À la recherche du bon masque pour communiquer avec Noémie

Photo de Marilyne Demers
Par Marilyne Demers
À la recherche du bon masque pour communiquer avec Noémie
Noémie Niquet s’inquiète sur la façon dont elle pourra communiquer avec les personnes ayant recours au port du masque. (Photo : Ghyslain Bergeron)

CORONAVIRUS. Après avoir balayé du revers de la main le port du masque pour éviter la contamination de la COVID-19 due à une mauvaise utilisation, le gouvernement Legault a récemment adopté une nouvelle position.

Les masques non-médicaux n’ont pas tardé à faire leur apparition. Unis, colorés, à motifs ou même à paillettes. Avec ou sans filtre. À plis ou en wax. Ajustable ou taille universelle. En coton, en lin ou en chanvre. Bref, il y en a pour tous les goûts. Ou presque.

Malgré cette vaste gamme de produits, Marylène Boisjoli n’a pas trouvé ce qu’elle cherchait. Du moins pas encore. Elle a lancé un appel à tous sur les réseaux sociaux, auquel certaines personnes ont répondu. Elle recherche un masque muni d’une fenêtre transparente. Pas que ceux sur le marché ne sont pas jolis, mais ils ne lui permettront pas de communiquer avec sa collègue à leur retour au bureau.

Sa collègue, elle se nomme Noémie Niquet. Elle a 27 ans et travaille comme technicienne en informatique-réseautique à la Ville de Drummondville. Un emploi qu’elle a décroché après ses études en technique de l’informatique au Cégep de Saint-Hyacinthe.

Noémie est malentendante. Elle vit avec une surdité profonde bilatérale depuis l’âge de cinq ans. «Je suis née avec une malformation de la cochlée de mon oreille gauche. J’ai complètement perdu mon audition à l’oreille droite à la suite d’une méningite. Je ne suis donc pas sourde de naissance», indique-t-elle.

La jeune femme a eu son premier implant cochléaire à l’oreille droite peu de temps après sa méningite. L’implant lui a permis de conserver une bonne capacité d’audition. Elle a toutefois dû le faire retirer à l’âge de 10 ans en raison d’une infection. Les 15 années suivantes, elle les a passées sans ouïe. «En janvier 2017, j’ai eu la chance de me faire réimplanter à l’oreille droite. Depuis, je suis capable d’entendre les bruits ainsi que la parole à un faible pourcentage», explique-t-elle.

La lecture labiale, qui consiste à lire sur les lèvres, demeure un outil de communication indispensable pour la jeune femme. «Mon implant cochléaire m’aide à associer les sons entendus à ce que je lis sur les lèvres de mon interlocuteur, mais je ne peux pas me fier uniquement sur celui-ci, explique-t-elle. Une grande partie de la lecture labiale fait appel à la suppléance mentale puisqu’il n’est pas toujours possible de comprendre une phrase entière. Par exemple, sur dix mots, je peux en comprendre quatre. Grâce à la suppléance mentale et la déduction logique, j’arrive à savoir ce que la personne a dit.»

«J’ai toujours eu cette fierté de pouvoir communiquer presque comme une personne entendante. J’ai rarement à avertir ou expliquer que je suis malentendante puisque mon handicap ne se voit pas et que je comprends bien les gens dans la vie de tous les jours. Depuis que je vis à Drummondville, toutes les personnes à qui j’ai dû dire que je suis malentendante se sont adaptées sans problème et avec un grand sourire», ajoute-t-elle.

Cependant, s’il se veut au frein au virus, le port du masque est devenu une barrière pour Noémie. Plus tôt cette semaine, ce nouvel accessoire a semé la confusion lorsqu’elle s’est rendue dans une pharmacie de Drummondville.

«Je me suis butée à une préposée à l’accueil qui n’a pas enlevé du tout son masque, malgré que je lui ai dit que j’étais malentendante et que je lisais sur les lèvres. Je n’ai pas du tout compris ce qu’elle a dit. Ça a semblé lui suffire, mais je dois avouer que ça m’a complètement déstabilisée, raconte Noémie. Ça ne me donne pas le goût de sortir et je vais éviter les endroits où il n’y a pas de mesures sécuritaires pour s’adapter à mon handicap.»

Les oubliés de la crise?
Dès le début de la pandémie, le gouvernement du Québec a mis en place une ligne téléphonique pour s’informer sur la COVID-19 et prendre rendez-vous pour un test de dépistage. Le hic, advenant le cas où Noémie Niquet tombe malade, elle ne pourra comprendre son interlocuteur au bout du fil.

Noémie Niquet. (Photo: Ghyslain Bergeron)

«Je vis seule et je n’ai pas de téléphone spécial, soit un téléscripteur me permettant de communiquer via une ligne téléphonique résidentielle par conversation texte. Mes parents habitent dans une autre région et je n’ai pas beaucoup de contacts à Drummondville. Je ne sais toujours pas comment je ferais puisque tous les services se font par téléphone. Est-ce que je peux demander à quelqu’un d’autre d’appeler pour moi en sachant qu’il faudra sûrement que je donne mon numéro d’assurance maladie et d’autres informations personnelles?», s’interroge la technicienne en informatique-réseautique qui, étant actuellement en télétravail, privilégie la communication par courriels, messages textes et clavardage.

«C’est beaucoup d’inquiétude et d’interrogation pour les personnes sourdes et malentendantes puisque ni communiqué ni protocole n’a été émis pour avertir la population, les intervenants ou même pour rassurer les personnes sourdes et malentendantes.»

D’ailleurs, ce n’est que cette semaine que Québec a invité, via son site Internet, les personnes travaillant en service à la clientèle à opter pour un modèle de couvre-visage avec insertion translucide. Il existe différents modèles de masques commerciaux ainsi que des modèles de couvre-visages avec insertion translucide fabriqués à la maison, peut-on y lire.

Cependant, selon Audition Québec, les masques ayant une fenêtre transparente ne sont pas encore disponibles à grande échelle, qu’ils soient artisanaux ou médicaux. L’association regroupant des adultes devenus sourds et malentendants du Québec est en discussion en ce sens avec le gouvernement Legault.

«Après sa publication sur les réseaux sociaux, ma collègue Marylène Boisjoli a eu plusieurs retours de personnes ainsi que d’une compagnie de Sainte-Julie ayant de l’intérêt à essayer de fabriquer un masque avec une fenêtre transparente. Malheureusement, personne n’a réussi à faire un prototype sans buée, tout en étant sécuritaire», indique Noémie Niquet.

«Je suis tout à fait d’accord avec le port du masque en public, mais j’aurais aimé que le gouvernement ou au moins une autorité compétente prenne en considération les complications que cette recommandation apporte pour les personnes ayant des problèmes d’audition», ajoute-t-elle.

Elle espère que les masques avec insertion translucide seront bientôt disponibles pour les personnes travaillant au public, comme les agents de sécurité, les caissiers ou même les collègues d’une personne sourde ou malentendante.

Partager cet article