Le calvaire d’une femme violentée pendant 13 ans

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Par Cynthia Martel
Le calvaire d’une femme violentée pendant 13 ans
L’aide reçue a permis à Mylène d’être maintenant capable d’imposer ses limites et de refuser l’inacceptable. (Photo : Photo reconstitution - Ghyslain Bergeron)

DOSSIER. «Si je n’avais pas eu mes enfants, je serais peut-être morte».

L’histoire de Mylène n’est pas comme les autres, mais n’est pourtant pas étrangère à ce que de nombreuses femmes vivent ou ont déjà vécu au quotidien. Passer 13 ans de sa vie avec un homme violent, c’est le calvaire qu’a enduré cette femme, mère de quatre enfants, qui a préféré taire son nom de famille. En 2004, celle-ci était loin de se douter, lorsqu’elle l’a rencontré, qu’il s’en prendrait à elle à maintes reprises.

«On s’est rencontré dans un centre de kickboxing et boxe. Il était très charmant, envoûtant, ce qui est typique d’un manipulateur. Je suis rapidement tombée en amour avec lui et quelques mois après, on habitait ensemble», se rappelle-t-elle.

Quatre mois plus tard, elle apprend qu’elle est enceinte.

«Déjà, j’avais perçu qu’il était jaloux possessif. Par exemple, je ne pouvais pas aller seule au dépanneur, d’un coup que ce serait un caissier. Je suis une fille pacifique, donc ça me déboussolait (…) Il m’a poussée pour la première fois durant cette grossesse.»

Cette violence s’est aggravée en plus de prendre différentes formes.

«Les huit premières années, j’ai vécu toutes les formes de violence : physique, verbale et psychologique. Cette dernière était la pire pour moi, car me faire ignorer pendant quelques jours, ça me touchait énormément, car je suis une personne très sensible (…) Sinon, j’étais capable de l’affronter, et ça, ça le mettait hors de lui.»

Ces manifestations de violence se terminaient souvent par des ecchymoses et des coupures, mais Mylène a aussi eu des côtes cassées et une perte de conscience qui aurait pu avoir des conséquences mortelles.

«Un jour, il m’a choké (étranglement bras-tête) et j’ai perdu connaissance. Il a failli me tuer cette fois-là», souffle-t-elle, soulignant que n’importe quelle raison le rendait en colère et le poussait à passer à l’acte.

«Il faisait souvent ça quand mes enfants n’étaient pas là, mais une fois, ma fille est arrivée de l’école et j’étais couchée par terre alors que lui me donnait des coups de pied. Une autre fois, j’ai eu tellement peur, que je me suis enfermée avec mes enfants dans ma chambre.»

En 2008, une plainte reçue à la DPJ les force à ne plus se fréquenter pendant une année.

«Au début, je niais les faits jusqu’à le défendre. Mon ex-conjoint a eu une interdiction de contact avec moi et les enfants pendant un an. Il est allé vivre chez sa mère», précise-t-elle. «Durant les deux ans que la DPJ a été dans nos vies, on a fait chacun notre bout de chemin : lui a consulté chez Halte-Drummond; moi j’ai été à la Rose des vents. Puis, il est revenu. Ç’a été ma plus grosse erreur d’accepter qu’il revienne.»

Le couple a commencé à s’entraîner ensemble au gym, ce qui n’était pas commun pour Mylène qui était souvent privée de sortie, laissant ainsi présager une nouvelle vie plus harmonieuse.

«C’était une première pour moi parce que je n’avais pratiquement pas le droit de sortir. Ça m’a donné le goût de suivre une formation pour devenir entraîneure de cours de groupe. Cela impliquait que je devais aller seule à Montréal pour recevoir cette formation et je l’ai fait», raconte-t-elle.

Un quatrième enfant est également né, le troisième de cette union. De fil en aiguille, la violence physique s’est à nouveau manifestée, mais «moins souvent», au dire de Mylène.

Le 5 décembre 2017, Mylène a mis fin, avec tout son courage, à cette longue relation houleuse, après avoir découvert que son conjoint fréquentait une autre femme.

«Pour moi, la trahison, c’était inacceptable. J’ai mis tout ce qui lui appartenait dans des sacs et lui ai dit que c’était terminé nous deux. Trois ou quatre jours après, j’allais porter ses affaires chez sa sœur (…) J’ai eu une force que je n’aurais pas soupçonnée avoir en moi pour faire ça. Le lendemain matin, j’ai senti une libération, je respirais enfin!

