Quand la cour de justice s’amuse à Drummondville

Quand la cour de justice s’amuse à Drummondville
Lettre ouverte (Photo : Photo Deposit)

Cette lettre est écrite par Rémy Gagnon, de Drummondville

Je sors à peine d’une aventure des plus singulières. Le 9 novembre dernier, en audience à Drummondville à propos de la garde de ma fille pour la prochaine période des fêtes, j’ai pu assister au spectacle rocambolesque de la justice en marche en matière familiale. Avant d’exposer les faits, il me faut mettre ces événements en contexte.

C’était la troisième fois que je me présentais à la cour de Drummondville depuis le 17 août dernier. Le litige : la configuration de la garde « partagée » de ma fille.   Le 17 août, un premier jugement m’impose une garde du lundi soir au jeudi, sans aucune possibilité de voir ma fille la fin de semaine ni lors des journées pédagogiques et fériées. On veut alors me convaincre qu’il est dans «l’intérêt» de l’enfant que son père soit réduit à préparer les lunchs le matin, à faire les devoirs le soir puis à coucher l’enfant. Jugement difficile à prendre, considérant que j’ai toujours été un père très présent auprès de ma fille depuis sa naissance, un père responsable et aimant.  J’ai alors le sentiment d’une dépossession, comme si on m’avait dépossédé de ma paternité, du moins de son exercice normal dans le cours de la vie de ma fille de 10 ans. Dans les faits, je me suis retrouvé privé de tout temps de qualité avec ma fille.

Entre temps, à la demande de mon ex-conjointe, une procureure pour enfant était nommée pour représenter les «intérêts» de ma fille. Je devais accepter cela comme une évidence, malgré ma réticence à impliquer une enfant de 10 ans dans des problèmes d’adulte. Une autre audience devait avoir lieu le 8 septembre. Alors que je demandais d’obtenir une fin de semaine sur quatre avec ma fille, demande minimale il me semble pour une relation de qualité entre un père et sa fille, le jugement tombe encore une fois, tranchant comme une lame de guillotine : du lundi soir au jeudi soir, rien de plus. Dans de telles circonstances, comment puis-je me sentir père?

Arrive la troisième audience du 9 novembre dernier, avec pour objectif de déterminer le partage des prochaines vacances des fêtes. Pour résumer, mon ex-conjointe demande les dates du 1 janvier au 9 janvier pour faire un voyage à Cuba avec notre fille. Je suis évidemment d’accord avec le voyage, mais je souligne que ces dates entrent en conflit avec celles de notre famille recomposée. Par un jugement de la cour, en effet, la période de Noël est réservée à l’ex-partenaire de ma conjointe, ce qui nous laisse d’autres choix que de planifier nos vacances du 31 décembre au 8 janvier. Je demande tout simplement que la date soit déplacée. Ce qui me semble raisonnable. En vain, là encore.

Mais il ne faut pas attendre trop longtemps pour que la procureure pour enfant de notre fille, qui a une obligation d’impartialité, se manifeste lors de la dite audience du 9 novembre. Après avoir rencontré notre fille à deux reprises seulement pour une durée d’une heure chacune en vue de l’audience précédente, elle prend la parole en son nom puisqu’elle prétend la connaître très bien… La procureure a souvenance que l’enfant aurait déploré que ces parents sont engagés dans une « lutte de pouvoir ». Pour une jeune fille de 10 ans, vous admettrez que c’est là un concept assez élaboré! Le doute s’installe.

Il est plus que probable que la procureure a déformé les propos de notre enfant, pour s’engager, par la suite dans une déclaration personnelle à l’emporte-pièce. À son avis, ma prétention à vouloir recomposer une famille est sans intérêt pour notre fille, d’autant plus qu’il ne s’agirait pas d’une famille recomposée puisque nous ne vivons pas ensemble. Je rappelle, pour mémoire, qu’une «famille recomposée comprend un couple d’adultes, mariés ou non, et au moins un enfant né d’une union précédente de l’un des conjoints.» Là s’arrête la définition. La procureure porte ainsi un jugement péremptoire sur ma vie privée, niant, sinon dénigrant le fait que je suis, avec ma fille, engagé dans une famille recomposée, une famille à laquelle ma fille tient. On comprend aisément qu’elle se soit totalement discréditée pour accomplir une tâche, par sa nature, impartiale. Mais le pire était à venir.

À un moment de son intervention, la procureure y va, ni plus ni moins, du jugement. Elle déclare que la demande de mon ex-conjointe est parfaitement fondée car, de mon côté, la famille recomposée est une sorte de fabulation sans importance pour ma fille. Stupéfaite, mais complaisante, la juge demande à la procureure (à la blague dira-t-on) si «elle souhaite siéger à sa place» ! De toute évidence, la procureure venait de se placer dans une position de juge et partie, et la juge qui présidait ce jour-là le savait. Comment, dans ces circonstances, ne pas blâmer ce déplacement grossier de fonction, cette usurpation alors que l’impartialité est de mise ? Comment ne pas penser qu’il s’agit peut-être d’une situation peu exceptionnelle ? Comment ne pas imaginer que plusieurs parents se trouvent ainsi lésés par une justice qui prétend, sans cesse et de façon rhétorique, vouloir préserver «l’intérêt des enfants» et surtout qui prétend connaître, de façon omnisciente, ce qu’est l’intérêt d’une enfant? Après cela, vous comprendrez que je m’interroge sérieusement sur l’impartialité de la cour et sur l’application équitable de la justice.

Rémy Gagnon, citoyen et père dépossédé

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