Des faits cachés de notre histoire (1)

Par Réjean Côté (N.D.L.R.: Originaire de la région de Drummondville, Réjean Côté agit à titre de consultant et gestionnaire senior dans les secteurs de la gestion, de la planification et du développement sur la scène internationale. Il est un membre accrédité de CANADEM, certifiant qu’il a les compétences et l’expérience des opérations humanitaires sur le terrain, notamment pour les Nations-Unies. Durant plus de 15 ans, il a géré des programmes humanitaires, notamment pour les Nations-Unies, Médecins Sans Frontières et la Commission des droits de la Personne. Il possède une maîtrise en développement-études régionales de l’Université du Québec à Chicoutimi; une maîtrise en Histoire des religions à l’Université d’Ottawa et une maîtrise en anthropologie de l’Université de Laval.)

Durant l’été, j’ai lu avec intérêt le dernier livre de Maurice Vallée1. Pour être franc, j’apprécie le travail patient et méticuleux de cet auteur natif de Saint-Germain-de-Grantham. Lorsque je l’ai rencontré, il constituait une base de données sur l’origine et la filiation des familles vivant toujours dans notre région.

1 Maurice Vallée, La colonie de la rivière Saint-François. Les vétérans concessionnaires. (vallee@colba.net)

– C’est ma contribution pour le bicentenaire de Drummondville, me lança-t-il, modestement.

– Justement, lui dis-je, le 200e n’est-il pas davantage la fête des vainqueurs anglais sur les populations francophones ?

Je le vis se pincer les lèvres avant de lâcher le morceau.

– L’histoire de la colonie de la rivière Saint-François est à revisiter. Tant au niveau de sa fondation que de son développement.

Pour écrire son livre, il avait dû sortir de l’oubli des fragments du passé « où volontairement on les avait emmurés dans les dernières décennies. »

– Quels sont ces faits ? Pourquoi les a-t-on volontairement cachés ?

Au début de son projet sur les premiers concessionnaires, il voulait savoir qui étaient ces hommes de guerre qui s’étaient installés dans la colonie. Au fur et à mesure que progressait sa recherche, s’imposait l’idée que ces militaires étaient les véritables fondateurs de la colonie de la rivière Saint-François. Là s’expliquait pourquoi le 200e ne peut être, selon lui, la fête du seul fondateur jersiais ! Et oui, Heriot, cet homme de la Couronne britannique, était Jersiais et non Anglais. Il était originaire de l’île de Jersey qui a son propre parlement, sa justice, sa monnaie, ses douanes.

– Pourquoi les historiens, s’exclama-t-il, affirment-ils que les vétérans concessionnaires auraient tous quitté pour les États-Unis alors que des centaines de leurs descendants habitent toujours le Centre-du-Québec et les Cantons-de-l’Est ?

Il suffit de parcourir son livre pour vérifier l’exactitude de ce qu’il avance. Puis, de fil en aiguille, l’auteur m’avoue qu’il ne comprend pas comment on pouvait écrire l’histoire de notre région en oubliant les Abénakis.

– Pourquoi ces familles abénakises ont-elles quitté le canton ? me dit-il. « Est-ce à cause de l’attrition naturelle ? Ou tout simplement, osons le dire, est-ce parce que le surintendant Heriot a installé sa colonie militaire (Drummondville) au beau milieu de leur territoire de chasse et de pêche ? »

Alors que l’implication de cette nation amérindienne dans la guerre 1812 est passée sous silence par les historiens, la Couronne britannique donne des terres à ses meilleurs officiers et soldats pour la mise sur pied de la colonie militaire de la rivière Saint-François. Derrière sa volonté de « bâtir un pôle britannique tant sur le plan militaire qu’agraire, religieux et culturel…» afin de résister aux raids des Américains qui franchissent la frontière, les Abénakis voient leurs terres ancestrales peu à peu occupées par les arrivants.

Concernant le peuplement, Maurice Vallée souligne que pas un seul repère historique ne rappelle le fait que le Régiment de Meuron a fourni le plus gros contingent de colons pour la colonie de la rivière Saint-François.

– Nos élites et nos historiens, religieux et civils, précise-t-il, les ont relégués aux oubliettes malgré le fait que des centaines d’individus du Centre-du-Québec en soient les descendants directs. 40% des premiers colons sont issus des régiments suisses de Meuron et de Watteville.

Il s’arrête et devient silencieux. Puis il poursuit :

– Contrairement aux affirmations et aux thèses soutenues par les premiers historiens drummondvillois, mes recherches m’amènent à conclure que sur « l’ensemble des vétérans de la guerre de 1812 venus s’installer dans la colonie, les vétérans du Corps des Voltigeurs n’en composent qu’une très faible partie. De ce fait, ils n’ont eu que très, très peu d’influence sur le développement de la colonie. De plus, ils n’y ont laissé aucune descendance. »

Il y a aussi les autres modalités de peuplement, celles qui sont restées dans l’ombre. L’auteur invite à creuser le rôle joué par la Quebec Emigrants Society. Des terres en friche furent mises à la disposition de cette société afin d’attirer des gens du continent européen dans la colonie de la rivière Saint-François.

