Vivre ses derniers jours à l’ère de la COVID-19

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Par Marilyne Demers
Vivre ses derniers jours à l’ère de la COVID-19
Réjean Letendre et Ginette Courchesne peuvent discuter avec leurs proches à travers la fenêtre entrouverte. (Photo : Ghyslain Bergeron)

SANTÉ. Réjean Letendre vit ses derniers jours. Peut-être ses dernières semaines ou ses derniers mois. On ne le sait pas.

Il est atteint d’un cancer du poumon. Son médecin lui a donné quatre mois à vivre. C’était il y a deux ans. Mais récemment, la douleur était si vive qu’il avait du mal à dormir. Même la médication n’avait aucun effet.

Le 21 avril, il est entré à la Maison René-Verrier, l’une des 34 maisons de soins palliatifs du Québec. Depuis, ça va mieux, nous dit son épouse Ginette Courchesne. Tous les jours, elle se rend au chevet de son mari, avec qui elle partage sa vie depuis 53 ans.

«Quand on sait que plusieurs personnes sont décédées seules pendant la pandémie, je ne voulais pas que ça lui arrive. Mon mari, c’est un homme très doux. On était toujours ensemble. Je ne pouvais pas m’imaginer le laisser seul. Je voulais être auprès de lui», dit-elle.

Son nom est sur la liste des visiteurs essentiels, avec celui de leurs deux fils. Dans la foulée des mesures annoncées par le gouvernement du Québec pour éviter la propagation de la COVID-19, les visites en milieux de soins palliatifs ont été restreintes. Seuls les enfants et l’être aimé sont maintenant autorisés à franchir les portes de la Maison René-Verrier.

La directrice des soins infirmiers à la Maison René-Verrier, Sophie Laliberté. (Photo : Ghyslain Bergeron)

Les visites ont lieu entre 10 et 16 heures. Une seule personne à la fois peut entrer dans la chambre du patient. Malgré ces heures réduites, Ginette Courchesne se console de pouvoir être encore aux côtés de son mari. Le reste du temps, elle sait qu’il est entre de bonnes mains.

«On essaie de compenser pour cette perte de chaleur humaine. On passe beaucoup de temps avec les patients. On essaie de les faire rire. Les gens ne viennent pas mourir, ils viennent vivre leurs derniers jours», indique la directrice des soins infirmiers à la Maison René-Verrier, Sophie Laliberté.

Avant la pandémie, les membres du personnel avaient l’habitude d’être près des patients et de leur famille. Désormais, pour les protéger, ils appliquent les mesures de distanciation physique le plus possible. «De garder une distance, de ne pas pouvoir prendre une famille en pleurs dans nos bras, c’est difficile parce que ça va à l’encontre des soins palliatifs. On dirait qu’on n’est pas encodé pour ça. Malgré tout, notre approche demeure la même. On le fait avec autant d’amour, sinon plus», soutient-elle.

Si les masques cachent leurs sourires, les paroles et les rires du personnel – arborant des bijoux aux couleurs de l’arc-en-ciel – demeurent réconfortants. «On les rassure, on donne un contact humain comme on peut. C’est un père, une mère qu’on prend en charge. C’est très familial à la Maison René-Verrier», souligne l’infirmière Maryse Leduc.

L’infirmière Maryse Leduc avec Réjean Letendre. (Photo: Ghyslain Bergeron)

D’ailleurs, la crise a ressoudé l’équipe, indique cette dernière. «C’est comme si on est à la guerre. On est au front et on passe à travers ensemble. Tout le monde est là depuis le début. Il y a comme un ciment qui s’est installé entre nous. Je ne voudrais pas être ailleurs.»

Seule l’absence des bénévoles laisse un vide dans la maison. Celui-ci pourra bientôt être comblé, le temps de quelques notes de musique. Le bénévole Christian Nadeau, notamment, retrouvera son piano, mais cette fois-ci, à l’extérieur.

«On va ouvrir les fenêtres des chambres des patients pour qu’ils l’entendent. Même si on est dans une maison de soins palliatifs, il y a de la vie. La mort se présente quand le cœur arrête de battre. Avant ça, il y a toujours de la vie», souligne la thérapeute en relation d’aide à la Maison René-Verrier, Manon Drolet.

Aurevoir chamboulé
Les visites étant restreintes, la maison de soins palliatifs de Drummondville a dû se réinventer. «Je dois faire preuve de créativité pour arriver le plus possible à garder cette humanité entre les patients et les proches. Des bons moments, des bons souvenirs, c’est ce qui permet de boucler la boucle. Il faut trouver des façons symboliques, dans la tendresse et l’amour, de traverser cette étape vers le deuil», indique Manon Drolet.

La thérapeute en relation d’aide s’est assurée que des tablettes soient disponibles pour que les patients puissent communiquer avec leurs proches durant la crise du coronavirus.

À l’extérieur, en face de chacune des fenêtres des dix chambres privées, des chaises ont été installées sur des palettes en bois, à proximité des mangeoires pour oiseaux. Les proches qui ne figurent sur la liste des visiteurs essentiels peuvent s’y installer. En ouvrant un peu la fenêtre ou en appelant avec un cellulaire, ils peuvent discuter avec la personne malade, la rivière Saint-François en trame de fond.

En raison de la pandémie, Réjean Letendre ne pourra prendre ses petits-enfants une dernière fois dans ses bras. Ni ses brus, ni ses frères, ni aucune autre parenté. De l’autre côté de la fenêtre de sa chambre, il peut toutefois les voir et leur parler. «C’est comme s’ils étaient avec lui», témoigne son épouse Ginette Courchesne.

À travers la fenêtre, Réjean Letendre sourit. Si la pandémie lui a volé ses derniers moments auprès de ses proches, elle n’aura réussi à lui enlever son sourire.


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