Une question d’avenir

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Par Marilyne Demers
Une question d’avenir
Des chercheurs reproduiront les effets des changements climatiques dans la Forêt Drummond pour permettre aux forêts de mieux s’y adapter. (Photo : Ghyslain Bergeron)

ENVIRONNEMENT. On ignore encore à quoi ressembleront nos forêts au cours des prochaines décennies, mais chose certaine, elles subiront d’importants changements. À compter des prochains mois, des tests seront réalisés dans la Forêt Drummond afin d’être prêts à y faire face.

N’en déplaise aux climatosceptiques, Frédérik Doyon, le chercheur à l’origine du projet Forêt S’Adapter, a les deux pieds bien sur terre. Les forêts subissent les effets des changements climatiques, et tout porte à croire qu’ils seront intensifiés dans le futur.

«On parle de changements globaux. Les changements climatiques, mais aussi les invasions des espèces exotiques et les polluants atmosphériques. Il y a de nouvelles pestes qui arrivent. Il y a également des épisodes de perturbation, comme des inondations et des tempêtes de vents, qui sont plus fréquentes», donne-t-il à titre d’exemple.

Frédérik Doyon est professeur à l’Institut des Sciences de la Forêt tempérée (ISFORT), qui est rattaché au campus de Gatineau de l’Université du Québec en Outaouais. Avec une douzaine de chercheurs et des étudiants, il a réalisé les phases 1 et 2 de ce programme de recherche lancé il y a quelques années.

«On connait désormais les risques, les forêts les plus sensibles et les types de menaces. Maintenant, qu’est-ce qu’on peut faire pour amener la forêt à être plus résistante et plus résiliente face aux changements globaux? C’est là que la sylviculture d’adaptation rentre en jeu», indique le chercheur.

En d’autres mots, la phase 3 vise à trouver quelles combinaisons d’arbres répondront le mieux aux changements climatiques. «On joue avec les mélanges, un peu comme dans un jardin. On veut faire des compagnonnages positifs. Par exemple, ils disent de mettre du basilic avec des tomates pour permettre à ces espèces de cohabiter et de se renforcer l’une l’autre. C’est un peu la même idée», image-t-il.

Des dispositifs expérimentaux seront installés dans les régions de Chaudière-Appalaches et du Centre-du-Québec, dont la MRC de Drummond. «Ce sont deux régions bioclimatiques différentes. C’est pour cette raison qu’elles sont d’intérêt», explique Carine Annecou, ingénieure forestière à l’Agence Forestière des Bois-Francs (AFBC) et coordonnatrice du projet.

«Dans ses prédictions climatiques, Ouranos, qui est directement lié avec le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), cible le Centre-du-Québec comme étant la région où il y aura le plus d’incertitudes quant à vulnérabilité des forêts face aux changements climatiques en raison de sa position géographique. Il y a plusieurs études qui commencent à s’implanter dans la région à ce sujet», fait-elle savoir.

Selon les données de l’organisme à but non lucratif Ouranos, la région pourrait se réchauffer de 2 à 3 degrés à compter de 2041, soit d’ici une vingtaine d’années.

Dans la région
La Forêt Drummond, dont la MRC est propriétaire, a notamment été ciblée. «On a accepté de prêter nos terrains. D’autant plus que ça va nous permettre de mieux connaître l’impact des changements climatiques directement chez nous. On va pouvoir voir ce qu’on peut faire avec ça. C’est une étude très intéressante», commente Valérie Carrère, la directrice de l’aménagement et des services techniques à la MRC de Drummond.

Au total, huit sites de quatre hectares seront aménagés à Saint-Bonaventure et à Saint-Majorique-de-Grantham. Au total, environ 1% de la Forêt Drummond, qui s’étend sur une superficie de 30 kilomètres carrés, sera touché par les coupes, où seront plantés de nouveaux arbres.

«On va faire des formes de coupes partielles, comme des éclaircies. Ils vont être de différentes intensités. C’est là qu’on va sélectionner nos assemblages pour renforcer la capacité d’adaptation», explique Frédérik Doyon.

Au printemps prochain, des arbres exotiques seront plantés. Les espèces envisagées sont le tulipier, le caryer cordiforme et le chêne blanc. Le châtaignier d’Amérique a aussi été choisi puisque cette variété est résistante à la brûlure. Des espèces autochtones ont aussi été sélectionnées, dont l’érable rouge, le sapin baumier, le pin blanc et l’érable à sucre.

Même si le projet s’échelonne sur une période de 10 ans, il sera possible de constater les résultats d’ici 3 ans. «Il y a des choses qu’on va mesurer à court terme, et d’autres à long terme», fait savoir le professeur en écologie appliquée à l’écologie du paysage et l’aménagement forestier.

Les détails entourant ce projet seront présentés au public. La date sera connue ultérieurement.

Stress
Étant moins adaptées aux nouvelles conditions climatiques, les forêts pourraient être soumises à des stress. Pour mieux comprendre les impacts des changements climatiques, les chercheurs reproduiront entre autres des épisodes de sécheresse et d’herbivorie, c’est-à-dire le broutage des arbres par les cerfs de Virginie.

«Lors des premières phases, on a reproduit une sécheresse. On avait mis des toiles autour de plusieurs arbres. On a carrément fait une jupette à l’arbre avec des toiles transparentes qui ne nuisent pas au rayonnement solaire. Quand la pluie arrive, ça permet de faire ce qu’on appelle des exclusions de précipitation autour des arbres qu’on a sélectionnés», explique M. Doyon.

Une autre façon serait d’installer des gouttières dans le sol. «Elles sont pivotantes. Quand il n’y a pas de pluie, la gouttière est verticale. Aussitôt qu’il pleut, elle se met à l’horizontale pour intercepter la pluie», indique-t-il.

Pour ce qui est de l’herbivorie, des espèces du Sud seront ajoutées à celles indigènes déjà présentes sur le territoire. «Il va y avoir un effet artificiel qu’on va reproduire nous-même. Avec des sécateurs, on va sectionner des portions d’arbres comme si c’étaient des chevreuils qui les broutaient.»

Des tests seront effectués par la suite avec des appareils spécialisés. «Ça va nous permettre d’instrumentaliser les arbres pour pouvoir bien suivre leurs comportements et voir, finalement, quels sont les types de réorganisation qu’on peut faire avec nos sylvicultures», résume le professeur.

À terme, le projet Forêt S’Adapter permettra aux propriétaires forestiers, et dans la mesure du possible aux différents paliers gouvernementaux, de prendre des décisions éclairées. «Ça va leur donner des indications pour savoir de quelle façon aménager les forêts pour les rendre plus résistantes et résilientes aux changements climatiques», conclut Frédérik Doyon.

D’ailleurs, le projet a été pensé de façon à pouvoir être réalisé dans d’autres régions faisant face à des situations semblables au Québec ou dans les provinces avoisinantes.

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