Les aidants invisibles VS les intervenants encore plus invisibles (Tribune libre)

Les aidants invisibles VS les intervenants encore plus invisibles (Tribune libre)
(Photo : L'Express)

TRIBUNE LIBRE.

Carol Fillion, président-directeur général

Lyne Girard, directrice générale adjointe (CIUSS Mauricie-Centre-du-Québec)

La journaliste Josée Legault a écrit tout récemment un article dans le Journal de Montréal sur les «aidants invisibles» et leur épuisement. J’aime lire madame Legault, car elle vit au quotidien le problème des proches aidants avec sa sœur handicapée intellectuelle, donc ce qu’elle écrit vient de l’expérience réelle du cœur.

Je réfléchis depuis le début de la pandémie à notre cher Centre de réadaptation en services en déficience intellectuelle (CRDI), bien loin des projecteurs de la réalité, à l’opposé des intervenants en santé qui eux sont au front.

Je suis une famille qui a adopté des enfants handicapés et qui vivait avec 6 personnes handicapées intellectuelles lorsque la crise de la COVID-19 a frappé. Je dis «vivait», car dès les premiers jours, un de nos jeunes suivi par notre CRDI a fait plusieurs crises liées à sa santé mentale fragile et nous avons dû faire appel en urgence à l’équipe d’intervenantes pour le déplacer. Nous étions déjà en démarche pour lui trouver une famille d’accueil depuis quelques mois, car il demandait à partir et ici, son état instable menaçait l’équilibre de tous. Du jour au lendemain, notre fils est parti dans une ressource privée amie, car le système n’a pu lui trouver rapidement de lieu sécuritaire. Il est très bien heureusement là où il vit présentement, mais nous savons que c’est temporaire.

Pendant ce temps, depuis maintenant 10 semaines, mon mari et moi sommes responsables nuit et jour de l’animation, de la santé, de la sécurité et du bien-être de 6 personnes (nous avons aussi une adolescente avec des besoins particuliers). Nous avons 4 employés (2 préposées et 2 étudiants à temps partiel) pour nous aider à partir de 7 heures le matin jusqu’à 8 heures le soir, car trois de nos jeunes sont multihandicapés. Nous sommes donc en quelque sorte une résidence privée genre RI. Nous sommes épaulés à distance par les intervenants du CLSC pour les soins de santé et nous avons un excellent service de notre médecin et de notre pharmacien.

Quant au centre de réadaptation en déficience intellectuelle, eh bien… les premières semaines, tous les lundis matins, j’avais un appel téléphonique pour vérifier si tout allait bien (sous-entendu j’espère que vous allez bien, car on ne saurait pas quoi faire pour vous aider); téléphone multiplié par 4, car mes jeunes fréquentent 4 plateaux différents. J’ai gentiment dit à chaque éducatrice de ne plus m’appeler, car nous étions autonomes.

J’aurais aimé et je l’ai suggéré à deux éducatrices qu’elles mettent en place des vidéoconférences pour nos jeunes avec animation pour que nos jeunes qui n’ont pas de contact avec leurs amis puissent se voir et se parler. Bonne idée, n’est-ce pas? Mais comme ces éducatrices doivent parler à leur supérieur/gestionnaire/ responsable, montez l’échelle des responsabilités et ça sera effectif dans six mois.

Je lève mon chapeau aux organismes communautaires qui dès la première semaine ont organisé avec peu de ressources et des salaires limités des jeux, des rencontres virtuelles et des exercices. Je pense aux Olympiques spéciaux du Québec qui 5 jours par semaine animent des ateliers soit de mise en forme, de nutrition, de danse ou de yoga.

Je pense à Parrainage civique Drummond qui a aussi organisé des vidéoconférences pour ses membres, soit mise en forme, soit  bricolage, soit juste pour se voir et se parler.

Je pense à notre association locale de parents d’enfants handicapés qui a livré à tous ses membres des masques pour faciliter les sorties et qui, chaque semaine, met au courant les parents de toutes les nouvelles pouvant nous rejoindre.

Je pense à notre club de natation local (Les Requins de Drummondville) qui organise aux deux semaines une vidéoconférence avec des thèmes bien précis reliés à la pratique du sport (vidéos à commenter) et à une bonne hygiène de vie. De plus, les jeunes ont reçu des tableaux d’exercices à faire.

La vie est bien là, différente, mais pendant ce temps où se terrent ceux et celles qui devraient nous aider au quotidien?

J’espère que leurs dossiers sont bien en ordre et que leurs réunions sont bien organisées même à distance, car pendant ce temps, leurs clients et les parents deviennent de plus en plus exténués. En dehors des plateaux de travail, ont-ils réfléchi à un plan d’urgence qui pourrait servir à leurs «usagers» qui seront complètement déboussolés lors de la reprise normale de la vie?

Pendant que je réfléchissais à la teneur de cette lettre, je cherchais l’organigramme du CRDI pour savoir à qui l’envoyer et je n’ai rien trouvé d’autre que le monstre du CIUSS qui étend ses tentacules partout (finalement, j’ai eu accès à cet organigramme – seulement 32 pages pour la Mauricie-Centre-du-Québec).

Heureusement, nous avons la chance d’habiter en périphérie dans une grande maison sur un grand terrain ombragé bien aménagé. Avec le beau temps qui semble s’installer, nous pouvons en profiter et entendre chanter les poules et les oiseaux. Nous pouvons marcher, courir, faire du vélo avec ceux qui le peuvent.

J’espère seulement – et c’est ce qui me cause de gros maux de tête – que le COVID-19 ne nous visitera pas, car déjà nous sommes sur la corde raide, mais en équilibre dans notre réalité quotidienne.

France Beaudoin, Drummondville


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