C’est la pensée qui est attaquée

C’est la pensée qui est attaquée
Lettre ouverte (Photo : Photo Deposit)

Au fondement de la saga Robert Lepage, c’est la possibilité même de penser qui est attaquée.

Déjà Aristote, dans sa Poétique, distinguait l’histoire de la poésie, celle-ci s’occupant du général, celle-là du particulier. On a récemment traduit cela, notamment dans Le Devoir, en opposant le politique et l’artistique; c’est plus complexe, mais cela résume bien. En histoire de l’art, on distingue aussi un peu de la même façon ce qui relève de la catégorie des documents versus celle des monuments (œuvres).

On assiste manifestement, ces jours-ci, à un mélange des genres, à une confusion de concepts, ces outils de la pensée, à un melting-pot dont les ingrédients ne se distinguent plus les uns des autres. On parle d’appropriation, et cela a été cité en exemple, dans le cas de vols d’œuvres d’art au cours des siècles de conquêtes et d’impérialisme qu’a connus notre Histoire, alors qu’il s’agissait bel et bien de vols, de crimes, et non d’appropriation dont la souplesse sémantique vient d’éclater.

Muddy Waters qui invite Mick Jagger à « s’approprier » sa musique (c’est sur You tube), c’est magnifique et c’est aux antipodes de quoi que ce soit que l’on pourrait qualifier de criminel. Cela s’inscrit plutôt sous la rubrique du partage.

On confond aussi allègrement avec la notion de droits d’auteur, ce qui appartient à l’un et pas aux autres, problématique tout aussi complexe mais qui n’a rien à voir avec les cas de Slav ou de Kanata.

Je parle français, sans avoir inventé cette langue, je peux ?

Il n’y a pas eu d’erreur de la part de Robert Lepage, comme on l’a aussi écrit dans Le Devoir, il n’y a eu qu’un homme de théâtre qui a fait son travail, une œuvre de représentation, à savoir mettre en scène quelque chose qui est là à la place d’autre chose, justement pour le mettre en évidence et pouvoir en parler avec un certain détachement tout en y étant. C’est la définition minimale de tout signe : une chose à la place d’une autre, Aliquid stat pro aliquo, c’est la fumée qui annonce le feu, les nuages la pluie, les traces de pas le passage d’un piéton…

Sans signe, il n’y a plus de pensée possible, une idée, par exemple, étant le signe de ce dont elle est l’idée et sans elle : plus de pensées.

Le débat actuel nous amène là, à vitesse grand V et en ligne droite !

Sans représentation, le propre des arts disparaît et avec lui la pensée s’efface. Il faut impérativement changer le tableau. Il y a urgence dans la chaumière…

Jean Lauzon, Drummondville

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