Mourir dans une maison de soins palliatifs au Québec en temps de pandémie (Tribune libre)

Mourir dans une maison de soins palliatifs au Québec en temps de pandémie (Tribune libre)
(Photo : Illustration, L'Express)

TRIBUNE LIBRE. Avril 2020. Vivre et mourir : deux verbes fondamentaux et communs à tout être humain sur terre. Alors que les statistiques de la COVID et les circonstances entourant les décès, surtout de nos aînés en CHSLD, ne cessent de nous glacer le sang, les 35 maisons de soins palliatifs du Québec, elles, continuent d’accueillir la mort en s’assurant qu’elle soit douce et sereine pour les patients qui ont la chance de la vivre en leurs murs.

Toutes nos équipes, sans exception, ont accusé le choc avec résilience et courage en gardant ultimement une seule chose en tête : le bien-être de nos patients, de leurs familles et ce, malgré

l’angoisse et les questions sans réponse : comment ferons-nous, comment protéger nos équipes, les garder en confiance, qu’arrivera-t-il «si», il y a tellement trop de «si». Aurons-nous de

l’équipement de protection adéquat? Serons-nous financés? Comment remplacer l’argent de nos activités de collectes de fonds annulées? Manquerons-nous également de médicaments? Tout le monde commence à en manquer. Comment s’adapter, changer, faire face, rester calmes… surtout… ne pas paniquer.

Respirer, ne pas oublier de respirer

Toutes nos équipes ont plongé dans cette nouvelle réalité, presque sans filet de sécurité, tout en s’inspirant mutuellement confiance : «Ça va bien aller». Nous sommes à la guerre nous aussi, mais nous sommes unis. À tous les jours, des nouvelles admissions de patients, des nouvelles familles avec leur liste de nouveaux visiteurs essentiels. Seront-ils sécuritaires, respecteront-ils les consignes, d’où viennent-ils? Il y a tellement des limites à appliquer et de mesures de préventions mal comprises. Il nous faut presque jouer à la police… Nous qui d’ordinaire accueillons tout le monde à bras ouverts, les berçons avec bonheur dans nos bras, les entourons d’amour et de sécurité en leur offrant un véritable havre de paix. Aujourd’hui, nous devons les accueillir un par un, avec distance pour se protéger d’eux, en les protégeant de nous, derrière nos visières, nos masques et nos blouses de protection. Nous essayons de bâtir de véritables forteresses de prévention pour eux, pour nos équipes, pour nous-mêmes. Nous encourageons nos patients et leurs familles à se parler sur une tablette électronique, ou au travers de leur fenêtre au lieu de se serrer dans leurs bras pour se donner de l’amour en vrac. C’est complètement contre-nature pour nous.

On choisit d’oeuvrer en soins palliatifs pour les valeurs de chaleur humaine, d’amour et de tendresse. Pour les manifestations et caresses spontanées, toujours remplies du «don de soi».

Comment consoler quelqu’un qui vit un deuil sans le prendre dans ses bras? Comment sourire à nos patients derrière nos masques? Verront-ils encore notre amour pour eux dans nos yeux

inquiets? Nous ne sommes pas des travailleurs de soins critiques et encore moins de soins intensifs… nous sommes des anges qui oeuvrons avec passion et douceur dans l’antichambre du paradis, tout le monde le dit!

Et il y a l’argent…

Et puis, il y a l’argent… toujours l’argent. Comment survivront nos 35 maisons de soins palliatifs du Québec? Elles qui, bon an mal an, doivent aller chercher en dons et commandites plus de 26

millions de dollars annuellement grâce à la générosité des Québécois de leur région pour continuer d’oeuvrer gratuitement en soignant annuellement nos 4 000 patients et leurs dizaines de milliers de proches.

Les trois quarts de la population sont actuellement au chômage! Les entreprises qui nous commanditent se demandent elles-mêmes comment elles passeront à travers les prochains mois! Comment pourront-elles bien nous aider? Là encore, nous devrons nous adapter, innover, penser autrement. Mais «ça va bien aller», hein ?

Respirer… rester calmes

Et puis, malgré tout, nos étoiles continuent de briller. Partout dans nos maisons, de belles histoires lumineuses continuent de se vivre, à tous les jours. Les fins de vie continuent d’y être dignes et

douces et aucun de nos patients ne meurt seul, car nous sommes là, comme toujours.

La pandémie n’aura absolument rien changé à cela. C’est notre nature profonde : on ne laisse personne mourir seul dans nos maisons de soins palliatifs. Jamais.

Mais depuis maintenant 6 ou 7 semaines, le temps passe. Nos patients sont conscients qu’ils «mourront pendant la pandémie» et que c’est ainsi que leurs familles et amis se souviendront de leurs derniers jours. Leur mort sera inévitablement aussi un triste souvenir de la pandémie et de tous ses malheurs. Nos patients respirent… plus doucement… jusqu’à ne plus respirer du tout.

Mais, grâce à nous, ils respirent calmement. Ils se savent en sécurité. Par ce simple fait, ils nous inspirent à tous d’être courageux. Ils le sont, eux.

Marie-Julie Tschiember

Et puis, malgré tout, nos équipes de fantastiques guerriers sont là, fidèles. Leur sens du devoir les honore tous et toutes.

Médecins, infirmières, préposées, concierges, cuisinières, bénévoles, gestionnaires qui restent au front avec leur équipe, sur le plancher des vaches… Restons unis!

Toutes les maisons ont mis en place différentes idées originales pour faciliter la vie de leurs anges devenus guerriers par obligation : offre des repas gratuits, mise en place d’ateliers de méditation pour nos équipes, création de groupes Facebook privés pour se partager nos bons coups, partages

d’images et d’articles réconfortants, meeting zoom réguliers pour ventiler et jaser entre nous de nos inquiétudes et surtout, rester en contact. Diffusion de tranches de vies qui font du bien.

Petites douceurs sucrées ou non, emballées et remises individuellement aux membres de l’équipe (et non pas à partager au poste de garde!) Moulage des mains des patients, pour laisser un souvenir tangible aux familles. Accompagnement psychologique et soutien de deuil par téléphone ou par Facetime avec nos psychothérapeutes. Petite vidéo de la part des administrateurs envers les équipes soignantes pour leur montrer soutien et envoyer de la belle énergie positive. Création de «centres de jour virtuels» pour les patients et leurs familles qui sont à domicile.

D’ailleurs, plusieurs maisons offrent aussi parallèlement des services de soins palliatifs à domicile dans leur région. Pour ces dernières, la guerre est sur deux fronts. Le combat à mener est double, voire quadruple.

Depuis le début de l’histoire des maisons de soins palliatifs du Québec, la noblesse de notre cause, la solidarité, la fidélité de la population envers nos OBNL et le dévouement de nos équipes et de nos bénévoles nous démarquent souvent, presque toujours, de façon avantageuse.

Espérons seulement maintenant que cette crise ne marquera pas le début des soins de fin de vie pour nos organismes à but non lucratif, qui risquent de s’éteindre eux aussi, en ne respirant plus, faute de soutien.

Respirer… Rester calmes

Avoir confiance… Continuer

Ça va bien aller!

Marie-Julie Tschiember, directrice générale de la Maison et des services à domicile René-Verrier (Drummondville) et présidente bénévole du conseil d’administration de l’Alliance des maisons de soins palliatifs du Québec

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