Vivre sans odorat

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Par Marilyne Demers
Vivre sans odorat
Marilou Bernier a appris à vivre pleinement, malgré son handicap. (Photo : Érika Aubin)

ODORAT. Marilou Bernier est anosmique. Elle a complètement perdu l’odorat il y a environ cinq ans. Depuis, elle a dû retrouver le goût à la vie, malgré son handicap.

Il arrive parfois de perdre l’odorat le temps d’un rhume ou d’une grippe. Le nez bouché prive alors de certains plaisirs olfactifs, comme l’odeur de café matinal, d’un gâteau tout juste sorti du four ou encore d’un bouquet de fleurs fraîchement cueillies.

Puis, l’odorat revient souvent par lui-même. Dans de rares cas, comme celui de Marilou Bernier, la perte olfactive est irréversible. «L’odeur de mes enfants me manque. Je ne l’ai pas sentie depuis environ cinq ans. C’est un deuil», se désole la mère de deux enfants.

Ce trouble de l’odorat, qui se nomme anosmie, est entré dans sa vie sans crier gare. «Je m’en rappelle, parce que c’était un peu avant l’Halloween. Je pensais que j’avais attrapé une grosse grippe qui ne finissait plus. Finalement, ce n’est jamais revenu», raconte la femme de 29 ans.

Les opérations qu’elle a subies n’ont pas donné les résultats escomptés. «Mes nerfs sont vraiment atteints. C’est une malformation à l’intérieur de mon nez qui cause ça. Ça serait arrivé un jour ou l’autre qu’on m’a expliqué. Le seul moyen que je peux sentir, c’est avec de la cortisone. J’ai le droit de m’en faire prescrire une fois par année, d’avoir un petit feeling une fois par année», indique-t-elle.

«J’ai eu ce traitement dernièrement, mais il n’y a eu aucun effet. C’est là que je me suis dit que c’était fini», ajoute celle qui habite à Saint-Cyrille-de-Wendover.

Un handicap méconnu 
La perte de l’odorat, ce sens souvent négligé, peut être handicapante au quotidien. «Les patients nous rapportent souvent une perte du goût puisqu’une grande proportion vient de l’odorat. La rétro-olfaction, c’est des petits arômes qui viennent par le nez et l’arrière de la gorge et qui donnent la grande proportion du goût. Sinon, on goûte juste amer, acide, sucré et salé, explique la docteure Josiane Bolduc Bégin. C’est la principale perte de jouissance que les gens nous rapportent.»

L’absence de ce sens peut également avoir de lourdes conséquences, notamment en ce qui a trait à la sécurité. «S’il y avait un feu et que le détecteur de fumée n’était pas fonctionnel, ça pourrait être très dangereux. Aussi, la personne pourrait ne pas goûter aux aliments qui sont périmés et faire une intoxication alimentaire», énumère la médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL).

«Des fois, il y en a qui ont un peu de gêne avec leur hygiène corporelle parce qu’ils ne savent pas s’ils ont une mauvaise odeur. Certains ne s’en rendent pas compte ou d’autres compensent en mettant parfois un peu trop de parfum.»

Pour aider au patient à retrouver l’odorat, des traitements peuvent être utilisés. «Quand c’est l’origine du nerf qui est atteint, il y a des traitements qu’on tente. On peut leur mettre des traitements de cortisone, soit par la bouche ou inhalée. On tente ce qu’on peut pour aider le patient à récupérer», indique Dre Josiane Bolduc Bégin.

L’anosmie, qui peut être acquise ou même congénitale, toucherait entre 2 à 5% de la population.

Se relever
Loin d’être banale, la perte de l’odorat a mené Marilou Bernier jusqu’à la dépression. «Oui c’était une accumulation de plusieurs choses, mais ça partait vraiment de ça. Je n’étais plus capable de fonctionner, je me posais des questions. C’était rendu une obsession, confie-t-elle. J’allais à l’école, j’ai tout abandonné. Tu perds les sens, tu perds les liens avec les gens.»

Dans les mois qui ont suivi, la jeune femme a eu une perte de poids. «J’ai perdu environ 30 livres en peu de temps. Tu ne sens plus et tu ne goûtes plus, tu n’as plus faim. Les repas en famille, c’était rendu désagréable. J’étais toujours fâchée», affirme celle qui travaille au Restaurant Des 3 Étoiles.

Après avoir vaincu sa dépression, elle a décidé de partager son histoire afin d’éviter que d’autres souffrent d’isolement. «En faisant des recherches, j’ai vu qu’il existe des regroupements en France. Les personnes peuvent se voir, se parler, se comprendre. Ici, il n’y a rien. C’est triste, avance-t-elle. J’espère faire bouger les choses. Je trouve qu’on n’en parle pas assez. Ça donne espoir de savoir que tu n’es pas seul.»

Aujourd’hui, elle refuse que son handicap invisible la mène par le bout du nez. «Il a fallu que je vire ça en positif. Je me suis faite à l’idée. Sinon, je ne m’en serais jamais sortie.»

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