Une résidente d’un CHSLD n’en peut plus d’être en isolement

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Par Lise Tremblay
Une résidente d’un CHSLD n’en peut plus d’être en isolement
Nancy Houle réside au CHSLD Frederick-George-Heriot depuis plus de trois ans. (Photo : Gracieuseté)

SANTÉ. Nancy Houle n’a que 41 ans et elle vit depuis plus de trois ans au Centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) Frederick-George-Heriot de Drummondville. Atteinte d’une malicieuse maladie, elle est incapable de quitter son lit. Lorsque la COVID-19 s’est manifestée au Québec, elle a été placée en isolement, par prévention. Six mois plus tard, elle y est toujours, une situation qui la prive de soins essentiels.

«Ça ne peut plus durer comme ça.»

Cette phrase de quelques mots à peine résume la pensée de Nancy Houle, une femme qui a vu la maladie la soustraire de la vie active alors qu’elle n’avait que 18 ans. Horribles maux de dos, perte de mobilité, faiblesses. Tout a basculé. Diagnostic : discopathie dégénérative multi étagée, une maladie qui lui a bousillé la colonne vertébrale et son rêve de terminer des études universitaires en enseignement.

Il y a trois ans et demi, après avoir fait cinq chutes en quatre semaines, elle a été admise au CHSLD où elle soutient être très bien traitée. Mais beaucoup moins depuis la crise de la COVID-19.

Étant donné la précarité de sa santé, et surtout de sa difficulté à respirer sans un moniteur CPAP le jour comme la nuit, elle a été placée en isolement, question d’éviter qu’elle ne contracte ce virus qui pourrait lui être fatal. Ainsi, les personnes qui entrent dans sa chambre doivent revêtir un masque, des gants et une blouse de protection. Et tous les objets doivent être stérilisés ou placés en quarantaine avant de pouvoir être apportés près d’elle. Conséquences : l’infirmière spécialisée en soins de pieds ne lui a pas coupé les ongles d’orteils depuis le mois de mars, le dentiste n’a pas pu être appelé pour soigner sa gencive douloureuse et elle est privée du service d’animation du CHSLD.

«Je suis en isolement dans ma chambre 24 heures sur 24 depuis le mois de mars. Il n’y a eu aucun cas de la COVID-19 au CHSLD. Est-ce que ça vaut encore la peine que je reste en isolement? Tout cela commence à me créer de l’anxiété. Ma mâchoire est enflammée et le dentiste ne peut pas venir me voir. Idem pour l’infirmière des ongles. Mes ongles sont particuliers et les préposés aux bénéficiaires ne peuvent pas s’en occuper. Ça fait tellement longtemps qu’ils n’ont pas été coupés que j’ai peur que la technicienne ait beaucoup de difficulté. Ils sont très longs. J’ai suffisamment de problèmes de santé sans avoir à endurer ça. Ils me font mal maintenant», exprime la dame, qui avale 40 comprimés par jour, mais dont l’esprit demeure très vif. Elle parle d’ailleurs quatre langues, soit le français, l’anglais, l’espagnol et l’italien.

Nancy Houle soutient également se sentir à l’écart et elle estime que cela a assez duré.

«Je sens qu’on m’a tassée et brimée, dit-elle. J’utilise un CPAP depuis huit ans, soit bien avant la crise de la COVID-19. Je n’ai jamais été placée en isolement à cause de ça. Pourquoi me laisse-t-on en isolement alors qu’il n’y a aucun cas de virus?», questionne-t-elle.

Évidemment, elle en a parlé à son médecin puis à des employés du centre, mais personne ne semble connaître les raisons qui justifient cette décision.

«Ça fait partie des dommages collatéraux de la COVID. J’aimerais avoir un semblant de vie sociale», ajoute-t-elle.

Seule au monde

La dernière fois que Mme Houle a ri ou ressenti un sentiment plaisant, c’était à Noël. Depuis, aucune visite. Elle n’a d’autre choix que de laisser couler le temps et de se changer les idées en regardant la télévision ou en naviguant sur internet.

Nancy Houle. (Photo Gracieuseté)

«Je n’ai plus de famille. Il me restait ma mère, mais elle est maintenant décédée.»

Un bénévole avait l’habitude de lui faire parfois des commissions, mais encore là, ses visites se sont espacées. Tout comme ses petits bonheurs mensuels.

«Quand j’ai fini de payer tout ce que j’ai à payer, soit mon internet et le câble, il me reste 25 ou 26 $ par mois, dit-elle. Je m’en sers pour acheter un déodorant à mon goût ainsi que du shampooing, du dentifrice et une brosse à cheveux. Tout ça doit être mis en quarantaine; donc, je dois aussi attendre avant de les avoir.»

L’utilisation d’un appareil CPAP commande un isolement

Sans pouvoir commenter le cas précis de Mme Houle, le Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ), par l’entremise de son porte-parole, explique que les patients qui ont besoin d’un appareil de type CPAP, destiné au traitement de l’apnée du sommeil, sont placés obligatoirement en isolation lorsqu’ils vivent en CHSLD en raison de certains risques liés à son utilisation.

«C’est une décision qui a été prise pour protéger l’utilisateur, les patients, mais aussi l’ensemble du personnel, car ces appareils sont susceptibles de générer des aérosols. Nous prêchons par précaution en raison de la COVID-19. Si l’usager cesse l’utilisation du CPAP, il peut continuer de circuler dans l’unité, si aucun cas de COVID-19 n’y est suspecté, comme c’est le cas à Frederick-George-Heriot», explique Guillaume Cliche.

Ce dernier précise cependant que l’utilisation d’un CPAP et la mise en isolement d’un patient ne sont pas censées altérer les soins offerts.

«Ça n’empêche en rien tout autre soin de base, qui sont donnés de façon habituelle, mais avec des équipements de protection lorsque l’appareil CPAP est en fonction», ajoute le porte-parole, en rappelant que tout «patient peut aussi refuser en tout moment de recevoir des soins.»

Pour ce qui est des objets pouvant être apportés dans la chambre de Mme Houle, comme des instruments servant à prendre soin des ongles, Guillaume Cliche confirme que ceux-ci doivent impérativement être désinfectés ou placés en quarantaine, avant d’être transportés dans la chambre du patient isolé.

Enfin, le porte-parole du CIUSSS MCQ soutient qu’isolement ou non, tous les patients du CHSLD ont droit au divertissement.

«L’entièreté des loisirs est offerte à l’ensemble des résidents, en fonction de leur condition», termine-t-il.

Il n’a pas été possible de savoir combien de patients, comme Nancy Houle, sont toujours placés en isolement au CHSLD Frederick-George-Heriot.

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