Il y a dix ans, la vénérable Laiterie Lamothe était vendue…

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Par Jean-Pierre Boisvert
Il y a dix ans, la vénérable Laiterie Lamothe était vendue…
L’ancienne Laiterie Lamothe. (Photo : Photo archives, L'Express)

AGROALIMENTAIRE. Que retiendra l’histoire de la vente, il y a dix ans, de la Laiterie Lamothe à la Coopérative Agropur qui a fermé les portes de l’institution drummondvilloise deux ans plus tard ?

Le premier constat a été d’assister à la mise à pied d’une quarantaine d’employés. À l’instar de certains des fournisseurs de l’entreprise, ils ont pu sentir qu’un changement était dans l’air, dès lors que des investissements massifs devenaient nécessaires pour remplacer des équipements désuets et éventuellement moderniser les locaux.

Pauline Leclerc, de la ferme laitière Lec Duff, à Saint-Germain, se souvient des bruits qui courraient à l’époque.

«À titre de fournisseur de lait à la Fédération (des producteurs de lait du Québec), nous n’avons pas été pris par surprise lors de la vente à Agropur. On voyait bien qu’il y avait des difficultés à transférer l’entreprise à la relève, qu’il devait y avoir relocalisation, qu’il fallait changer des équipements coûteux et que la compétition était féroce. Quand l’offre d’Agropur est arrivée, une décision difficile s’imposait. Mais on a été content de voir que c’est une coopérative qui allait acheter et non pas une entreprise privée. La philosophie aurait été différente. Mais, au bout du compte, nous n’avons pas perdu d’argent, ayant à fournir le lait à la Fédération qui elle redistribue selon des quotas», a-t-elle raconté.

Mme Leclerc ajoute du même souffle que la communauté drummondvilloise a perdu l’un de ses fleurons avec lequel elle avait développé un fort sentiment d’appartenance. «Il ne faut pas oublier que les emplois perdus étaient spécialisés et bien rémunérés, tels que des techniciens de laboratoire, et qu’ils n’ont pas été récupérés à Drummondville, sinon un ou deux par Soprema si je me souviens bien».

Achat d’un marché

Pauline Leclerc n’est pas seule à faire observer que le lait bio, tel que produit par la Laiterie Lamothe, a été au cœur de la transaction. Normand Trodéchaud, président des Producteurs de lait du Centre-du-Québec, est aussi de cet avis.

«Si Agropur a acheté la Laiterie Lamothe, c’était essentiellement pour obtenir sa part de marché dans le lait bio, un créneau que Lamothe avait développé et qui intéressait grandement la coopérative. Quand une laiterie locale se fait acheter comme ça, c’est très rare qu’elle reste ouverte longtemps. Dans le cas de Lamothe, ça n’aurait pas été payant pour Agropur d’exploiter cette usine alors qu’elle-même a de grandes usines modernes. On a vu la même chose se produire à Trois-Rivières quand Saputo a acheté la laiterie locale Nutrilait. Elle n’est pas restée ouverte très longtemps. Encore là, Saputo a acheté un marché», a mis en contexte M. Trodéchaud, lui-aussi convaincu que l’usine Lamothe avait besoin d’être rénovée.

Un autre producteur de lait, Gilles Perreault, de la ferme familiale de Saint-Germain, a été un fournisseur direct de la Laiterie Lamothe durant 35 ans et son père avant lui pendant 20 ans. Il se rappelle bien de la situation qui prévalait en mars 2008.

«Les trois frères propriétaires, Richard, André et Claude, étaient près de leur retraite et, bien qu’ils ont réfléchi à l’idée d’investir dans l’entreprise, ils n’ont pas retenu cette idée sachant bien que cela aurait exigé qu’ils demeurent en place pendant encore de nombreuses années. La relève familiale n’étant pas là, ils ont saisi l’opportunité de vendre. Ils ont été des innovateurs avec le lait bio, étant même parmi les principaux producteurs au Québec. C’était un marché de niche mais un marché prometteur aux yeux d’Agropur», de mentionner M. Perreault.

Selon lui, il y avait à l’époque un mouvement de consolidation des fermes laitières. «Non, la fermeture de la Laiterie Lamothe ne nous a pas fait perdre d’argent. Et cela est en raison d’un système unique au monde qui s’appelle la gestion de l’offre. C’est une convention de vente qui existe depuis 25 ans, faisant en sorte que c’est la Fédération qui contrôle la quantité de lait, qui est basée sur la consommation. Autrement dit, ce n’est pas parce que la Laiterie Lamothe a fermé que les gens ont bu moins de lait. S’il fallait que la gestion de l’offre soit abolie, ce serait l’hécatombe au Québec».

Gilles Perreault estime enfin qu’une page de l’histoire drummondvilloise s’est tournée avec la fermeture de la Laiterie Lamothe, «mais, au moins, dit-il, ça ne s’est pas fait en sauvage. Ç’a été bien fait».

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