L’univers fantasmagorique de la justice

L’univers fantasmagorique de la justice
(Photo : Depositphotos)

TRIBUNE LIBRE. L’actualité judiciaire est absente de mes préoccupations quotidiennes. Cependant, à l’instar des lecteurs de nouvelles, nous ingurgitons l’activité judiciaire, omniprésente sur les canaux d’information. Ces dernières semaines ont donné lieu à un éclairage arc en ciel de l’orchestration de la justice.

Qui n’a pas lu ou entendu sur l’arrêt Jordan ? Pourtant Il ne fait que mettre des balises à une situation irrecevable depuis fort longtemps. Ce commentaire n’interfère nullement sur la nécessité d’une justice indépendante et soucieuse des droits des accusés et des victimes. Mon propos se veut uniquement un réquisitoire sur une structure administrative inefficace et couteuse.

Récemment, Anne-Marie Dussault interviewait la Ministre de la Justice, Mme Stéphanie Vallée. Cette dernière déclarait que pendant sa pratique du droit, ses clients demandaient souvent d’attendre avant de reconnaitre leur culpabilité.  «Je vais plaider coupable, mais pas tout de suite» lui disaient-ils; et Madame la Ministre d’enchainer candidement que l’appareil judiciaire est empreinte d’une culture de complaisance. Je fus moi-même assigner comme témoin dans une cause de conduite en état d’ébriété et délit de fuite. L’accusé a reconnu sa culpabilité dans les minutes précédant le procès, après trois ans de "procédurite". Le public n’a pas idée du nombre d’intervenants de l’appareil judiciaire rémunérés dans ce foutoir procédural. Il n’y a pas à chercher pour connaitre l’une des causes de tous ces délais.

Doit-on percevoir dans les récents gestes des procureurs de la couronne une course aux sentences à rabais pour désengorger les attentes? Un moindre mal s’il en est un. Mais une médication ne remplacera jamais la prévention. Et en ce sens, un virage majeur nécessite un changement de mentalité qui ferait grincher. Les habitudes sont bien ancrées dans la magistrature et ses affidés. Pour soulager les goussets du citoyen, les soi-disant défenseurs de la veuve et l’orphelin essuieraient la contrepartie.

La démocratie nous assure une relative quiétude. Le citoyen s’en remet aux élus qui ont un devoir de vigilance. Ils sont les garants de l’État qui doit procurer des services efficients. Le nombre de nids de poule dans la chaussée modulera le degré de satisfaction du contribuable à l’égard des transports. Mais qu’en est-il de l’évaluation du système judiciaire. La majorité des citoyens n’ont pas à s’y frotter et surtout, n’ont pas conscience de sa performance. Hélas, la libération d’un grand nombre de criminels, en vertu de délais indus, ont choqué l’opinion publique. Pourtant, une gestion rigoureuse des fonds publics n’est pas un devoir dévolu aux seuls ministères de l’Éducation ou de la Santé.

On essaime les campus universitaires en province. Nous en savons quelque chose à Drummondville. Soit disant pour rapprocher du savoir une clientèle qui autrement en serait soustrait. Le geste est noble, mais la décision relève plus de la pression d’élus locaux que de la bonne gouvernance. En matière de justice, la société civile est incapable de braquer les projecteurs sur cet appareil échevelé. L’État ne montre aucun intérêt à réformer le système de justice.  Cette structure pourtant n’exige aucune technicité ou mode de fonctionnement complexe. S’il fallait faire montre du même fatras avec la mise en route de l’automobile sans conducteur. Je n’ose pas imaginer les conséquences.

L’ex maire Vaillancourt de Laval se présente ce matin devant le tribunal. Il n’a fallu qu’une minute avant que le juge suspende l’audience. Vous me direz qu’elle fut reconduite par la suite. En effet. Mais ce n’est qu’un insipide exemple mettant en scène un célèbre corrupteur pour démontrer les minutes transformées en heures et en jours et en années gaspillées. Les cours de justice deviennent le théâtre d’une pièce maintes fois reportée dont seuls sont capables ces habiles magiciens de la justice.

Oui,  tenue et bienséance sont de mise. Mais ponctualité, rigueur et organisation demeurent souverains. Ne croyez-vous pas qu’à l’heure du numérique, innombrables sont les procédures purement administratives qui n’exigerait aucun déplacement de personnes, témoins et figurants ? Et la vidéo-conférence éviterait des heures de routes en convoi sécurisé pour des formalités accessoires. A l’université, les cours de droit ne pourraient-ils pas s’enrichir de la juxtaposition d’un cours en gestion ?

Rassurez-vous, il y a belle lurette que j’ai perdu mes illusions. Le corporatisme judiciaire est une autorité prépondérante. Le citoyen n’a pas voix au chapitre. Et le politique n’a certes pas un intérêt électoral dans une transformation fondamentale de cette gestion archaïque. Des millions de dollars de fonds publics continueront à être engloutis en pure perte dans cet appareil administratif inefficace.

Le juge en chef de la cour supérieur, Me Robert Pidgeon, qualifiait le service judiciaire digne de l’âge de pierre. Lui-même appelait à moderniser le milieu. Il soulevait le fait que les notes étaient prises parfois aux crayons. L’achat de matériel informatique contribuera certes à la modernisation de l’appareil judiciaire. Mais la mise à jour de cette fonction régalienne exige beaucoup plus. Un fonctionnement réinventé, digne du XXIe siècle, contribuerait en une justice, non pas expéditive, mais fructueuse et rentable.

Michel Lemay, Drummondville

 

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