Les yeux de la résilience

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Par Lise Tremblay
Les yeux de la résilience
Othman Mohamad et son épouse Maram ont obtenu leur citoyenneté canadienne au début du mois de septembre, soit cinq ans après leur arrivée à Drummondville. (Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Les yeux d’Othman et de Maram ont quelque chose de différent, une lumière… une telle profondeur qui dissimule un passé déchirant. Ils ont été témoins du côté le plus sombre de l’être humain et se battent, jour après jour, pour s’assurer que le regard de leur quatre enfants ne porte jamais les traces de la guerre. 

Janvier 2016. C’était il y a cinq ans maintenant. Othman Mohamad et son épouse Maram débarquent au terme d’un épuisant vol de 16 heures à l’aéroport Pierre-Eliott Trudeau avec leurs garçons, la peur au ventre et ce grand besoin de sécurité dans le cœur. C’était un jour d’hiver très rigoureux. Le mercure affichait -34 degrés. Difficile d’imaginer pire scénario en posant les pieds sur sa nouvelle terre d’accueil.

Ils arrivaient du Liban, après avoir fui une petite ville près de Damas, en Syrie, lieu d’affrontements qui a fait des milliers de morts. Ils ont tout laissé derrière eux, à commencer par leur famille. Mme Maram raconte d’ailleurs qu’elle n’a pas vu sa mère depuis 2016. Et son père, un ingénieur qui travaillait pour le gouvernement, a été enlevé possiblement par l’État islamique. Aucune trace de lui depuis.

Elle est pharmacienne; lui, chirurgien-dentiste. Chacun avait son cabinet et sa fierté de travailler honorablement. Ils ont pris la fuite lorsque la violence s’est installée. Une bombe est d’ailleurs tombée très près du cabinet de M. Mohamad. Il a tout laissé derrière lui : appareils médicaux, automobile, biens personnels. Avec sa femme, ils ont plié bagage et sont partis au Liban où ils ont vécu en tant que réfugiés durant environ deux ans, de 2014 à 2016.

«Nos vies étaient en danger», laisse-t-il tomber, sans s’étendre davantage.

Othman Mohamad dans son cabinet de dentiste en Syrie. (Photo gracieuseté)

«On a quitté la Syrie, mais on n’a jamais pensé d’aller plus loin que le Liban. Deux ans plus tard, les Nations Unies nous ont appelés pour savoir si on voulait immigrer au Canada. Nous étions très surpris de recevoir cet appel, car nous n’avions jamais rempli de documents pour ça. Deux mois après cet appel, on était à Drummondville», raconte la dame.

«On ne parlait pas français du tout. On parlait cependant anglais, mais fonctionnel. Ç’a été très difficile», précise le père de famille.

Après avoir passé une nuit à l’hôtel, le jour de son arrivée au Canada, la famille a embarqué dans un autobus qui les a conduit dans une Drummondville complètement ensevelie sous la neige.

«On a pleuré beaucoup, mais depuis l’an passé, on peut dire que l’on commence à bien aller, parce que j’ai maintenant un travail. Je n’étais pas fier d’être sur l’assistance-emploi», confie Othman, qui s’attendait à davantage de support de la part du gouvernement. Pas juste à un chèque mensuel.

Après de longues recherches, ce dernier a déniché un boulot de caissier chez Costco, qui lui permet de nourrir sa famille. Évidemment, il caresse le rêve de travailler à nouveau avec des pinces et des turbines dentaires. Mais à son grand désespoir, son diplôme, obtenu dans une université ukrainienne, n’a aucune valeur au Canada. Et il n’a pas ménagé ses efforts pour le faire reconnaître, allant notamment cogner à la porte des députés puis à celles d’universités. Chaque fois, il encaisse un «non».

À travers ses démarches et sa résilience, il n’a même pas réussi à s’inscrire à la Technique Sciences infirmières au Cégep de Drummondville, parce qu’il n’arrive pas à réussir son test de français d’entrée. Idem pour la formation d’hygiéniste dentaire ou de préposé aux bénéficiaires.

«Je me suis inscrit sur le site Je contribue et j’ai été capable d’aller travailler dans des CHSLD de la région. J’aime travailler en santé. C’est ma passion», soutient-il, en déplorant le fait qu’il n’a pas été choisi pour la formation.

Avec ses deux emplois combinés, le Syrien travaille entre 54 et 56 heures chaque semaine. L’ardeur au travail y est, mais son regard ne s’illumine à peine plus qu’un lumignon lorsqu’il parle de ses engagements.

Le couple a quatre enfants. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Pour mes enfants, tout est mieux ici. Ils fréquentent l’école et ils sont en sécurité. Mais si je ne pense qu’à moi, tout était mieux en Syrie, car j’avais mon travail de dentiste là-bas», résume celui qui a obtenu sa citoyenneté canadienne en septembre.

Sa femme fait face essentiellement aux mêmes portes fermées. Diplômée en pharmacie, elle a réuni de peine et de misère les six mille dollars nécessaires pour passer deux examens au Bureau des examinateurs en pharmacie du Canada, qui est l’organisme national de reconnaissance professionnelle.

Le premier examen, portant sur les lois entourant la pharmacie, elle l’a réussi haut la main. Le deuxième, résumant quatre ans d’intenses études, elle l’a échoué par un cheveu. «C’était parce que je ne comprenais pas toutes les questions, qui étaient en français», se désole-t-elle.

Elle a bien l’intention de se reprendre et de le réussir, elle qui a pourtant donné naissance à deux autres enfants depuis son arrivée à Drummondville. Ils ont aujourd’hui 10, 6, 3 ans et 7 mois, parlent «très québécois» et portent un coup d’œil plus que prometteur quant à leur avenir.

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