– J’imagine que les Irlandais, me dit-il, voudront en savoir plus sur cette société qui a fait venir des immigrants, surtout des Irlandais, en se servant d’eux « comme ballast sur des navires dont la fonction est d’abord et avant tout d’acheminer du bois vers l’Angleterre et non des émigrants vers le Bas-Canada. »

Maurice Vallée, à travers une rigoureuse vérification des faits, nous amène à réfléchir sur la lecture, peut-être pas toujours exacte, que nous avons de notre histoire. Aller à contre courant des analyses établies ne veut pas dire se désolidariser de la communauté des historiens. Il faut avoir assisté à ses conférences sur notre histoire régionale pour constater qu’il est un homme de débat et qu’il est toujours prêt à partager le fruit de ses recherches.

Une fois ces constats précisés, que faut-il faire pour approfondir notre histoire régionale ?

Une vitrine sur le monde (2)

Alors que le 200e de la fondation de Drummondville réveille en nous ce que nous avons fièrement été depuis deux siècles, des gestes publics interpellent nos élus.

Le premier geste à poser concerne les Abénakis, le peuple oublié. L’histoire nous rappelle que la fondation de la colonie par Frederick George Heriot a entraîné la dépossession progressive des terres ancestrales appartenant aux Abénakis. De même, notre passé nous renseigne sur l’indéniable implication de cette nation durant la guerre de 1812 qui, de surcroît, a subi un raid meurtrier des Rangers sur Odanak en 1759. Il s’agit de poser un geste sans équivoque à leur égard. Un geste officiel qui va plus loin que « la légende des trésors abénakis» comme le rapporte Maurice Vallée dans son tout dernier livre sur la colonie de la rivière Saint-François.

Le second geste vise à faire ressortir les différents aspects d’une microsociété multiethnique qui fut à la base de notre région. Avec les vétérans britanniques venus s’établir dans la colonie, il y avait également des Écossais, des Italiens, des Suisses (le régiment de Meuron a fourni 40% des premiers colons), des Espagnols, des Polonais et des Français auxquels s’ajouteront de nombreux Irlandais (amenés au Bas-Canada dans des conditions lamentables par la Quebec Emigrants Society). Ce sont tous ces gens là les véritables fondateurs de la colonie.

Le troisième geste cible les jeunes et le milieu scolaire. Le sentiment d’appartenance à une région, comme dirait Maurice Vallée, se développe à partir de projets « d’expositions de documents, l’illustration de la vie du village abénakis de Durham, la création d’un site web où les jeunes pourraient lire en français les textes qui ont donné naissance à la colonie militaire du lieutenant-colonel Heriot, rendre accessibles des bases de données sur les tablettes numériques des jeunes pour apprendre l’histoire de leur ville, village, ou rue, voir le portrait des pionniers ou explorer les cartes du XIXe siècle. »

Le quatrième geste a trait à l’allocation des ressources nécessaires aux organismes voués à l’histoire de notre région. Il est nécessaire de leur assurer un budget de fonctionnement récurrent à la hauteur des défis touchant l’histoire « d’une microsociété multiethique très singulière ». Puis, Maurice Vallée ajoute :

– Le bicentenaire de Drummondville est un moment exceptionnel. Pourquoi ne pas réserver une partie du budget des festivités à notre histoire locale afin qu’elle soit partie prenante d’une réelle vitrine régionale sur le monde. Il s’agit, insiste-t-il, d’un budget spécial de rattrapage afin de surmonter les obstacles à la réalisation d’une telle visibilité.

– Quels obstacles ? demandai-je.

Prenant exemple sur ce qui se fait à Perth en Ontario, la colonie jumelle de celle d’Heriot et en observant les décisions des autorités municipales de Plattsburgh, NY, Maurice Vallée considère que la MRC de Drummond doit avoir un historien attitré. Il est important de poursuivre et d’intensifier le remarquable travail de la Société d’histoire de Drummond en regroupant en un seul lieu les pièces importantes du tableau historique : la correspondance et les papiers de la famille Heriot, le livre des enregistrements de la colonie entre 1815 et 1820, les portraits, les généalogies, les dictionnaires des fondateurs ou de toponymie, les statistiques, les peintures anciennes et index de toutes sortes, etc. Ce chercheur insiste pour que l’histoire bien documentée de notre coin de pays se retrouve sur Internet. Il importe que la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) numérise les greffes de notaires ou de fonds concernant la région. Le registre foncier relativement à notre région doit être accessible et sans frais pour les chercheurs. Actuellement, son accès est « partiel et payant sur le Web ». La base de données notariales Parchemin de la société Archiv-Histo s’arrête en 1799 pour notre région ! Elle doit être complétée. Les journaux, les procès verbaux des municipalités et les bulletins de liaison anciens doivent être numérisés.

Je l’écoute, sachant que Maurice Vallée passe sous silence le fait qu’il a été approché par des des producteurs télé pour un projet d’émission sur le régiment de Meuron. Au regard du travail colossal accompli au cours des années par les nombreuses personnes qui ont fait ou qui font oeuvre de mémoire par rapport à notre histoire, nous devons leur témoigner toute notre admiration mais surtout notre soutien.

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