«Tout le monde a pris la bombe avec moi» – Étienne Aubé

Justine St-Martin
«Tout le monde a pris la bombe avec moi» – Étienne Aubé
Étienne Aubé a perdu sa jambe il y a un peu plus de dix ans, en Afghanistan. (Photo : Photo Ghyslain Bergeron)

MAGAZINE. «Boum! Je me suis senti lever. C’est devenu noir, ça silait. Mon cerveau est devenu au ralenti. Je réalise que je viens de sauter et que c’est plus grave qu’une cheville cassée. Je me souviens m’être dit : là on va voir si tu es vraiment un homme. Ça ne sera plus jamais pareil comme avant.»

En mars 2009, le militaire ingénieur du 5e Régiment du génie de combat, Étienne Aubé, est déployé à Kandahar, en Afghanistan. Fébrile de participer à sa deuxième mission, le Drummondvillois s’envole pour une mission de six mois.

«C’était différent de ma première mission à Kaboul en 2004, qui était plus pour le maintien de la paix. En 2009, c’était un contexte de mission offensive contre l’insurrection des talibans et d’Al-Qaïda. On allait à la guerre! J’étais le commandant de section et je travaillais en concert avec l’armée afghane. On avait un rôle de mentorat», précise l’ancien militaire.

Étienne Aubé. (Photo Ghyslain Bergeron)

«Premières lueurs» du 5 juillet 2009, le soleil se lève sur Nakhonay, un village reconnu comme étant le bastion des talibans. Le sergent Aubé et les dix hommes sous ses ordres débutent leur opération.

«Il y avait les élections qui s’en venaient, donc on avait comme mission de nettoyer des villages suspects pour ne pas qu’il y ait d’attentats. On cherchait des caches d’armes, des fabriques de bombes artisanales, des insurgés aussi», précise celui qui était basé à Valcartier. On entre dans une enceinte en glaise séchée. À l’intérieur se trouvent 4 ou 5 petites maisons en terre battue. On entre. Et on voit un engin explosif improvisé. On trouve des douilles, des armes, des explosifs…»

Devant le danger, le commandant de section demande à ses hommes de sortir.

«On était vraiment à l’étroit et je voyais plusieurs composantes dangereuses. Je leur ai dit que j’allais continuer seul. C’est lors de ma fouille que j’ai mis le pied sur un engin explosif improvisé. Trois bombes ont sauté! Je pensais être un homme tronc tellement ça faisait mal», se souvient-il.

Alors âgé de 28 ans, Étienne Aubé réalise l’ampleur de ses blessures. Dans l’explosion, il perd sa jambe droite jusqu’au genou, deux doigts et 50 % de la capacité de sa jambe gauche.

«Je ne sais pas ce que ça implique d’être magané comme je suis. Je me suis dit : on va voir si t’es fait fort le gros, parce que d’après moi, ça va être tough ce qui s’en vient, confie le père de famille. J’ai été conscient tout au long de mon accident. C’est moi qui ai appelé à la maison pour annoncer la nouvelle. L’impact a été terrible. Ma conjointe s’est évanouie. Mes deux enfants dormaient. Tout le monde a pris la bombe avec moi.»

Une guerre psychologique

Derrière les blessures physiques importantes se cachent aussi des blessures psychologiques. Le réel combat du sergent était à peine sur le point de commencer.

Étienne Aubé a participé, en 2010, au Triathlon adapté de San Antonio, au Texas. (Photo gracieuseté)

«L’enjeu majeur dans ma tête, c’était physique. Mon conditionnement militaire faisait en sorte que je voulais retrouver mon autonomie. Mon conditionnement voulait me faire retourner dans l’armée. C’était ma vie, l’armée. Ça passait avant ma famille. J’ai fait deux ans et demi de réadaptation physique, puis j’ai réessayé l’armée. Pendant les tests physiques, j’ai réalisé que je ne pouvais plus continuer.»

Retraite

En 2015, Étienne Aubé prend sa retraite après 15 ans dans les Forces armées canadiennes. Il fait alors face à un défi colossal quand son état psychologique «dégringole».

«J’étais très affecté dans mon quotidien. J’étais différent, impulsif, colérique et impatient. J’étais en ultra-vigilance tout le temps. J’étais incapable de participer à des activités en famille sans avoir peur qu’il se passe quelque chose. J’ai réalisé que j’avais des symptômes de stress post-traumatique, mais je faisais du déni. Ça m’a pris 4 ans et demi avant de demander de l’aide. J’étais honteux», poursuit-il.

Complètement perdu devant sa nouvelle réalité, le militaire trouve refuge dans la consommation. L’alcool et la morphine deviennent ses échappatoires. Il perd le contrôle de sa vie jusqu’au jour où il débute une thérapie de deux ans.

Cette photo a été prise durant sa mission, en 2009. (Photo gracieuseté)

«Tout arrêter a été la chose la plus difficile que j’ai faite de toute ma vie. Je ne sais plus qui je suis, je suis tout mêlé. Je décide d’arrêter de consommer et de commencer un travail d’introspection. J‘ai travaillé avec un psychologue. À ce jour, je n’ai plus vraiment de symptômes.»

Étienne Aubé se reprend en main et décide de retourner sur les bancs d’école. Il débute alors une nouvelle carrière comme intervenant en toxicomanie.

«J’ai découvert à travers tout ça que j’ai toujours voulu aider. J’aime les gens. La valorisation et le sentiment de m’accomplir m’aident à cheminer. C’est donnant-donnant. Ça complète bien toute mon aventure. Aujourd’hui, la vie est bonne. Je vais bien», assure le Drummondvillois.

«Si c’était à recommencer, je suis obligé de te dire que j’y retournerais. C’est spécial hein? Il y a un côté addictif à toute cette adrénaline. Ce sont des émotions fortes qu’aucune substance ne peut te procurer. C’est intense, mais aujourd’hui ce bagage-là me sert encore. Je retire beaucoup de bienfaits de l’armée», conclut-il.

 

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