Petite production hydroélectrique privée: un bilan et une révision des pratiques s’imposent

Petite production hydroélectrique privée: un bilan et une révision des pratiques s’imposent

La Commission d'enquête Doyon a dénoncé l'absence d'une passe migratoire pour les poissons au barrage de la mini-centrale de Sainte-Brigitte-des-Saults

L’aspect énergétique et environnemental de l’utilisation des rivières représente un enjeu de premier ordre pour le Québec.

Les dernières rivières naturelles font partie de notre patrimoine collectif, un héritage à préserver.

Les décisions collectives à l’égard du développement énergétique sont donc primordiales et doivent s’exercer de manière transparente, éclairée et rigoureuse.

En 2013, le gouvernement Marois a consulté la population avec la tenue de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec. Celle-ci visait entre autres à faire un portrait fidèle de l’approvisionnement, de la production, de la mise en valeur et de la consommation des différentes formes d’énergie.

Le rapport est attendu dans les prochains mois. Il contiendra des recommandations visant à définir des orientations en matière énergétique qui devraient être conformes aux principes du développement durable, et à répondre à des enjeux liés aux changements climatiques.

Malheureusement, pour certaines rivières, ce rapport risque d’arriver trop tard. Et il aurait été préférable de mettre en application des recommandations déjà existantes.

En 1995, le gouvernement du Parti québécois déclencha la Commission d’enquête sur la politique d’achat par Hydro-Québec d’électricité auprès de producteurs privés, présidée par l’Honorable juge François Doyon.

Une Commission similaire à l’actuelle Commission Charbonneau, dans le but d’examiner une série de contrats avec Hydro-Québec pour la production d’hydroélectricité par des promoteurs privés.

Pas moins de 58 contrats d’achat d’électricité avaient été conclus. Une dizaine de ces contrats, d’une durée de 20 ans, arrivent à échéance en 2014 et sont actuellement en processus de renouvellement pour une même durée.

À l’époque, la Commission arriva à la conclusion que, sur le plan économique, la production privée a participé à l’émergence progressive de surplus énergétiques et que cela représentait une perte pour Hydro-Québec.

Sur le plan environnemental, elle identifiait de graves lacunes, notamment en matière de respect de débits minimum.

La Commission recommandait au Ministère de l’Environnement (MEF) de réaliser, avec la participation du Ministère des ressources naturelles (MRN), une revue complète de l’ensemble des impacts environnementaux propres aux petites centrales, et de renforcer les procédures de contrôle et de suivi des conditions inscrites aux certificats d’autorisation.

Le même constat et les mêmes recommandations prévalent encore aujourd’hui, sans que le gouvernement actuel (ni le précédent) n’y prête attention.

En février 2013, la ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, n’a pourtant invoqué que des surplus énergétiques pour mettre fin au programme libéral des petites centrales.

Cette logique économique tient encore la route, mais il faut pousser plus à fond l’examen de l’aspect environnemental.

Parmi les cas de centrales privées examinés par la Commission Doyon, plusieurs sont encore problématiques.

Citons deux exemples qui, à eux seuls, justifient la révision complète des pratiques actuelles de renouvellement des contrats.

À Sainte-Brigitte-des-Saults, près de Drummondville, on note encore l’absence d’une passe migratoire pour les poissons et un assèchement quasi permanent d’une section de la rivière Nicolet (Sud-Ouest). L’autorisation environnementale n’a pas été respectée, comme l’a constaté la Commission d’enquête.

Mais surtout, depuis la construction du barrage, de multiples embâcles se sont produits et des maisons ont été inondées.

Des riverains ont subi des dommages matériels à leurs terrains et propriétés.

Des évacuations d’urgence ont été réalisées. La Commission d’enquête s’est prononcée et depuis plusieurs années ce dossier fait l’objet d’une longue bataille juridique entre les riverains et la société Algonquin Power Fund (Canada) inc., basée en Ontario, qui exploite la centrale.

À Saint-Hyacinthe, les installations de la centrale T.D.-Bouchard, aussi opérées par Algonquin Power Fund, causent un tel assèchement de la rivière Yamaska, que la Ville doit maintenant accommoder financièrement la compagnie pour laisser couler de l’eau dans la rivière !

La Commission d’enquête a considéré ce projet comme un exemple de non-respect des lois et de gestion ministérielle déficiente, concernant le fonctionnement d’une passe migratoire devant permettre aux poissons de franchir le barrage et le débit réservé (minimum) dans la rivière, l’une des plus fragiles au Québec.

Au moment de la construction des installations, les effets des changements climatiques ne se posaient pas avec la même acuité qu’aujourd’hui.

Un rapport produit en 2013 par des experts de l’Université de Sherbrooke révèle que la majorité des rivières du sud du Québec seront dorénavant affectées par une diminution des débits d’étiage en été.

Cette situation «deviendra particulièrement préoccupante dans le bassin de la rivière Yamaska en raison de son débit estival déjà faible et d’un diagnostic de vulnérabilité posé par des recherches antérieures», écrivent les experts.

Suite à la tenue l’an dernier d’États généraux de l’eau concernant la rivière Yamaska, tous les acteurs régionaux s’étaient entendus sur la nécessité de poser des gestes concrets visant à améliorer l’état de santé des écosystèmes.

Ces erreurs environnementales du passé ne doivent pas être prolongées de 20 ans et Québec doit exiger du producteur privé un niveau d’eau adéquat et des installations assurant la vitalité de la rivière.

Avant de répéter les mêmes erreurs, le temps est venu, comme le recommandait la Commission d’enquête, de procéder à un bilan économique et environnemental complet de la production hydroélectrique par des promoteurs privés au Québec.

Demain, il sera peut-être trop tard. Surtout lorsque plusieurs ne considèrent les rivières que comme des sources de profits.

Pierre Leclerc, administrateur à la Fondation Rivières

Partager cet article