Tout recommencer… deux fois

Tout recommencer… deux fois
Naeem Kaakeh à la machine à coudre, sa passion. (Photo : Gracieuseté)

MAGAZINE. Tout quitter et devoir repartir à zéro. Non pas à une, mais bien à deux occasions. Nouveau pays, nouvelle culture, nouvelle langue… C’est la dure réalité qui attend bien des réfugiés de la guerre, comme Naeem Kaakeh et sa famille. En 2015, le clan familial de Naeem doit fuir la Syrie laissant derrière lui une partie de son rêve, son entreprise de renom en design de mode. 

-Par Justine St-Martin

À l’image de ce peuple accueillant et chaleureux, la table est remplie de grignotines de toute sorte. Toute la famille est réunie au salon. Pour l’entretien, le cousin Mohamad est présent pour faire la traduction au besoin.

«Quand j’étais jeune, j’ai commencé à travailler dès l’âge de 10 ans, débute Naeem dans un français un peu décousu, mais tout de même compréhensible. J’étudiais et je travaillais en même temps. Je faisais de la couture. Après mon secondaire 5, j’ai étudié dans deux écoles pour devenir designer de mode et couturier. J’ai ensuite ouvert ma propre compagnie. Je faisais des vêtements pour femmes : robes, jupe, pantalons, chemises… C’était gros et bien connu dans notre pays. J’ai eu cette entreprise pendant près de 20 ans», dit-il fièrement en montrant des photos de ses créations.

Une robe que Naeem Kaakeh a fabriquée en Libye.

En 2015, Naeem, sa femme Reem et leur jeune fils Madg sont forcés de quitter la Syrie pour des raisons de sécurité et s’installent d’abord en Libye. Le créateur de mode ne perd pas de temps. Il se retrousse les manches et renoue rapidement avec son rêve. Malgré l’énorme défi qui l’attend, il choisit de relancer à nouveau son entreprise.

«Nous avons dû tout quitter à cause de la guerre. On était obligé pour protéger la famille. J’ai alors ouvert une deuxième compagnie de mode, poursuit Naeem. Je faisais encore des vêtements. J’ai eu cette entreprise pendant deux ans. Dans nos pays, c’est un peu plus facile de tout recommencer. En Syrie et en Libye, les gens se connaissaient, c’était assez facile de retrouver de la clientèle.»

Par la suite, en 2017, la famille Kaakeh fait une demande à l’Unicef pour migrer vers le Canada. Sa demande est retenue et les démarches sont alors enclenchées. Après un passage de courte durée à Toronto, Naeem et ses proches s’installent finalement à Drummondville en décembre 2018.

«Une partie de la famille était déjà ici, précise le cousin, Mohamad. Nous, ça fait quatre ans que nous sommes à Drummondville. Quand ils sont arrivés au Canada, Naeem a parlé à mon père et il a décidé de venir rejoindre le reste de la famille. On était bien dans notre pays. S’il n’y avait pas de guerre, on serait probablement resté, mais on a quand même de la chance d’être installés ici. C’est comme une deuxième chance.»

Si l’intégration se passe bien, l’arrivée dans un nouveau pays réserve plusieurs défis de taille. Nouvelles coutumes, nouvel environnement, nouveau travail… Malgré tout, Naeem et sa famille se sentent déjà comme à la maison. Le couple suit des cours de francisation alors que Madg, 10 ans, poursuit sa 4e année primaire. Autre point positif, Naeem a pu renouer récemment avec sa passion pour la couture.

«Les gens sont gentils ici. La ville, c’est bien. J’apprends le français. On se sent chez nous, mentionne le père de famille. Depuis deux mois, je travaille chez Tissus Delorme. Je fais un peu de tout. J’aime travailler. J’aime être couturier. J’aime le design et la réparation de vêtements.»

Si ce dernier avoue qu’il chérit toujours le rêve de pouvoir un jour avoir sa propre entreprise, la famille est consciente du défi colossal que ça peut impliquer au Québec.

«C’est cher d’acheter les machines et c’est difficile de se faire connaître ici, traduit Mohamad. En Libye, il était capable de refaire son entreprise. Il connaissait des gens. Ici ça va être difficile de vendre. Ça coûte très cher pour recommencer à zéro.»

Son fils, Magd, a le même désir de travailler dans la conception de vêtements.

Chez les Kaakeh, la couture est une passion qui se transmet de père en fils. Magd maîtrise lui aussi très bien la machine à coudre et souhaite suivre les traces de son paternel. Le duo partage même un projet commun pour faire face à la pandémie, soit la confection de couvre-visages personnalisés.

«Mon père, c’est un modèle pour moi. C’est une inspiration. J’aimerais aussi avoir une compagnie de vêtements un jour. Je sais utiliser les machines et j’aide mon père à faire des masques», dit-il en montrant les piles de masques qu’ils ont fabriqués.

«On s’amuse ensemble. Moi, je continue de rêver qu’un jour je pourrai repartir à mon compte. J’espère, mais c’est très difficile. J’espère pouvoir refaire la même chose, comme dans mon pays et en Libye. C’est mon rêve, je dois y croire», conclut l’homme avec beaucoup de détermination et de courage.

 

Pour se procurer les masques conçus par Naeem et de Madg, contacter Naeem Kaakeh sur Facebook.

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