«J’ai appris à me débrouiller avec ce que j’avais»

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Par Cynthia Martel
«J’ai appris à me débrouiller avec ce que j’avais»
Le souci du détail est l’une des forces de la sculptrice Marie Harnois (Photo : Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. Faire de la sculpture malgré des membres atrophiés, c’est possible. Marie Harnois en est l’exemple parfait. Victime de la thalidomide, cette artiste de 55 ans a toujours foncé dans la vie pour obtenir ce qu’elle désirait, et ce, malgré un chemin parsemé d’embûches.

La Drummondvilloise fait partie de la centaine de Canadiens nés handicapés à cause de la thalidomide, ce médicament qui, au début des années 1960, a été prescrit à des femmes enceintes afin de combattre les symptômes de nausée. Mme Harnois est donc née avec une malformation à son bras droit et à ses jambes.

(Photo – Ghyslain Bergeron)

«J’ai appris à me débrouiller avec ce que j’avais. J’ai eu quelques années des prothèses, mais je ne les ai pas gardées longtemps. Comme pour la plupart des victimes, je trouvais qu’elles me nuisaient plus qu’autre chose, car ce n’était pas naturel (…) Mon père m’a fabriqué un petit tricycle pour mieux me déplacer», indique-t-elle.

Un tricycle dont elle n’a jamais été capable de se départir et qui sert toujours aujourd’hui.

Une peinture à numéros

Marie Harnois ne soupçonnait pas qu’une simple peinture à numéros offerte par son enseignante de septième année serait le point de départ de sa passion pour les arts.

«Mon intérêt a commencé comme ça. Je me suis peu à peu initiée à l’art. Durant mon adolescence, dans les années 1980, j’ai suivi pendant neuf ans des cours de peinture chez Olivine Hamel», se rappelle-t-elle.

Puis, elle s’est tournée vers un DEC en art. Ayant la soif d’apprendre et désirant peaufiner ses techniques et connaissances, Mme Harnois a décidé de poursuivre ses études à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) qui l’ont menée à l’obtention d’un baccalauréat en arts plastiques en 2010.

«Je l’ai fait à temps partiel sur dix ans. À cette époque, mes deux garçons étaient jeunes. Je voyageais seule matin et soir pour pouvoir m’en occuper», raconte-t-elle.

(Photo – Ghyslain Bergeron)

Elle a entre-temps appris à maîtriser la technique de la fonte de bronze. Se sont enchaînés les expositions et les symposiums. Puis, en 2012, elle a ouvert son atelier-école de sculpture chez elle.

La Drummondvilloise se dit fière d’avoir accompli ce cheminement qui s’est fait non sans difficulté. Un parcours qui démontre, selon elle, que tout est possible, même avec un handicap.

Mais comment parvient-elle à sculpter avec seulement un bras?

«Comme je l’ai dit, j’ai appris à me débrouiller et c’est une question d’attitude. En me disant que je suis capable, j’y arrive. C’est sûr que ça me prend le double du temps pour réaliser une sculpture, mais ce n’est pas grave. En plus, je suis très perfectionniste. Chaque pièce est un challenge. Je me surprends parfois. En fait, ce qui est plus difficile, c’est de manipuler les pièces, les déplacer», expose-t-elle.

Une pause contre son gré

Il y a trois ans, différents événements l’ont toutefois forcée à mettre de côté sa passion.

«J’ai eu un accident de voiture, j’ai donc dû m’en acheter une autre. Heureusement, je n’ai pas eu de blessure. J’ai également eu un dégât d’eau dans mon sous-sol, où se trouve mon atelier. Tranquillement, je reprends le dessus, avec l’aide de différentes personnes», précise-t-elle.

Son état physique n’étant plus le même, Mme Harnois a aussi dû se résigner à se procurer un fauteuil roulant.

«Ça faisait longtemps qu’on me le conseillait, mais moi j’étais habituée avec mon tricycle et je ne pouvais pas concevoir ça, affirme-t-elle. Mais veut, veut pas, on avance en âge et les besoins évoluent. Je suis moins agile et je force tellement avec mon seul bras que ça me cause des douleurs. J’ai finalement lâché prise et accepté d’en avoir un. Je ne l’utilise que pour mes sorties. Comme me disait ma thérapeute, je ne m’en passerais plus. Ça me permet de faire des excursions plein air que je n’aurais pas pu faire autrement et ça facilite mes commissions. Faire 20-30 pieds pour moi, c’est exigeant physiquement, donc le fauteuil augmente le confort, l’accès et la mobilité. Et je me suis aperçue que quand je sors avec le fauteuil, je me fais moins regarder, car c’est plus standard.»

Malgré tous ces événements, Mme Harnois a su garder la tête haute.

(Photo – Ghyslain Bergeron)

«C’est une question d’attitude», insiste-t-elle.

L’année 2020 part sur une nouvelle lancée pour elle.

«Il y a quelques mois, je m’interrogeais : est-ce que je continue à faire de l’art, mais seulement pour m’amuser ou je reprends mes activités professionnelles? Je me considère comme une artiste qui a du talent, qui est professionnelle et qui est capable de percer, donc j’ai décidé de me lancer et d’aménager, en plus de mon atelier et de mon école, une galerie d’art dans mon sous-sol», indique-t-elle.

Les prochains mois seront alors consacrés au réaménagement de son sous-sol. Possédant une impressionnante collection de 500 livres et ouvrages sur l’histoire de l’art, les techniques artistiques et les artistes, Mme Harnois les mettra à la disposition des visiteurs.

«En étant chez moi, ce sera plus facile de rejoindre les gens. J’avais justement arrêté les symposiums, car c’était trop de logistique pour ma capacité physique, ça me demandait beaucoup d’énergie et ça me prenait toujours de l’aide pour tout apporter», laisse-t-elle entendre.

La sculptrice a également repris des cours qu’elle suit pendant ses temps libres.

«J’apprends, entre autres, les techniques de glaçure (…) Les cours, c’est ce qui me stimule dans mon art», laisse-t-elle tomber.

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