencé à s’intéresser aux ceintures fléchées en visitant une exposition à Joliette. L’ingénieur de formation a d’abord été intrigué par la technique et la panoplie de modèles qu’il est possible de fabriquer.

«En 2005, je suis allé dans un marché de Noël à Knowlton. J’y ai rencontré Michelle Beauvais, une dame qui faisait des ceintures fléchées. Je lui ai demandé si elle pouvait me montrer comment faire. Elle a accepté de m’enseigner», raconte Yves Beaubien, dont la formation s’est étirée sur un an.

Yves Beaubien a d’abord été intrigué par la technique de la ceinture fléchée. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Au début, on fait seulement des échantillons. On ne commence pas par une ceinture complète, parce que ce sera un gros échec. Il faut commencer par de petits projets et de petits succès, puis on va vers de plus gros projets», explique celui qui a développé une machine unique permettant de retordre la laine de façon automatique.

Aujourd’hui, l’homme de 73 ans enseigne son art à ceux qui souhaitent apprendre cette technique. «Ça prend beaucoup de concentration. Quand on fait une ceinture fléchée, on ne peut pas regarder la télévision ou faire autre chose! Il faut vraiment se dédier à ça. Au bout d’un moment, vous allez commencer à faire des erreurs. Chaque fois, vous êtes alors obligés de défaire, ce qui est aussi long que de faire. C’est signe que c’est le temps d’arrêter pour se reposer», expose-t-il.

«Il faut bien gérer son poste de travail. Si vous êtes mal installés, vous allez développer des douleurs. Il faut avoir une certaine dextérité manuelle, mais il faut surtout avoir de l’intérêt pour ça. Car avec la passion, vient un complément : la patience.»

Selon les projets, la durée de confection d’une ceinture fléchée peut varier entre 250 et 800 heures. «C’est pour ça qu’on n’en voit pas beaucoup. Actuellement, aucune machine n’est capable de reproduire cette technique. Les Japonais, qui sont des spécialistes du tressage, considèrent d’ailleurs la ceinture fléchée comme le summum de l’art. Il faut donc en être fier», lance Yves Beaubien, qui possède une impressionnante bibliothèque sur le sujet.

Une origine québécoise

Après avoir appris la technique, Yves Beaubien s’est vite intéressé à l’histoire de la ceinture fléchée.

«Un jour, j’ai compris que la ceinture fléchée, c’est unique au Québec. Au départ, c’est une technique européenne, mais elle a été personnalisée ici. La particularité qu’on a développée au Québec, c’est qu’au lieu des chevrons, on fait des pointes de flèches. Certains disent qu’on a appris ça des Amérindiens, qui connaissent bien le tressage, mais leur technique est différente», précise celui qui s’intéresse aussi au wampum, une ceinture confectionnée par les Autochtones.

La ceinture fléchée est traditionnellement confectionnée en laine et tissée aux doigts en suivant un motif complexe de zigzags colorés (Photo Ghyslain Bergeron)

«Au début de la colonie, ça servait à transporter des marchandises. Les gens se faisaient des courroies ou des attelages. À l’époque de la traite des fourrures, les voyageurs s’en servaient comme support lombaire lors des portages. Car contrairement au cuir, la ceinture fléchée ne s’étire pas, ne rapetisse pas et ne bouge pas», relate le passionné d’histoire.

C’est ainsi que la ceinture fléchée s’est répandue vers l’Ouest canadien et de chaque côté du fleuve Mississippi. «Le rôle des voyageurs, c’était d’aller chercher de la fourrure, principalement du castor. La ceinture fléchée, c’était un instrument de troc avec les Autochtones.»

Au Québec, à peine une dizaine d’artisans produisent des ceintures fléchées de façon régulière. Seulement une centaine de personnes connaitraient la technique pour en fabriquer. À Drummondville, des membres de l’ensemble folklorique Mackinaw arborent des ceintures fléchées, une idée développée par l’un des danseurs du groupe, Michel Roy.

Yves Beaubien rappelle qu’au fil des décennies, la technique de la ceinture fléchée a souvent failli disparaître. «Dans les années 1880, plusieurs personnes portaient la ceinture fléchée au Québec. Mais ça prenait tellement de temps à faire que les gens se sont rabattus sur une autre technique. Par la suite, seulement quelques artisanes ont maintenu la technique en vie. Il y a eu quelques regains. Dans les années 1970, Pierre Bélanger a enseigné la technique dans la région de Lanaudière, mais l’engouement s’est étiolé. Aujourd’hui, il n’existe qu’une seule association d’artisans, celle de Lanaudière, dont je fais partie. C’est un regroupement qui nous permet de partager notre vécu.»

Le Fléché démêlé est un manuel illustré pour débutants. (Photo : Jonathan Habashi)

Souhaitant faire redécouvrir la ceinture fléchée aux Québécois, Yves Beaubien profite de chaque occasion pour en parler. En plus d’avoir participé à quelques émissions de télévision, il a collaboré à la traduction française d’un livre écrit en anglais par la Manitobaine Carol James. Le Fléché démêlé est un manuel illustré pour débutants qui comprend des modèles détaillés ainsi que des explications des erreurs les plus fréquentes.

«Beaucoup de gens ignorent ce que c’est. La ceinture fléchée est un symbole fort, mais dénigré au Québec. Pourtant, c’est notre identité. C’est le seul bout de tissu qui nous appartient. C’est important de le reconnaître. Notre groupe a d’ailleurs fait des démarches auprès du gouvernement pour le faire reconnaître dans le patrimoine immatériel du Québec.»

Au fil des ans, Yves Beaubien a fabriqué plus d’une trentaine de ceintures fléchées. «J’en ai vendu quelques-unes, mais j’en ai donné plusieurs, parfois même à des inconnus. Quand je voyais l’intérêt dans leurs yeux, je savais que ça ne finirait pas dans un tiroir. J’ai beaucoup d’émotions face à la ceinture fléchée. Car c’est toute l’histoire de nos ancêtres qu’on oublie», conclut l’artisan aux doigts agiles.

Le symbole d’un peuple

Élément important de l’héritage culturel et de l’identité nationale des Canadiens français, la ceinture fléchée est traditionnellement confectionnée en laine et tissée aux doigts en suivant un motif complexe de zigzags colorés. Selon l’Encyclopédie canadienne, ce sont les Canadiens français qui ont été les premiers à la confectionner et à la porter dans les années 1770.

S’intéressant à diverses techniques de tressage, Yves Beaubien souhaite faire redécouvrir la ceinture fléchée aux Québécois. (Photo Ghyslain Bergeron)
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