«Le génocide du Rwanda ne s’est jamais réellement terminé»

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Par Frederic Marcoux
«Le génocide du Rwanda ne s’est jamais réellement terminé»
François Munyabagisha. (Photo : Ghyslain Bergeron)

«C’est ridicule de fêter le 25e anniversaire du génocide rwandais. Il ne s’est jamais réellement terminé. On n’a jamais fait la lumière sur la tragédie. On ne peut même pas dire qu’on a fait la paix.»

Ces mots sont ceux de François Munyabagisha, un Drummondvillois d’adoption depuis 1999 qui était dans son pays d’origine, lorsque le génocide a éclaté. Il déplore que la communauté internationale se contente de regarder les belles infrastructures présentes dans le pays, lorsque vient le moment de porter un jugement sur la situation.

«Le pire est que les gens font semblant que ça va mieux en soulignant le 25e anniversaire, allègue François Munyabagisha. La population à l’intérieur du Rwanda sait que ça ne va pas, elle souffre. Les médias parlent du Rwanda comme un miracle, en raison des beaux bâtiments. Il se fait de bonnes choses, mais la population meurt encore de faim.»

L’homme âgé de 59 ans cite en exemple le fait que la capitale du Rwanda, Kigali, n’a pas encore de système d’égouts central et que plusieurs citoyens risquent leur vie en quittant le pays pour trouver de la nourriture dans un pays limitrophe comme l’Ouganda. Le père de famille note également que la crise rwandaise a créé un climat instable chez les pays africains voisins, comme au Congo.

Le principal intéressé, même s’il était en réalité un Hutu, a craint pour sa vie à trois occasions, entre avril et juillet 1994, en raison de son travail dans le domaine de l’éducation et de ses traits semblables à ceux de Tutsis. Lors de cette période, le génocide rwandais a fait près de 800 000 victimes, principalement des Tutsis, selon les estimations de l’Organisation des Nations unies (ONU). Un climat de haine et de tension persiste entre Rwandais, même à l’extérieur du pays, selon François Munyabagisha.

«On a besoin que le Canada assiste les Rwandais du pays dans un processus de réconciliation, opine celui qui est retourné brièvement dans son pays, en 2013, après la publication d’un livre traitant du génocide. S’ils ne se réconcilient pas ici, ils risquent d’importer des problèmes. Les gens se définissent encore entre les Hutus et les Tutsis et entre le nord et le sud. Ces cicatrices existent encore. Le Canada n’a pas été un pays colonisateur. Le pays est encore respecté et il doit jouer un rôle pour la paix dans cette région.»

La peur du populisme

François Munyabagisha craint la période actuelle. Non pas en raison de la montée de la droite identitaire, un phénomène normal selon lui, mais bien par la montée du populisme, un mouvement politique qui fait la promotion du «peuple», en se méfiant de l’élite.

«Ce qui me fait peur, c’est de voir des élus qui sont aveugles ou qui sont populistes, confie-t-il. C’est une crainte pour moi, parce que c’est ça qui est arrivé au Rwanda. On a eu des élus populistes qui faisaient des discours pour semer la terreur et pour s’attirer la sympathie de la population. Quand il y a de la peur, elle est capable d’exploser. Il n’y a aucune population qui est vaccinée contre la bêtise humaine. Le problème est que tout tourne autour d’un chef d’État qui agit de plus en plus comme source de savoir et d’inspiration. On n’écoute plus nos chercheurs et nos penseurs qui sont dans les universités pour baser notre raisonnement sur le savoir.»

Immigration : des changements s’imposent, selon François Munyabagisha

François Munyabagisha, qui a découvert le Québec une première fois en 1988, en tant qu’étudiant à la maitrise à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), avant de revenir quelques années plus tard comme réfugié, croit que le Québec doit changer sa façon de faire pour gérer l’immigration.

«L’aide sociale n’aide pas l’immigrant. S’il vit sur ce mode de vie pendant un certain temps, tu viens de le “tuer”. Tu ne lui rends pas service. Il ne voudra pas changer son mode de vie par la suite.»

François Munyabagisha est d’avis que la population doit éviter de sombrer dans la peur de l’autre, un phénomène qui peut «mettre la paille qui permet à la situation de s’enflammer rapidement», comme il l’a vécu dans son pays d’origine.

«On n’a pas besoin d’une Charte des valeurs ou d’une loi quelconque pour nous dire quoi faire, tranche le travailleur autonome. Le travail est une valeur des Québécois. Le Québec est un peuple de “patenteux”.  Le gouvernement doit simplement donner les outils aux immigrants pour aller travailler.»

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