10 ans depuis la tragédie du 10-10-10

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Par Marilyne Demers
10 ans depuis la tragédie du 10-10-10
Dans les jours suivant la tragédie, des fleurs avaient été déposées au pied de l'arbre où l'accident s'est produit. (Photo : Archives - Ghyslain Bergeron)

TRAGÉDIE. Il y a dix ans aujourd’hui qu’est survenue la tragédie routière qui a coûté la vie à quatre jeunes hommes de 18 à 22 ans à Drummondville. Depuis ce terrible accident, plusieurs mesures ont été mises en place pour les jeunes conducteurs.

Dans la nuit du 10 octobre 2010, Carl Francoeur-Ouellette, Jean-Benoît Pelletier, Gabriel Savard et Alex Jutras-Lizotte ont perdu la vie après que la voiture dans laquelle ils prenaient place ait percuté un arbre sur un terrain du boulevard Mercure, près de la 123e Avenue.

«J’ai une pensée pour chacune des familles, chacun des proches encore aujourd’hui. Chaque fois que je passe là, je me demande comment va le deuil des familles», confie le coroner Yvon Garneau.

Même si dix ans se sont écoulés depuis ce drame, M. Garneau se souvient de cette nuit-là. «Avant même que j’arrive sur les lieux, les décès étaient constatés par des médecins. Je me rappelle que rendu à trois décès, et peut-être un quatrième, j’ai arrêté ma voiture, je me suis stationné et j’ai pris un grand respire. À ce moment-là, ça faisait cinq ans que j’étais coroner. C’était la première fois que j’allais sur ce qu’on appelle dans notre jargon technique, un multidécès», raconte-t-il.

Le coroner Yvon Garneau a toujours une pensée pour les familles des et les proches des victimes quand il circule sur le boulevard Mercure, près des lieux de l’accident. (Photo: Ghyslain Bergeron)

«Je me suis dit que j’allais affronter quelque chose de majeur, d’immensément triste. Plus tu es jeune, plus ça implique de gens : des jeunes parents, des jeunes grands-parents, des frères, des sœurs, et surtout, d’innombrables amis. Ça faisait longtemps au Québec que ce n’était pas arrivé une hécatombe comme ça.»

Cette année-là, la province a connu un sombre bilan routier avec 152 conducteurs de 16 à 24 ans décédés sur les routes. Pour mettre un frein à l’«hécatombe», le coroner Garneau a notamment recommandé, dans un rapport déposé en 2011, d’imposer un couvre-feu de minuit à 5 h du matin à tous les conducteurs de moins de 24 ans.

«Je suis allé sur la pointe des pieds au début, et après, je l’ai fait ne serait-ce que pour créer un débat. C’est ce qui est arrivé, se souvient-il. J’ai eu les tomates d’un bord, les fleurs de l’autre. Il fallait oser un peu le faire. On n’avait jamais vu ça au Québec des recommandations comme ça.»

Sept ans plus tard, de nouvelles mesures de sécurité routière sont entrées en vigueur à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). Les apprentis conducteurs ont été soumis à un couvre-feu allant de minuit à 5 h du matin. Il a aussi été décidé que les titulaires d’un permis probatoire ne pourraient transporter qu’un nombre limité de passagers.

«Cette mesure-là vise à limiter les accidents parce que, malheureusement, il y a bon nombre d’accidents qui arrivent la nuit. Souvent, on voyait qu’il y avait plusieurs jeunes dans le même véhicule», indique Mario Vaillancourt, porte-parole de la SAAQ.

Documentaire marquant
Après avoir réalisé les documentaires Les voleurs d’enfance et Québec sur ordonnance avec Denise Robert, Paul Arcand a frappé fort avec Dérapages en 2012. «J’attendais d’avoir un sujet qui allait venir me chercher. Je me souviens très bien, c’était au début juin [2010], j’étais assez frappé par le nombre d’accidents qui impliquaient de jeunes conducteurs. J’ai fait sortir les statistiques et les jeunes étaient toujours surreprésentés», mentionne-t-il.

Traitant des comportements des jeunes sur la route, notamment la vitesse et l’alcool – deux éléments relevés dans le rapport du coroner Garneau lors de l’accident du 10-10-10 – l’animateur et réalisateur a voulu donner la parole à des proches de victimes et à des survivants marqués à vie.