J’ai commencé à avancer à ce moment. J’ai passé le plus beau Noël de ma vie auprès de mes enfants, nous sommes même allés à l’hôtel», confie-t-elle avec un petit sourire.

Qui plus est, elle a rapidement été cherchée l’aide qui lui fallait en plus de faire appel à une avocate.

«J’ai eu un suivi d’un an avec une intervenante de la Rose des vents. Mes enfants ont pu en bénéficier aussi. Ça m’a permis de mieux comprendre les mécanismes que j’avais et ceux que ces hommes ont pour enfin être capable de mieux les gérer. Mais c’est très difficile, car bien souvent ces hommes sont narcissiques et complètement manipulateurs. Et l’avocate, c’était pour faire respecter mes droits en tant que mère.»

Honte et espoirs

Mais pourquoi Mylène, face à une telle violence qui a perduré pendant 13 ans, est-elle restée accrochée à cet homme?

«J’espérais que ça change sur le moment et aussitôt, le pattern revenait et ça venait de plus en plus dur de m’en sortir, j’étais dans un cercle vicieux. J’en venais aussi à mettre la faute sur moi, car il me faisait sentir coupable (…) Je suis une fille de paix, d’espoir et de voir comment il était, je voulais le changer. Je voulais aussi inconsciemment reproduire l’image de la vie heureuse de mes parents, mariés depuis 53 ans. Si tu savais tous les regrets que j’ai, mais j’avais chaque fois de l’espoir. Bref, tout ça faisait en sorte que j’acceptais l’inacceptable», explique-t-elle, les yeux remplis d’eau.

À ses dires, personne ne pouvait savoir ce qu’elle vivait réellement, son ex-conjoint étant enjoué et très sociable en public; elle ayant une joie de vivre incomparable.

«Ma famille immédiate a eu certains doutes lorsqu’il a commencé à m’isoler. Pour ma part, j’étais tout le temps prête à aider les autres, je me montrais forte et j’avais de l’énergie à revendre.»

En plus de la culpabilité, la honte est un autre frein aux démarches d’aide.

«Je le savais au fond de moi que tout ça n’avait pas d’allure, mais j’avais honte d’avoir accepté ça et j’avais peur des préjugés, en fait, que les gens me traitent de folle de ne pas avoir sorti de cet enfer avant ça.»

Si ce qu’elle a subi l’a grandement affectée, Mylène avoue néanmoins être plus attristée par le fait que ces enfants auront des séquelles à traîner durant toute leur vie.

«J’ai une immense tristesse de voir tout ce que mes enfants ont vu et vécu. À certains moments, je reconnaissais l’agissement de leur père à travers eux. Malgré tout, ils s’en sortent bien et ont un grand potentiel. Ils sont magnifiques», expose-t-elle.

Au printemps dernier, son ex-conjoint a demandé d’avoir une garde partagée, ce à quoi Mylène a acquiescé, malgré les blessures encore vives.

«Il a fait des progrès et a de bonnes compétences parentales, malgré le fait qu’il reste encore du travail à faire. C’est un long processus, tout comme pour moi, reconnaît-elle, spécifiant que celui-ci est au courant de sa démarche auprès du journal. Il n’y a rien qui peut effacer ce qui s’est passé, mais nous essayons d’avoir une bonne entente pour les enfants. Alors jusqu’en décembre, on est en période d’essai pour la garde partagée.»

Aujourd’hui, Mylène est fière d’avoir retrouvé la paix intérieure et d’être capable d’imposer ses limites.

«Je pense que je suis sur le bon chemin. Je suis capable de verbaliser ce que je n’aime pas et ne veux pas. J’impose mes limites. Je suis aussi de plus en plus en mesure de dire ce qui est acceptable et inacceptable pour moi, mais ce n’est pas parfait», conclut-elle avec assurance.

 

Comment aider une proche victime?

En tant que proche, il n’est jamais évident de réaliser que quelqu’un de son entourage subit de la violence conjugale. Il est encore moins évident de savoir comment agir adéquatement.

Questionnée à savoir comment intervenir auprès d’une personne dans une telle situation, Brigitte Richard répond : «On ne peut rien bousculer. On doit suivre le rythme de la personne victime. Plus on la force à agir, plus elle se fermera à nous. Il faut demeurer présent en tout temps, pour le moment où elle sera prête à agir».

De son côté, Mylène encourage toutes les femmes qui subissent de la violence conjugale à ne pas hésiter à demander de l’aide.

«Aussitôt qu’elles sentent qu’elles ne sont pas respectées dans leur propre personne ou que la relation est lourde, il faut lever la main», conseille-t-elle, soulignant la force que toutes ces femmes ont.

 

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