«J’ai pris la décision que ceux qui seraient les seuls à occuper tout l’espace, ce sont les proches, les amis et les victimes. On fait un film qui s’adresse à des jeunes, on veut leur montrer cette réalité, il faut les laisser parler, les écouter, essayer de voir leur état d’esprit, leurs émotions et comment ces émotions changent avec le temps. C’est un peu le constat qu’on a fait aussi. La réaction sur-le-champ est brutale, est terrible. On était retourné au printemps et un ami des victimes m’avait dit : on ne mélange plus alcool et volant. Après trois mois, la plupart étaient moins à cheval sur les principes», rapporte-t-il.

Le tournage du documentaire Dérapages, de Paul Arcand, a débuté lors de la tragédie du 10-10-10. (Photo: Archives – Ghyslain Bergeron)

Dans le documentaire, des proches et des parents des quatre jeunes Drummondvillois décédés le 10 octobre 2010 ont courageusement pris la parole. C’est d’ailleurs lors de cet accident que le tournage a débuté.  «C’était notre premier week-end. Le samedi, on était avec la Sûreté du Québec et on avait intercepté de jeunes conducteurs. J’étais rentré chez moi vers 3 h du matin. Le lendemain, on y retournait. Ma conjointe m’a demandé si j’étais allé à Drummondville. J’ai pris connaissance tranquillement de la nouvelle. On est arrivé autour de 10 h sur les lieux de l’accident et c’est là que ç’a commencé», raconte Paul Arcand.

Avec son équipe, il s’est rendu à plusieurs reprises à Drummondville. «Je pense avoir pas mal connecté avec les gens qu’on a rencontrés sur place et c’est une expérience que je n’oublierai jamais. Ce dimanche matin-là, d’arriver sur les lieux de l’accident, de voir les gens rassemblés autour de l’arbre et le monde qui passe, ça marque», indique le populaire animateur qui, encore aujourd’hui, se fait parler de Dérapages.

Une suite n’est pas envisagée, mais Paul Arcand a fait savoir qu’il pourrait reprendre un projet de documentaire mis sur la glace avant la pandémie.

Surreprésentés
Bien que le bilan routier québécois se soit amélioré chez les jeunes conducteurs , ces derniers demeurent surreprésentés. «Au global, les jeunes de 16 à 24 ans représentent 8 % des titulaires de permis, mais 19 % d’entre eux sont impliqués dans des accidents avec dommages corporels. Ils sont moins nombreux à avoir des permis, mais un peu plus du double à être impliqués dans des accidents», constate le porte-parole de la SAAQ, Mario Vaillancourt.

En 2019, 57 accidents mortels sont survenus chez les conducteurs de 16 à 24 ans au Québec, une diminution de 23 par rapport à l’année précédente. «Il y avait des efforts à faire et on voit que dans le bilan routier, il y a eu des améliorations», indique M. Vaillancourt, soulignant la mise en place de campagnes de sensibilisation et les nouvelles mesures visant les jeunes conducteurs au cours des dix dernières années, comme le cours de conduite obligatoire, la tolérance zéro pour les moins de 21 ans et la limitation du nombre de passagers entre minuit et 5h du matin.

Les chiffres de la SAAQ des dix dernières années démontrent également que le nombre d’accidents impliquant l’alcool chez les jeunes a diminué. La vitesse demeure toutefois une des principales causes de décès sur les routes. «Chez beaucoup de personnes, la vitesse est encore banalisée, dans le sens qu’il y a des conducteurs qui vont parler de leur vitesse au lieu de voir ça comme un comportement dangereux, soutient le porte-parole de la SAAQ. On va continuer à agir avec des campagnes de masse, mais aussi plus ciblées. On agit sur l’ensemble des causes, mais les principales qui nous sont mentionnées dans les rapports policiers, ce sont la distraction et la vitesse. Les efforts se poursuivent. Un décès en est un de trop.»

«S’il n’y a pas d’augmentation, est-ce à cause qu’on a fait parler les jeunes avec les recommandations, à cause qu’on a fait parler Paul Arcand avec le documentaire et que ce documentaire a été diffusé dans les écoles? Est-ce que c’est ça? Chose certaine, il y a eu une diminution. J’aimerais dire qu’un plus un fait deux. Malheureusement, ça aura pris une tragédie comme celle-là», conclut pour sa part le coroner Yvon Garneau.

 

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